Interview accordée par Monsieur Rodrigue ATCHAHOUE

Interview accordée par Monsieur Rodrigue ATCHAHOUE

« Je suis contre tous ceux qui affirment, sans un développement convaincant, que la littérature béninoise se porte mal. Elle se porte bien, et très bien même. » Rodrigue ATCHAHOUE

BL : Bonjour monsieur Rodrigue. Pour certaine personnes vous n’êtes plus à présenter, cependant il ne serait pas superflu de faire cet exercice. Alors dites à nos lecteurs, qui est  Rodrigue ATCHAHOUE.

RA : Il a toujours été difficile de parler de soi, surtout pour quelqu’un qui n’aime pas qu’on parle de lui. Néanmoins, je vais essayer de me présenter, puisque vous y tenez. Rodrigue ATCHAOUE a fait des études de Lettres modernes. Il a refusé l’enseignement. Et depuis 2007, il s’est mis au service de presque toutes les maisons d’édition du Bénin. Il gère, actuellement, sa maison d’édition personnelle, Les Éditions Savane, qui compte, depuis juin 2016, une douzaine de titres. Mais Rodrigue ATCHAOUE est plus connu comme écrivain. Il est l’auteur de trois recueils de nouvelles (La danseuse Sakpata, Les souliers du lac Nokoué, Cœur de rasta), d’un livre de poésie (L’os du silence), et de trois romans (La déesse aux longs cheveux, Cocogirl, et Les cuisses du ciel).

BL : Vous êtes de part votre manteau d’écrivain un avant-gardiste, un objecteur de conscience dans une société bien connue pour ses tares et qualités, dites nous comment votre message est reçu par le public béninois ?

RA : D’abord, souvenez-vous de l’appel de Frantz Fanon aux Africains : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ». Ensuite, c’est vrai que beaucoup de choses sont à revoir dans notre société, pas seulement au Bénin, en Afrique aussi, et dans le monde en général. J’ai écrit quelque part : « Il faut retourner le monde à la forge ». C’est tellement horrible ce qui se passe. Attaquer la population à l’arme chimique est-il mieux qu’avoir des charniers au Congo, ou assister à une violence entre éleveurs et agriculteurs au Bénin ? Et la Russie qui oppose, pour la huitième fois, son veto a au Conseil de sécurité. C’aurait été en Afrique qu’on parlerait de crime contre l’humanité et autres. Enfin, je répondrai en citant mon jeune frère Ismaël Ichola : « Que n’a écrit Bessora sur la paix et qu’avant elle Ngoma n’a chanté ? Pourtant, le théâtre qui prend forme au Gabon depuis hier nous donne la preuve qu’entre la générosité des mots et des cœurs d’écrivains ou d’artistes d’une part, et la saisissante vérité de la réalité de l’autre, il y a un immense vagin dans lequel s’engouffre le monde devant le regard lunatique de l’artiste ». Voilà la vérité. L’écrivain aura beau écrire, beugler, il revient aux hommes de changer.

BL : On remarque de nos jours une éclosion des jeunes talents à l’écriture Quels conseils pouvez vous prodiguer à la jeune génération montante ?

RA :  La littérature béninoise a beaucoup évolué. Il y a eu ce que j’appelle la « détaboutisation » du livre, et surtout d’un maillon très essentiel, l’édition. Tenez, jusqu’à récemment, il n’y avait, au Bénin, que pratiquement deux maisons d’édition, Flamboyant (la plus vieille), et Ruisseaux d’Afrique (depuis 98). On peut aussi citer Aziza (qui s’est perdue avec le temps) et HDH (dans une certaine mesure). Mais actuellement, il arrive quelque chose d’inouï au Bénin. Il existe actuellement plus d’une vingtaine de maisons d’édition. Je me surprends, lors des rencontres à la Direction des Arts et du Livre, à découvrir chaque jour de nouvelles maisons. Et c’est justement ce qui a favorisé l’engouement des jeunes pour l’écriture. L’édition qui, naguère, était une chasse gardée, est maintenant comme libéralisée. Plus de contraintes majeures pour éditer dans le Bénin d’aujourd’hui. Mais il se pose la question de la qualité. Il faut que les jeunes travaillent, il faut qu’ils lisent beaucoup. Voltaire répondait à sa nièce : « On écrit bien en lisant bien ceux qui ont bien écrit ». Tout est là. C’est vrai, il y a des jeunes qui émerveillent par la qualité de leur plume (je pense à quelqu’un comme Djamile Mama Gao), mais la plupart doivent se constituer une bibliothèque.

BL : Quelle place accordez-vous à la femme dans vos écrits ?

RA : Pour moi, le simple fait de parler de la femme en particulier, et non de l’humain en général, est d’abord une chosification de la femme. Et je pense que nous devons arrêter ce débat. C’est vrai que nous sommes dans une société où les stéréotypes ne hissent pas toujours la femme. Mais les choses ont évolué, ou du moins évoluent. Et la femme doit cesser d’attendre qu’on la promeuve. Elle doit, elle-même, faire sa propre promotion, travailler, se battre, et encore travailler, et voir si on ne lui reconnaîtra pas sa place. « Aide-toi, le ciel t’aidera », dit-on. Et La Fontaine d’ajouter : « Jupiter veut qu’on se remue, et il aide ». La femme veut elle-même, se complaire dans son infériorité, et en même temps, elle crie au secours. La femme est la mère de l’humanité, un être que je sacralise énormément et qui, pour moi, représente la Divinité. Vous me donnez même l’occasion de me rendre compte que tous mes romans ont la femme comme personnage principal.

