Cela faisait un bout de temps que le soleil s’était couché sur la petite bourgade. Les rues étaient désormais désertes. Dans les concessions, les lanternes s’éteignaient les unes après les autres. Dans un quartier où l’on n’avait pas le luxe de l’électricité, l’on était contraint de s’endormir tôt. Faute de distraction, les hommes rejoignaient tôt la couette et y attendaient de pied ferme la maîtresse de maison. C’est à ce moment de la journée où toute âme sensée se tenait bien au chaud dans son lit, que l’autre vie de Latifa prenait corps. Tel un hibou qui ne déployait ses ailes qu’au plus sombre moment de la nuit, elle attendait que la nuit prenne possession de la ville pour s’élancer vers ses folles virées.

 

Le petit Amin venait de s’endormir. Elle le prit et alla le coucher près de sa mère. Mam Fatim leva sur elle un regard de résignation. « Je m’en vais, mam» susurra-t-elle. Mam Fatim ne répondit pas et referma les yeux. Elle entendit les pas de sa fille s’éloigner, serra son petit-fils contre elle et fit une prière inaudible. Une fois de plus, elle ne pourrait fermer les yeux jusqu’au retour de sa fille.
Latifa se dirigea comme à son habitude vers « La Rose Noire », la boîte de nuit qui lui servait de terrain de chasse. Il venait de sonner vingt-trois heures. C’est l’heure qu’attendaient les anges de la nuit pour s’y fondre. Elle s’était vêtue d’un voile noir et d’une longue tunique qui ne dévoilaient la moindre parcelle de son corps. C’était un accoutrement pour le moins curieux pour se rendre à une boîte de nuit.

 

Mais dans un pays à 99,99 % musulman, la femme ne devait laisser contempler la plus infirme partie de son corps. Elle marcha un moment et une fois au bord de la voie bitumée, elle prit un taxi qui la déposa à « La Rose Noire ». La sono était déjà à fond. Des filles voilées comme elle, convergeaient des quatre coins de la ville vers l’entrée de la renommée boîte de nuit.Quand Latifa entra, elle se dirigea vers un sombre endroit à quelques encablures de la porte d’entrée. Là, on se serait cru à une foire de foulard, de voile et de tunique.

 

 

Latifa s’empressa d’ôter ses attributs de femme musulmane qui l’encombraient. Et là, ce fut la métamorphose, sa longue tunique fit place à une minirobe si sexy qu’elle pourrait rendre sa virilité à un impuissant. Elle laissait admirer ses magnifiques jambes. Latifa était une femme d’un métissage inédit comme le sont la plupart des filles de cette île. Elle avait quelque chose d’arabe, d’africaine, de chinoise, d’européenne et d’indienne. Ce mélange cosmopolite donna naissance à une peau à la fois douce et ferme, d’un teint à nul autre pareil. Elle avait un visage d’ange que de petites fossettes creusaient quand elle souriait. Une chevelure d’une noirceur intense venait donner un point d’orgue à ce magnifique tableau qu’elle était à elle toute seule.

 


Ce fut donc cette créature de rêve qui traversa la porte de la discothèque. Le temps s’était comme arrêté un instant à son passage. Les hommes qui se trémoussaient sur la piste de danse perdaient subitement le rythme. Les compagnes les plus investigatrices comprirent vite la source de ce subit étourdissement et tournaient promptement le visage de leurs mecs. Latifa vint donc s’asseoir au bar. Elle était sous son meilleur jour. Elle savait que les affaires seraient bonnes cette nuit. Elle fut rejointe par quelques copines qui ne tardèrent pas trop à côté d’elle. Il ne fallait pas qu’elle leur fasse de l’ombre. Elles ont beau être bonnes copines mais à chacun son entrejambe. Les premiers prétendants ne tardèrent pas à venir « tâter le terrain ». Il ne fallait pas se laisser au premier venu. Elle se devait de se faire désirer. Elle les repoussa tous, dans un premier temps. Même si l’on était une source universelle de plaisir, il y avait un minimum de commodité. Il fallait éviter les hommes radins. Ceux-là se reconnaissaient par leur propension à prendre la fuite dès que vous leur demandez de vous offrir un verre. Les hommes obèses n’étaient pas ses favoris, elle préférait s’en passer car il était fort difficile de prendre son souffle quand ils s’allongeaient de tout leur poids sur vous. Et ils avaient mauvaise presse quant à leur endurance. Les hommes avec un air de barbares n’étaient pas également sa tasse de thé. Autant qu’elle le pouvait, elle accordait ses faveurs à de beaux spécimens, élégants et jovials. « Quand on peut allier plaisir et business, pourquoi s’en passer? », se disait-elle. Après avoir pris la température de la faune de mâles à sa disposition, il fallait les laisser mariner encore un peu. Elle se dirigea donc vers la piste de danse et se mit à se tortiller d’une façon sensuelle, dévoilant encore un peu plus les trésors que cachait difficilement sa minirobe. Elle les rendait un peu plus fous. Ils se mirent à défiler devant elle, lui proposant à tour de rôle d’être son cavalier. C’était le moment de choisir. Après avoir congédié les trois premiers, le prochain qui se présenta semblait tout à fait à son goût. Et elle avait raison. Il avait le rythme dans le sang, et quand l’occasion lui était donnée, il la tenait fermement mais avec respect, laissant entrevoir toute sa vigueur. Elle n’attendait qu’une chose, qu’il lui demande de lui tenir compagnie pour le reste de la nuit. Ce qui ne tarda d’ailleurs pas.

