Ces indignations rejoignirent le cœur du jeune homme qui se souvint aussi qu’il devait voir le véhicule de son patron arriver et non le voir garé. Sinon son mince salaire serait ébréché comme un pain décoré par le museau d’une souris. Il plongea son regard dans la circulation entre-temps arrêtée pour ne plus y penser. Les véhicules évoluaient à tâtons. L’atmosphère devenait ambiante. Les fumées disparaissaient dans les narines des passagers. Les bruits des moteurs s’imposaient aux tympans. Les aisselles dessinaient un cercle sudoripare sur les chemises et camisoles. Des parfums virils et de moindre gabarit s’en exhalaient. Les nez étaient pincés et des quintes de toux libérées. Le front d’Akɔwé éjectait des gouttelettes. Une chaleur s’empara de tout le bus. Le chauffeur descendit le col de sa chemise laissant nettement voir son cou et ses épaules. Tout le monde s’éventait. Les mains s’agitaient : tout pour avoir un filet d’air.

 

Akɔwé desserra légèrement sa cravate et se saisit du bout inférieur pour un mouvement d’éventail. Le rang n’avançait pas. L’odeur des fumées se triturait avec celle des fragrances : mixture. Le chauffeur mit en marche la radio dont les grincements subits firent bondir les clients. Le poste récepteur captait difficilement les ondes de la radio nationale. Pourtant, il était décidé à capter une fréquence. Enfin il s’arrêta sur une station-église. C’était des versets bibliques à n’en point finir. Et le voyage des versets bibliques ne s’arrêtait pas. Les clients prirent avec un peu de foi leur patience pour assister en live à cette évangélisation chaude. Ces vociférations radiophoniques piquaient le jeune homme qui pensait déjà à la mine de son patron s’il lui arrivait le malheur d’être en retard. Plus il y pensait, davantage il s’énervait. Mieux il s’énervait, plus la chaleur lui faisait ressentir des picotements sur le corps. Il remarqua que sa chemise se mouillait dans le dos. Akɔwé en voulait à tout le monde en même temps et jetait un regard enflammé sur la nuque du chauffeur. Celui-ci se gratta la nuque comme s’il s’en était rendu compte. Cinq minutes plus tard, le bus fit son au revoir carrefour Bénin-Marché puis se retrouva par grâce au prochain carrefour. Le jeune homme poussa un soupir dans son cœur. Sa destination était à un kilomètre. Arrivé au deuxième carrefour après le stade dédié à l’amitié du Général Kékéréké, les hommes armés en uniforme s’étaient juste armés de leur sifflet et de leur matraque pour servir de feux tricolores.Le coup de sifflet et la matraque en l’air signifiait le rouge d’arrêt. Le vert s’inventait juste après selon l’inspiration de chaque homme armé.

  • Allè tellain salle d’ l’ami tué ! (Arrêt terrain, stade de l’Amitié) clama une bonne dame en arrière. Cette exclamation valut à la nuque d’Akɔwé une pluie diluvienne de salives. Il se retourna prestement pour analyser la bouche d’où lui venait cette fraîcheur. Il donnerait cinquante années de vie à cette bouche ridée. Dès qu’il dévisagea la quinquagénaire aux rides, il s’empressa de détourner son visage. Le bus s’arrêta. L’apprenti chauffeur aida la dame à descendre avec ses bagages. Une place de moins.
  • Tokpa pressé, un dernier personne ! Tokpa, Topka !

Cet appel exaspéra les passagers. Les huées simultanées fusèrent :

  • Quoi, tu n’es pas rassasié, toi ? Avec tout ce temps qu’on a déjà perdu, tu te permets encore le très vilain luxe de vouloir faire entrer un autre passager ?
  • Tokpa pressé, un personne ! Tokpa rapide !

Akɔwé se moquait, il était proche. Le carrefour Toyota lui souriait de loin. Il resserra sa cravate et vérifia ses documents dans son sac. En tant que secrétaire, il devrait rappeler à son patron les imminents rendez-vous de la semaine.

 

  • Carrefour Toyota, fit-il d’une voix de secrétaire.
  • Arrêt carrefour Toyota répéta le racoleur à son patron qui pour une fois mit son clignotant en marche. Les pneus ralentirent leur course et Akɔwé sortit un billet de 500 francs de sa poche. Avant de se retrouver hors du bus, l’un des enfants de la dame mastodonte lui tapota le dos avec un cri amusé de gamin :
  • Hé ! Fooofo, Fooofo ! (Grand-frère). Puis il se mit à sourire de ses quatre dents deux à deux superposées. Akɔwé prit ce sourire comme un souhait de bonne journée et remit une pièce de 100francs à l’enfant. La mère de celui-ci s’empressa de le remercier :
  • Merci tonton. Dieu te le rendra ! Tu auras beaucoup d’enfants !

Akɔwé sourit et répondit “Amen“ avec réserve puisque lui ne voulait pas avoir beaucoup d’enfants. Il remit le billet de 500 francs au racoleur et attendait sa monnaie, debout avec son sac. L’apprenti lui tendit une pièce de 200francs et une de 50 francs. Il empocha ses 250 francs et attendit que le bus s’en allât avant de traverser pour se retrouver dans la ruelle de son service. Son cœur battait au rythme de l’empressement de ses pas. Sa cravate dansait au rythme du vent. Ses yeux cherchaient de loin un véhicule, un tricycle bleu de marque “Kawasaki“ pour être plus précis. Le véhicule de son patron était déjà garé.Un liquide incolore embua ses yeux et assombrit sa vision. Il consulta sa montre. Il voyait à peu près 7h57, 58 ou 59minutes. Il se dirigea sans trop de fermeté vers l’entreprise, une entrée-coucher bien meublée. Une fois à l’entré, il vit rapidement son patron en train d’emballer quelques colis. Akɔwé fit semblant de regarder sa montre et leva sa tête vers le fronton de la porte pour lire ce qu’il a toujours lu :

“Ets Zéro Chômage et Cie“, société de distribution de « Atchonmon » (petits cailloux) de tout genre.

Akɔwé entra :

 

Fabroni Bill YOCLOUNON

  1. Entre l’habillement de l’employé et son emploi, un bel écart que compense le rire.
    Beau boulot à Fabroni Bill YOCLOUNON pour ce bel écrit !