Mon conte roule, roule et tombe dans la mer, au royaume des poissons et des autres habitants du monde marin. Akpavi était le fils unique de ses parents qui l’aimaient d’un amour jaloux et le protégeaient envers et contre tout. Ils ne tolérèrent pas qu’il eût des amis. Akpavi n’avait même pas le droit de sortir de l’enclos familial. Mais un jour, le petit poisson fit une découverte fantastique. : Aglanvi, le petit crabe des sables. En effet ce dernier fut envoyé par sa mère auprès de la mère de Akpavi pour une commission. Akpavi se demanda alors pourquoi jamais ses parents à lui ne lui faisaient confiance en l’envoyant par exemple faire des commissions. Il se lia d’amitié avec Aglanvi qui lui fit comprendre que ses parents à lui ne l’empêchaient jamais de sortir de la maison, qu’il était libre et donc pouvait aller où il voulait et rentrer quand bon lui semblait. Il a jouta :

– Et il y a beaucoup plus intéressant, Akpavi.

– Ah bon?

– Bien sûr. Lorsque je m’ennuie chez nous, j’ai la possibilité de sortir même de la mer et de me promener sur la berge, contemplant les hommes, le soleil, le ciel, les étoiles. Tout cela est merveilleux.

Depuis cet entretien, Akpavi ne dormait plus bien. Il voulait découvrir autre chose. Il devint davantage serviable à la même et proposa même à sa maman de le laisser l’aider à faire des courses dans le quartier. Mais cette dernière ne le lui permit pas. Un soir pendant qu’il aidait ses parents à la cuisine, (les parents de Akpavi faisaient la cuisine ensemble) il leur demanda la permission de faire un tour à Xixénou (Prononcer X comme un H dur comme dans Xala de Sembène Ousmane), c’est-à-dire, dehors. Son père refusa d’un ton sec et le mit en demeure de franchir les limites de l’enclos familial. Akpavi en déprima. Il refusa de manger et commença à dépérir visiblement. Cela n’émut guère ses parents. Devant leur indifférence, il coupa toute communication avec eux. Les parents ne lui disaient toujours rien. Il se mit à les bouder et à ne plus accomplir ses travaux domestiques. Sa mère le reprit vivement et son père lui infligea une correction exemplaire. Et tout rentra dans l’ordre. Ses parents lui promirent un voyage au village s’il se comportait bien. Akpavi redevint le Akpavi que ses parents connaissaient : gentil, serviable, généreux, souriant. La vie reprenait. Et Akpavi donnait l’impression d’avoir oublié son obsession du dehors.

Un après-midi, Aglanvi avait encore été envoyé par sa mère pour une commission aux parents de Akpavi. Mais ces derniers étaient sortis pour des courses. Il ne vit que Akpavi seul à la maison. Les deux amis causèrent un instant et quand Aglanvi s’apprêtait à rentrer, Akpavi lui demanda s’il pouvait lui faire découvrir Xixénou. Aglanvi accepta. Les deux amis s’élancèrent. Quelques instants plus tard, ils étaient sur la berge. Akpavi était éberlué. Il n’avait jamais rien vu d’aussi sensationnel : des barques amarrées, des hommes qui s’amusaient, le soleil qui dansait et souriait dans le ciel bleu, les vagues de la mer qui venaient se briser à la berge à la grande joie des enfants qui jouaient à les défier en riant aux éclats. Akpavi, subitement se mit à suffoquer.

Le souffle lui manquait et il ahanait, les yeux hagards. Survint un pêcheur qui depuis trois jours n’avait réussi à prendre aucun poisson. Il vit Akpavi, cligna les yeux et avala goulûment la salive, le sourire aux lèvres. Mais quand il s’abaissa pour se saisir du petit poisson, il eut pitié de lui et décida de le sauver. Il remarqua qu’il était en danger de mort et imagina un de ses enfants à la place de Akpavi. Il se mit à pleurer sur le sort du poisson qui visiblement luttait contre la mort.

