« Les dieux ne chanteront plus« . Par ce titre relevant de la prosopopée, jumelé à « Un piège sans fin » Olympe Bhêly Quenum construit l’armature d’une aventure dans un  village noir. On se souvient que dans sa première production romanesque d’Olympe Bhêly-Quenum relate l’histoire de  Ahouna qui, après une enfance heureuse à l’abri de tout besoin, fut plongé dans une série de situations complexes où le malheur frappait continuellement à sa porte. La vie lui sera ôtée par les parents de sa victime, Houngbé. Appréhendés, ces derniers prendront le vol pour l’Europe où ils seront acculés à faire la guerre. Et l’on perçoit entre les lignes que « Le chant du lac » est un prolongement de « Un piège sans fin« . L’auteur, dans « Le chant du lac« , nous convie à un duel fatal, un combat sans précédent.  A la vérité, quand on lit  « Le chant du lac » comme une œuvre bâtie sur un fond d’idylle  entre deux fiancés jeunes de 19 ans, on comprend que  Olympe Bhêly Quenum, fidèle à sa ligne, ramène toujours les humais aux fondamentaux de l’existence. Et comme à son habitude, il réussit à coudre, autour de cet amour problématique, une histoire qui nous plonge dans certaines superstitions. Mais cette fois-ci, il s’agit d’une histoire autour du lac et de ses dieux qui « ne chanteront plus ». Et dans la présente œuvre, on voit une jeunesse délurée s’en prendre à des croyances millénaires. Outrecuidance? Imprudence? Impudence? L’auteur fait voir que, à la suite de Houngbé dont le sort a décidé autrement, un groupe de jeunes étudiants venus en vacances prennent  la revanche du défunt et veulent mettre en pratique ses dires. C’est ainsi qu’ils s’acharnent contre dieux du lac qui seront plus tard perçus comme des monstres marin.  Olympe Bhêly Quenum  nous rend contemporains et témoins d’une lutte sans merci entre deux mondes qui apparemment n’ont rien de commun: les êtres naturels contre ceux surnaturels. Voilà un duel costaud et cruel qui marquera sûrement un nouvel envol du passé tumultueux des dieux africains vers la connaissance d’autres réalités. Mais pourquoi s’acharner contre les dieux? Si les dieux du lac  sont un  objet de psychose pour les habitants du village, ces derniers ont-ils pour autant mandaté les jeunes de les en délivrer? Enracinés profondément dans leurs traditions, les villageois tiennent d’ailleurs pour sacrés les dieux du lac, convaincus qu’ « une élite coupée de la masse et qui ne se désintéresse d’elle ne sera qu’une caste sociale égoïste et manquant d’esprit humain » (p. 62). L’argument des jeunes est simple :  « La tyrannie et le manque d’humanité des dieux du lac, voilà ce contre quoi protestaient ces jeunes gens et jeunes filles qui forts de leur confiance en l’avenir, cherchaient à faire naître chez leurs compatriotes la compréhension, la sagesse et l’amour susceptibles d’établir l’entente et l’équilibre entre les Africains de bonne volonté et se servir de charte dans l’étude des relations humaines entre l’Afrique et l’Occident. » (P.87). De leur village en partance pour le bourg avec le passeur, Mme Ounéhou et ses deux enfants sont  confrontés  à la dure réalité professée par les étudiants dès leur retour sur la terre natale. Une lutte infernale éclata entre eux et les dieux du lac. Chacun de son côté, lutte pour sa suivie. Mais peut-on vraiment sortir vainqueur d’une lutte avec les divinités.

Olympe Bhêly Quenum, à travers ses deux premiers romans, témoigne certes de sa connaissance assez profonde des réalités africaines. Mais il en exhibe inlassablement les différentes facettes. Il porte indiscutablement un regard sociologique sur les différents événements du Dahomey (actuel Bénin) mais en général de toute l’Afrique. L’Afrique à la croisée des chemins qui hésite a quelque chose à revendiquer et à prouver au monde. Serait-elle le berceau de l’humanité pour rien? Le réseau lexical usité par Olympe Bhêly Quenum rend compte de sa parfait maîtrise de l’art de la description; et celle qu’il dresse du cadre où se déroule la trame de son œuvre nous fait visiter la côte  du Dahomey et soupçonner le Lac Ahémé : « Hindomin », dans les profondeurs du « hin » (Ahémé). Les figures de comparaison et d’amplification rencontrées de part et d’autres dans cette oeuvre souligne le caractère descriptif et analytique des faits évoqués. Quant au niveau de narration, il adopte une position mitigée. Si le narrateur principal qu’est l’auteur adopte une position intra-diégétique et hétéro-diégétique de par sa focalisation omnisciente, il fera adopter à certains personnages des positions narratives mixtes. Le registre langagier à la suite de « Un piège sans fin » est ici soutenu même s’il attribue à certains personnages un registre familier tels les pêcheurs. Le temps de la narration est d’un ralentissement notoire avec des descriptions itératives. « Le chant du lac » est agréable à lire. Il est d’une profondeur et d’une densité telle qu’on ne peut se passer de ce classique de la littérature africaine.

 

 

Références du livre

Œuvre: Le chant du lac (159 pages)

Auteur : Olympe Bhêly-Quenum

Éditions : Présence Africaine, Paris, 1965

 

 Gervais Dassi