Effondrement « civilisationnel » d’un peuple, pourrait-on de façon métaphorique, retenir de la lecture de ce livre historique « Crépuscule des temps anciens » (250 pages, Présence Africaine, Paris, 1962.) Surmonter son complexe d’aliénée, ses rancœurs, ses sauvageries et boutades de toutes sortes, travailler aux delà de ses limites, croire en ses potentialités et surtout se réconcilier avec elle-même et ensuite avec le reste du monde singulièrement l’Europe, est-ce à ce que Nazi Boni convie l’Afrique? De toute évidence, à travers sa production littéraire, l’auteur laisse entrevoir une Afrique sous trois différents clichés: une Afrique des temps anciens, une Afrique secouée par ses propos maux et celle des temps nouveaux. Mais avant tout, le livre se veut une chronique: chronique des Bwamu, chronique d’une histoire empreinte des exploits d’une contrée africaine fière de ses atouts. Et  l’auteur nous emporte dans une spirale d’épopées qui vont de l’évocation de l’âge d’or des Bwamu pour s’achever dans le sang et les ruines de la grande révolte de 1916. Et à la fin du livre, du bout de la plume de Nazi BONI, on mesure la détresse et la tristesse de ce peuple maté et martyrisé. De cette révolte et de sa répression, le Bwamu porte encore les stigmates. La vue sur la vie d’un village soumis aux rythmes des saisons et des tâches quotidiennes, le lever matinal, le départ aux champs et toutes ces merveilles qui font penser au bon vieux temps. L’Afrique vivait dans une plénitude qui, sans doute s’accommodait aux réalités de ses temps d’une pluralité de divinités. Elle « jouissait d’un riche trésor de mystères et de magies » (p. 21) : les Nanyê-kakawa, homme génies ; Daandoanwa, génies guerriers ; Kanni-nipoa, habitants des cavernes; une multitude de dieux qui œuvraient pour la prospérité des hommes. Il y avait aussi sur cette terre de belles créatures valeureuses et vertueuses, de véritables guerriers capables de mourir pour la défense de la patrie. Au nombre de ces multiples créatures, Souroumanterhé, l’intrépide héros patriotique et Kya, le téméraire, héros patriotique également se distinguaient de par leur bravoure, deux héros capables d’une victoire sûre qui se noient dans un vil affrontement, provoqué par le dernier et encouragé par son géniteur. Qu’en sera-t-il de l’honneur, des gloires, de la réputation et des renommés de ces derniers ? « Le vieux Bwamu vivait ses derniers moments de bonheur fait d’insouciance et de quiétude » sans se rendre réellement compte de la triste aurore d’une ère nouvelle qui pointait à l’horizon. Il reçut la visite d’un homme phénoménal descendu du ciel (p. 215) : porte ouverte à l’exploitation et la colonisation des Noirs par les Blancs. Destruction du patrimoine et de l’histoire des Bwamu. Triste et tragique crépuscule des jours fastes où la convivialité et l’harmonie berçaient les vies. De peur que ce passé ne soit emporté dans les vagues tumultueuses de l’histoire, Nazi Boni se fait gardien de la mémoire Bwamu. Sa belle production interférée de multiples passages poétiques, mais aussi des dialogues entre personnages comme au théâtre, est un monument littéraire truculent et éclectique. L’intrigue suivant le schéma narratif se livre de façon progressive, forçant l’attention du lecteur. La situation de départ introduit le glorieux passé de l’Afrique (peuple Bwamu), une multitude d’actions s’ensuit jusqu’à la triste disparition des temps anciens qui scelle la chute des propos de l’auteur, « partez, tournez dos à l’aurore des temps nouveaux, et abandonnez à son triste sort l’étrange monde des m’as-tu vu. » (p.250). Jonché de multiples expressions de dialectes africains, le livre est également pétri de figures de rhétorique. De façon monotone, le narrateur créé par Nazi Boni, s’adresse au narrataire à travers une position qui efface sa présence (hétérodiégétique) et n’est objet d’aucun des récits racontés (extradiégétique). Il s’est ainsi situé dans une situation de description extradiégétique-hétérodiégétique. Il se focalisera alors pour la sélection de l’information narrative à une vision illimitée (focalisation zéro) « arrivèrent deux émissaires dans la ville. Ils portaient un heureux message » (p. 133). Le mode de narration employé est mimétique, le narrateur s’étant préservé de l’utilisation du pronom personnel « je » dissimulant les signes de sa présence. Nazi, par ailleurs, offre aux lecteurs, à partir d’une narration ultérieure, axée sur le mode singulatif (évoquer une ou plusieurs fois les événements qui se sont déroulés une ou plusieurs fois) les exploits de Térhé et de Kya, les coups bas du père de ce dernier ainsi que les cérémonies successives qui ont eu lieu. De multiples pauses s’observent au cours du récit traduisant un ralentissement narratif. La description s’est inscrite dans un plan temporel d’aspectualisation des événements par affectation comme on pouvait le constater au début de l’oeuvre « il y a de cela … Ainsi s’exprime l’ancêtre du village » (p.21), dans le but de mieux orienter le lecteur. Que ce soit au niveau narratif ou de l’histoire, l’oeuvre de Nazi Boni plonge dans un univers de connaissance amplement riche.

 Gervais Dassi