Le pêcheur le prit dans ses mains et fit quelques pas vers la mer afin de l’y jeter. Mais Akpavi qui voulait profiter encore du spectacle de la berge, se mit en colère et sortit toutes ses nageoires en signe de protestation et déchira la paume de la main droite du pêcheur. Ce dernier le lâcha aussitôt. Sa paume saignait abondamment. Il reprit son filet et rentra chez lui où l’attendaient sa femme et ses enfants qui avaient placé toute leur espérance en cette pêche. Mais voilà qu’il revenait non seulement bredouille, mais aussi blessé.

Quand Akpavi rentra à la maison, ses parents étaient déjà de retour et l’attendaient avec impatience. Son père voulut le battre à mort, mais il se ravisa au dernier moment et lui demanda à brûle pourpoint :

– D’où sors-tu, Akpavi?

– De Xixénou, répliqua-t-il avec sourire malicieux aux coins des lèvres.

– Sais-tu ce qu’est Xixénou?

– Oui. Le monde des merveilles.

Et il raconta avec un air de triomphe tout ce qu’il avait vu sur la berge mais prit soin d’occulter ce qu’il lui était arrivé avec le pêcheur qui l’avait sauvé de l’asphyxie.

– Attention, mon fils, lui dit sa mère. Xixénou est dangereux. C’est la bouche du monde. Et la bouche du monde n’a jamais été tendre avec les poissons. Ne fais pas comme Aglanvi. Lui, en cas de danger, pourra facilement échapper aux hommes soit en les dribblant, soit en creusant rapidement dans le sable pour s’y cacher. Mais toi, tu ne seras habile que dans l’eau.

Les parents étaient soucieux, mesurant le grand risque pris par leur fils.

Deux jours plus tard, pendant que ses parents faisaient la sieste, Akpavi sortit de la maison sur la pointe des pieds. Il se rendit chez Aglanvi, et les deux amis prirent la direction de Xixénou. La berge était animée. Akpavi se frétillait et se réjouissait du beau spectacle. Une fois encore, il se remit à suffoquer. Survint de nouveau le même pêcheur. Akpavi souffrait visiblement. Le pêcheur regarda sa paume blessée. Il voulut s’abaisser pour le saisir avec l’autre main quand du ciel, fondit comme l’éclair, un martin pêcheur  qui happa Akpavi en  un battement de cils. Il suppliait l’oiseau. Mais en vain. Il se souvint alors du chant préféré de sa mère :

Tonou masé afokou o djé na

Tonou masé afokou o djé na

afokou o djé na

afokou o djé na

Tonou masé afokou o djé na

(Le refus d’obéir est source permanente de danger

Le refus d’obéir est source permanente de danger

Source permanente de danger

Source permanente de danger

Le refus d’obéir est source permanente de danger

Le refus d’obéir est source permanente de danger)

Quand ses parents se réveillèrent, ils ne virent pas leur enfant. Reviendra-t-il un jour? Ils firent un tour chez les parents de Aglanvi qui pleuraient leur fils. Dégon la crevette leur apporta que ce dernier s’était fait écraser par une bande d’enfants qui ramassaient des coquilles sur la plage, et qu’il était allé défier comptant sur son agilité.

Quand les autres enfants apprirent les mésaventures de Akpavi et de Aglanvi, les uns comprirent qu’il faut toujours obéir aux parents et éviter de faire comme les autres ; les autres réalisèrent qu’il ne faut jamais être trop imbu de soi-même. Aglanvi avait beau savoir dribbler les gens, il n’échappa pas aux enfants. La vie, c’est aussi savoir être sage et prudent.

Destin Mahulolo

  1. Joli conte…..les fruits de mer portent bien ici leurs noms du terroir……nos langues maternelles sont également des sources de richesses littéraires….un bonus pour la langue française…..

  2. Très instructif à la fois lucratif (conte) pour les plus jeunes.
    Le monde marin imaginé et confondu à la réalité. Tout le mérite est pour l’auteur.

    • Nous sommes honorés, cher Othniel Sulpice, par votre commentaire. Puisse ce conte nous faire rêver davantage