Le cœur humain a ses inclinations perverses qui révèlent l’animal qui sommeille au fond de chaque être. Et lorsque la vie est ballotée par des vents capricieux et que l’horizon se fait pour le moins clair et net, la conscience manque de racine, et le cœur, désormais insensible à tout, se pose des questions profondes sur le sens de la vie, et interroge la Raison sur la raison d’être de l’homme malmené par les vicissitudes de sa propre histoire. L’esprit en conclut sans ambages : « L’enfer est mitoyen de la terre promise ».

Dans ce roman «Ces gens-là sont des bêtes sauvages», Gaston ZOSSOU nous entraine d’emblée dans une aventure plus ou moins ambiguë où le sort se joue de Amila. Pauvre Amila. Sa vie, tout au long du livre, dans chaque page où l’humour le plus désopilant se mêle à la gravité la plus caustique, ce qu’il peut appeler « sa vie » a été un chapelet d’épreuves où chaque bouée de sauvetage est en même temps une bouffée d’oxygène pour le malheur et l’échec qui se donnent la main pour le perdre. Jeune assistant moniteur à l’école catholique, estimé du Père directeur pour son zèle et son application, Amila semblait vivre sa vie jusqu’au jour où se confirma subitement le doute semé en lui par Aklassato qui l’avait prévenu que sa place n’était pas au séminaire, encore moins dans le rang des prêtres où le Père directeur pensait l’enrôler. Il répondit non à la requête de son maître mais son séjour chez ce dernier prit tragiquement fin quand, contre toute attente, le Père Supérieur découvrit sous son lit la lettre que lui avait envoyée Leta Naka, l’instigateur de la Révolution.

Dès lors, depuis son expulsion de la mission catholique « pour trahison », en passant par ses contacts avec les révolutionnaires, l’esquive de la mort préparée pour lui par ses « camarades de lutte » dans le village lacustre qui leur servait de refuge, son douloureux passage dans les entrailles de la prison d’où il s’est évadé avec ses amis Hakloka et Aklassato pour se voir confier la gestion des réfugiés dans un camp, la haine réciproque que se nourrissent les deux clans réunis au camp comme le scorpion et le caméléon enfermés dans un même bocal, jusqu’à l’issue fatale et tragique caractérisée par son échec et l’échec de tout le système mis en place pour assurer la cohabitation et si possible la réconciliation des clans ennemis Otrobas et Nounoubas, la vie de Amila se dessine, sous la plume de Gaston ZOSSOU, comme une fresque de chutes répétées et d’espoirs avortés, emportés par les rafales des impétuosités imprévisibles et hargneuses de l’existence. Victime des situations fâcheuses comme provoquées par les forces cosmiques qui s’acharnent contre lui, il rencontre des personnes tout aussi torturées par la vie et broyées par l’immense poids des forces des choses dans l’ombre : Atchi, fille de Ganvoékon et son mari, ingénieur de pont, jeune couple heureux culbuté soudainement sur le bas-côté de la vie des gens normaux pour échouer sous le pont, devenu désormais leur domicile fixe.

Nous assistons dans ce livre à la déchirure intérieure amèrement vécue par Amila qui a vu se briser progressivement et successivement entre ses mains la perche que lui tendait la vie pour le sortir des abîmes où le malheur et le mauvais sort tentent de le maintenir. Mais au-delà de l’histoire du pauvre Amila et de ses amis d’infortune Aklassato et Hlakoka, l’auteur nous fait revoir la condition humaine sous l’angle de la fragilité de la vie et de l’existence humaine qui ne tiennent pas à grand-chose. Un seul faux pas, une petite imprudence, la moindre incartade, une insignifiante étincèle, et prend feu toute une vie bâtie à coups d’efforts et de sacrifices…

Ce chef-d’œuvre de Gaston ZOSSOU qu’il faut lire et relire absolument est assez intéressant en ce qu’il s’impose de soi comme une relecture synchronique de l’histoire de nos sociétés qui désespérément tentent de se construire sur le sol mouvant et fangeux des haines héritées de l’autre âge et que l’on transmet aux générations suivantes comme le plus grand trésor, le plus précieux héritage de l’humanité. Il se fait pourfendeur de ces consciences larvées qui entretiennent et cultivent l’intolérance dans le jardin infect de leurs cerveaux rongés par les vers de la peur de l’autre, de la vengeance, et du refus du droit à la différence. Il l’a fait avec un style joyeux, rigoureux et agréable. Le ton est net. La métaphore a été généreusement sollicitée pour mettre en valeur les proverbes et les allégories « gun« . Penser juste, et dire clairement ce qui est pensé, telle est la tâche à laquelle l’auteur s’est donné….

Destin Mahulolo

  1. Je l’ai lu et aimé autant que vous visiblement… Je l’ai dit ailleurs, Gaston Zossou est un excellent écrivain à qui son engagement politique ne fait pas justice en littérature, du moins, chez nombre de béninois.

    • Absolument, chère Carmen Toudonou. Le jour viendra, et l’on saura ce que vaut cet homme