Il y a longtemps, très longtemps, vivaient dans un village, Dossou, un quarantenaire, et sa femme Adominvoin. Celle-ci était dotée d’une beauté ensorcelante, mais elle était d’un caractère insupportable. A la place de son cœur, beaucoup disaient qu’elle avait une pierre. Elle n’avait pas réussi en douze ans, à faire pousser un enfant de son ventre pour son mari. Cet état de chose confirmait tout le mal que les villageois pensaient d’elle. Arrogante, elle avait une allure cavalière et était championne en médisance et en diffamation. Elle n’était jamais loin des lieux de bagarres.

 

Et beaucoup venaient se plaindre d’elle à son mari. Elle avait brisé les dents à une créancière qui était allée la voir dans l’intention de se faire rembourser. Elle avait battu jusqu’au sang un sourd-muet que le malheur a conduit devant sa case. A un coin de rue, elle avait taloché un aveugle à qui il reprocha de l’avoir pas salué. Son nom était cité dans tous les conflits conjugaux du village. De jour en jour, son mari se lassait d’elle. C’est ainsi qu’il décida de prendre une nouvelle femme. Cette nouvelle mit en rage Adominvoin, mais elle réussit pour la première fois à se maîtriser, et au grand étonnement de tout le village, elle devint gentille, très gentille pour certains et trop gentille pour d’autres. Mais elle n’arriva point à convaincre son mari avec ce brusque changement. Il prit quand même une nouvelle femme. Le mariage fut célébré avec grande pompe. Mawoulé, la deuxième épouse de Dossou n’égalait pas Adominvoin en beauté. Mais elle était d’un calme qui désarmait tout le monde. Son sourire était son arme.

Adominvoin décida de rendre la vie dure à Mawoulé, la nouvelle venue, plus jeune, plus humaine. Elle finit par abandonner son idée. En effet Dossou maintint son attention à l’endroit de ses deux épouses, sans privilégier l’une aux dépens de l’autre. « Elles sont toutes deux, mes femmes », ne cesse-t-il de clamer à tout venant.

 

Trois mois plus tard, Mawoulé tomba enceinte, à la grande joie de Adominvoin. Elle se montra attachante, aimante et conseillère. Le temps de la grossesse se passa très bien. Adominvoin faisait même les travaux de Mawoulé, à l’approche de l’accouchement. Les deux coépouses mangeaient même dans le même plat. Cette métamorphose de Adominvoin surprit bon nombre dans le village.

– Il fallait vivre longtemps pour voir cela. Adominvoin qui devient vraiment une personne normale ? disaient certains.

– La grossesse de sa rivale lui a fait du bien, je ne crois pas, pensaient d’autres.

– Bien sûr que c’est normal de changer. De toutes les façons, un enfant de sa rivale, c’est comme si c’était aussi le sien, rétorquèrent d’autres encore.

Ce qui était sûr et certain, on constatait une sorte de complicité entre les deux femmes. Plus d’animosité observée comme au départ lors de la venue de Mawoulé. Dossou même était ravi de ce rapprochement.

La saison des pluies arriva. Les travaux champêtres démarrèrent. Les deux coépouses gardaient la maison, tandis que Dossou allait au champ et revenait complètement le soir. Un jour, comme inattendu, Mawoulé se sentit mal. Dossou était déjà allé au champ comme à son habitude. Aidée de Adominvoin, Mawoulé eut son enfant difficilement, puisqu’elle perdit connaissance après l’accouchement. Adominvoin prit l’enfant, et alla le jeter dans la brousse, puis revint à la maison. Quand Mawoulé se réveilla, elle réclama son bébé, mais sa rivale lui fit comprendre qu’il était mort-né, et elle était obligée de le donner aux bêtes sauvages, au lieu de l’enterrer. En apprenant cette nouvelle à son retour, Dossou s’affligea, ainsi que tout le village.

 

 

Sept années plus tard, l’enfant, miraculeusement hébergé et nourri par les animaux, trouva le chemin du bercail. Derrière la maison, il entonna un chant un matin :

Je suis né et elle m’a jeté

Je suis né et elle m’a jeté

On n’a pas donné l’occasion à ma mère de me voir

Moi non plus je n’ai jamais vu ma mère

Mais je sais qu’elle m’aime

Car je l’aime aussi et je la sens près de moi

Je suis né et la coépouse de ma mère m’a jeté

Adominvoin m’a jeté en me séparant de ma mère.

 

En attendant cette chanson tôt le matin, Adominvoin se réveilla en sursaut, car étant la seule à comprendre ce que cette chanson voulait dire. Elle se précipita, prit un coupe-coupe pour tuer cette fois-ci l’enfant. Mais à sa grande surprise, elle n’était pas la seule à entendre la chanson. Son mari Dossou et Mawoulé étaient déjà sur pied, car surpris eux-aussi des mots de cette chanson. Ils étaient venus aux nouvelles. Devant eux tous, ils virent un enfant, accompagné d’un grand serpent, comme un garde-corps. L’instinct maternel fit que Mawoulé reconnut en cet enfant une partie d’elle-même. Ce dernier l’appela mère devant l’assistance soudaine qui s’est constituée. Malgré son jeune âge, l’enfant raconta à tous son histoire, du début jusqu’à la fin. Il leur expliqua que depuis le sein maternel, il voyait et entendait tout. Il fit cas des supercheries de Adominvoin qui disait aimer sa mère, mais qui cherchait depuis ce moment l’occasion de lui nuire. En attendant ces paroles, Adominvoin, mise à nu par les révélations du petit, voulut s’enfuir, mais elle fut vite arrêtée et maîtrisée. L’affaire parvint au chef du village et le grand conseil se réunit. Les sages ne mirent pas longtemps à délibérer : « nul n’a le droit de porter atteinte volontairement à la vie d’un autre, fût-ce un bébé ». Un tel crime devait être puni avec la plus grande sévérité.

 

Adominvoin fut décapitée pour servir d’exemple. L’enfant revint à la maison et resta avec sa mère. Quant au serpent, il rentra dans la brousse, mais vint chaque soir roder autour de la maison.

 

Moralité : Quand tu commets le mal, même dans l’ignorance des autres, attends-toi à recevoir la récompense  tôt ou tard, car même si personne ne t’a vu, la nature t’a vu et se chargera toujours  de rendre la justice.

 

Kouassi Claude OBOE