La mémoire vit du souvenir. Et l’histoire, dans son entêtement, se gausse bien de ceux qui, volontairement, s’affublent de leurs lunettes de myopes pour manquer de voir ce qui doit être vu quand cela doit être vu et comment il doit être vu. La Révolution d’Harlem, les travaux des chantres de la Négritude, les contre-attaques de la tigritude, tout cela a donné naissance à la littérature « noire » fière de sa « négralité », entendu qu’il est crié à cor et à cri (à corps aussi) qu' »un homme qui crie n’est pas un ours qui danse » (Aimé Césaire) et que la négraille est inattendument debout. (Cf. Cahier d’un retour au pays natal)  La littérature africaine, revendicatrice en son essence et en ses manifestations protagonistes des luttes indépendantistes a donné naissance à une conscience d’une Afrique qui ne peut se construire si elle ne se prend culturellement en charge. Les cris de révolte dans ce sens ne se sont pas fait attendre. Des « Pigments » au « Devoir de violence« , de « Batouala » à « Moi, laminaire« , de « Soleil cou coupé » à « Peaux noires, masque blanc« , de « Coups de pilons » à « Main basse sur le Cameroun« , cette prise de conscience s’est accrue et a aidé le noir à oser dire ce qu’il pense, sans complexe, mais avec la liberté de celui qui sait que son combat pour la liberté peut à tout moment l’envoyer à l’Achéron. Point n’est besoin d’évoquer ici Alexandre Biyidi connu aussi sous les pseudonymes de Mongo Béti et Eza Boto, Jean Marc ELA, Chinua Achebe, etc. En un mot, ces grands de la littérature africaine ont tracé des sillons de libération. Et pourtant le sort de l’Afrique n’est pas des plus enviables.

Avec l’initiative de la Journée de l’Ecrivain Africain, l’espoir d’une fédération des énergies et forces dispersées faisait éclore ses bourgeons. Et depuis 24 ans, le continent a eu la joie de célébrer ce qui se fait en matière de littérature par ses fils et filles disséminés aux quatre coins du globe. Et si la problématique de liberté véritable continue de s’imposer en termes d’inéquations à inconnus multiples, inéquations coriaces, parfois insolubles, si la lutte pour une affirmation digne et pure de l’identité de l’homme noir bat de l’aile, il est important de lever les yeux vers les structures où se « fabriquent » les systèmes éducatifs des pays africains. Les autres contrées colonisées ont très tôt repris le poil de la bête et fait feu de tout bois pour revenir à leur identité originelle. Mais hélas! La situation en Afrique est des plus critiques. Un peuple qui se coupe de ses racines n’existe pas. Il ne pèse pas plus qu’un nénuphar. La réappropriation par l’Afrique de l’Afrique et de ses richesses culturelles ouvrira la voie à une libération vraie. Cette lutte transparaît dans le thème programmatique choisi pour la 24 Journée de l’Ecrivain Africain:  » Langues, Bibliothèque et Industrie du livre : une priorité urgente pour le sort de l’Afrique« .

Si nous n’avons que les langues affûtés pour ciseler avec dextérité, doigté et tact, les contours des langues étrangères alors que les nôtres propres croupissent dans l’arrière gorge du dernier vieillard près du dernier pas vers le trépas, nous sommes les plus à plaindre. C’est pour nous désormais un passage obligé que nos langues soient inscrites au programme dans nos écoles, lycées, collèges et universités. Quelles langues choisir?, là c’est une autre question. Mais il faut y arriver. Ainsi, nous pourrons avoir une littérature fluide en nos langues, qui sera lue par des hommes et des femmes locuteurs desdites langues. C’est l’occasion de saluer le travail herculéen qu’abattent tous ceux-là qui mettent sur le marché des œuvres traduites dans nos langues ou qui produisent directement dans nos langues maternelles.

Si nous voulons être présents au rendez-vous de l’universel, la culture s’impose de fait comme l’arme unique qui nous aiderait à nous affirmer. Et cela passe par la lecture. Les nombreux gros chiffres dont on annoncer la naissance le matin pour en célébrer le requiem au retour du soleil, pourraient contribuer à la création, l’alimentation et l’animation des bibliothèques pour le bonheur des enfants et des jeunes. C’est trop facile de dire que les enfants ne lisent pas. Quand leur en avons-nous donné la possibilité et le loisir?

L’industrie du livre. Là, c’est un défi éléphantesque. La chaîne de production du livre, si elle n’est pas revue pour favoriser le bien-être des écrivains, pourquoi nous étonner de voir pulluler sur le marché de très bons livres (dans le contenu) mais abjects quant à l’aspect physique? Ici aussi, qu’on ne lésine pas sur les moyens à mettre en œuvre pour accompagner les auteurs, les éditeurs, tous ceux qui interviennent dans la production du livre afin que le livre soit un maillon fort dans la création des richesses du pays.

Que tous ces trois points soient une priorité urgente pour l’Afrique, cela signifie d’ores et déjà que c’est chacun qui est appelé à apporter sa feuille à la construction du livre africain. Certainement, comme toujours, nous allons nous tourner vers les partenaires étrangers pour réparer le toit de notre littérature qui coule et met en danger les murs et la fondation du livre chez nous. Mais tant que les autres doivent nous aider à nous habiller, ne soyons pas surpris qu’en public ils veuillent reprendre leur tissu.

Tout compte fait, cette 24 ème édition de la Journée de l’Ecrivain Africain repose les fondamentaux de notre libération. D’elle, émane une révolution culturelle qui implique tout le continent. Qu’elle accouche de bonnes résolutions pour le relèvement des lettres chez nous. La littérature africaine sauvera l’Afrique. C’est elle qui déchirera les nombreux rets qui encombrent encore nos esprits colonisés, torpillés, déracinés, extravertis.

 

Destin Mahulolo

  1. Analyse très profonde et pertinente, dans un style raffiné et agréable à l’âme.

    • Merci Hervé K. EZIN OTCHOUMARÉ, frère d’âme. Merci de croire avec moi que livre a son mot à dire dans la libération de l’Afrique… En attendant l’apparition de l’arc-en-ciel….

  2. Un article plus qu’instructif qui, en plus d’attirer l’attention sur la nécessité de promouvoir les acteurs de la chaîne du livre pour un meilleur accès au savoir, vient à juste titre tirer sur la sonnette d’alarme pour mettre en garde contre la perte progressive de notre identité culturelle quant à nos langues endogènes. Merci d’éveiller nos consciences par une si succulente plume !

    • Salut, frère Emmolière. « Les autres contrées colonisées ont très tôt repris le poil de la bête et fait feu de tout bois pour revenir à leur identité originelle. Mais hélas! La situation en Afrique est des plus critiques. Un peuple qui se coupe de ses racines n’existe pas. » C’est d’une plaie profonde que l’Afrique est atteinte. Nous aimons tellement être « l’autre », faire comme l’autre (le blanc) comme Lakounlé dans « Le lion et la perle » de W. Soyinka. Cela fait pleurer. Mais on ne va pas pas baisser les bras

  3. L’Afrique littéraire avance et fait de belles plumes. Mais ces plumes s’envolent au fur et à mesure que les bibliothèques sont vides. Les auteurs écrivent les livres mais les bibliothèques sont vides des têtes qui veulent se remplir du contenu de ces livres.