BL: En considérant le contexte sociopolitique actuel du Bénin, quels peuvent être, selon vous, les apports des écrivains comme vous pour une société apaisée ?

RA : Je l’ai dit dans la dernière partie de la question 3. Et je me reprends. L’écrivain, comme tout artiste, est un éveilleur de conscience. Mais il aura beau crier, beau avertir, son message est limité. Juste la sensibilisation. C’est au lecteur de décider de changer ou pas. C’est un peu comme une pancarte que j’ai lue la dernière fois. Ça disait que le maire s’engage à réduire considérablement la transmission du Vih/Sida. J’ai ri, puis je me suis posé une question ? Passera-t-il dans chaque maison pour vérifier si les gens utilisent réellement le préservatif ?

BL : On entend parfois dire que l’univers du livre au Bénin reste caractérisé par une certaine léthargie désolante .Etes-vous de cet avis ?

RA : Je suis contre tous ceux qui affirment, sans un développement convaincant, que la littérature béninoise se porte mal. Elle se porte bien, et très bien même. Nous ne sommes pas peut-être aussi avancés que certains pays voisins, mais ce qui est là n’est pas du tout mal. Hier, on ne parle que de Jean PLIYA, BEHLY-QUENUM, COUCHORO. Mais aujourd’hui, nous avons DOVONON (plusieurs fois primé), HESSOU (médaillé d’or aux jeux de la Francophonie), COUAO-ZOTTI (Prix Amadou KOUROUMA), DAKPOGAN (Prix du Président de la République), TOUDONOU, ADONON, FASSINOU, AMOUSSOU, ZOSSOU, et plein d’autres qui font la fierté du pays, aussi bien ici qu’à l’étranger. On ne peut pas avoir tous ceux-là de son côté et encore avoir peur. Demandez à COLLINCE Yan, un Camerounais, et il vous dira que tout va bien au Bénin, sur ce plan-là.

BL : Comment étaient vos débuts dans l’aventure littéraire ?

RA : J’ai toujours fait mienne cette citation de Voltaire : « Le succès est la résultante de trois facteurs, le talent, le travail et la chance ». La plupart de mes livres publiés, je les avais au sortir de l’université. Je ne suis peut-être pas né avec un talent d’écrivain ; mais par le travail, j’ai réussi à redimensionner mes textes. Il suffit que je lise un bon livre pour que je décide de réécrire carrément tous mes textes. Si seulement vous pouviez voir mes premiers manuscrits, vous auriez une idée du travail abattu. Les deux premiers facteurs étant réunis, il me restait donc le troisième. J’avoue, à ce niveau, que jusqu’à ma Licence, je ne savais pas ce que je ferai, l’essentiel pour moi étant d’étudier, de toujours être parmi les meilleurs. Je me disais que je ferai tout, sauf enseigner. Et c’est un soir, pendant les vacances de la Troisième année, que j’ai lu l’affiche d’une maison d’édition qui recherchait un secrétaire éditorial. J’ai appelé, j’ai passé le test, et j’ai été retenu. Je travaillais à Ruisseaux d’Afrique tout en continuant les cours au campus. Après un an et demi, j’ai démissionné de Ruisseaux d’Afrique, mais j’y aurai déjà appris comment éditer un livre. Voilà le coup de chance. Le reste, c’est le travail qui a continué. J’ai ardemment travaillé, pour m’imposer aussi bien dans l’édition que dans mon écriture. Et cela continue encore.

BL : Tout écrivain à certainement une idole, une référence, quelle est votre auteur préféré ?

RA : L’écrivain est, d’une manière ou d’une autre, le produit de ses lectures. Je n’ai pas, moi, d’écrivain-idole. Tous les bons écrivains sont mes maîtres, quelle que soit leur écriture, quelle que soit leur origine et quel que soit leur âge. Il faut apprendre des autres, mais éviter, autant que possible, de ressembler à l’autre. Cultiver sa propre personnalité. Être l’original, non la copie. Tel doit être le crédo de l’écrivain, de l’artiste, et même de tout homme.

BL : Votre mot de fin…

RA : Comme je me plais à le dire, ce n’est pas la littérature béninoise qui nous fera, c’est nous qui la ferons. On a l’impression, quand on descend dans le fond du milieu littéraire béninois d’aujourd’hui, qu’il s’agit plutôt d’une littérature sectaire, de clan. Je n’entrerai pas dans les détails, mais je nous invite à plus d’humilité, à une réelle ouverture. Quant aux plus jeunes, qu’ils prennent conscience que la littérature béninoise de demain leur appartient. Je les exhorte à travailler, travailler, et encore travailler.

 

4 comments

Monsieur Désy Ray, j’ai eu les mêmes impressions en lisant Rodrigue ATCHAHOUE. Et ce qui est davantage intéressant, c’est qu’il dégage la même énergie dans chacune de ses œuvres. Quand vous lisez « la danseuse de Sakpata, ou cœur de rasta », vous êtes comme mené par la bride par l’auteur qui martèle chaque mot. N’est-ce pas lui qui a dit qu’il faut retourner le monde à la forge?

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