 


– Pourrais-je être seul avec toi pour le reste de la nuit ? Lui chuchota-t-il.
– Pourquoi pas ?
– Cela me coûterait combien ?
– 20 000 seulement, mon chéri.
– Ok. Cela me va.
– On va chez toi ou dans un hôtel ?
– A l’hôtel, ma chère. Je suis marié.
Après avoir esquissé encore quelques pas de danse et « chauffé » encore un peu les moteurs par des attouchements indiscrets, ils s’éclipsèrent. Monsieur voulait profiter au maximum de son investissement. Ils prirent donc une chambre dans un hôtel et passèrent donc une folle nuit de plaisir.

 

 

Dans la concession familiale, nul n’était encore réveillé sauf Mam Fatim qui attendait avec anxiété le retour de sa fille. Le jour s’annonçait en zébrant le ciel de quelques éclaircis de lumière. Une fugace somnolence s’emparait de Mam Fatim quand on poussa la porte de la chambre. Sa fille bien aimée était rentrée saine et sauve. Gloire soit rendue au Tout Puissant Allah, le miséricordieux. Et ce matin, elle était rentrée bien joyeuse.
– Salamalekou, Mam.
– Malekoum Salam, ma fille.
– Et Amin ? Il ne s’est pas réveillé de la nuit ?
– Non.
– Tiens Mam chérie, dit Latifa, en tendant un billet de dix mille à Mam Fatim. Achète de quoi manger pour la semaine. Il est également temps de t’acheter de nouveaux voiles. Je te veux toujours rayonnante, ma maman adorée.
– Merci ma fille. Qu’Allah te le rende au centuple. Va dormir un peu.

 


Latifa prit Amin et l’emmena coucher dans sa chambre. Il sonnait déjà 06 heures. Elle s’assoupit. Aussi délicieuse qu’était la nuit, son client ne lui avait laissé le moindre répit. Le manque de sommeil combiné au sport nocturne qu’elle s’infligea, la plongea dans un sommeil très profond. Elle venait à peine de poser ses valises au royaume de Morphée quand son réveil sonna. Elle rageait contre cette horloge qui ne daignait ralentir la course de ses aiguilles. Il était 07 heures, elle devait amener son fils à l’école et se rendre à son boulot. Pestant contre tous les dieux, elle réveilla Amin, le lava et l’habilla.

 

 

Mam Fatim, bien que n’ayant pas fermé les yeux de la nuit, était déjà sur pied depuis une bonne heure. Deux bols chauds de bouillie de riz fumaient déjà sur la table à manger. Elle se hâta de l’avaler ainsi qu’Amin. Lancée dans une course contre la montre, elle amena in extremis Amin à son école avant qu’ils ne ferment le portail. Quant à elle, elle pointa au restaurant à 8 heures passée de 10 minutes. Le gérant ne lui en tint pas rigueur. Il savait qu’elle était la coqueluche de son restaurant, il fallait donc la ménager. Une partie des énormes pourboires que les clients lui laissaient échouait aussi dans sa besace à lui…

 

 

 

ZINKPE Théodore Gildas Adanchédéwea