Aux dames bien nées, la splendeur ne trahit pas la précocité de la maturité. Oui elles sont bien nées, ces plumes qui, très tôt, se prêtent aux grands ramages et les hautes altitudes sans crainte de subir les mêmes revers qu’Icare. Et c’est à Carmen Toudonou et aux autres « rêveurs » (Cf. la préface de Habib DAKPOGAN) que nous devons ces précieuses perles qui ornent désormais le diadème sacré de notre littérature. Avec tous ces rêveurs, nous pouvons rétorquer à Freud que le rêve n’est pas toujours une réalité manquée. Ils ont cru en leur rêve, et aujourd’hui nous voici comblés de savourer ces délices de Miss Littérature. L’initiative en soi répond à cette noble maxime fon : « Nul  n’est assez pauvre qu’il n’ait soi-même à donner« . Générosité. Don de soi. Amour. Oblation. Nul n’est assez dépourvu de charme qu’il n’ait des mots à offrir. Et c’est là le défi originel. Faire découvrir à la gent féminine que la beauté n’est pas qu’un visage rutilant comme le cristal ou un corps de bombe anatomique. Tout charme passe. Ce qui demeure, c’est le verbe, car il est éternel. Miss Littérature, c’est un appel à aller au-delà de la carcasse corporelle pour la contemplation et la manifestation de ce foyer d’ignition et de vie qui brûle aux tréfonds de chaque âme et où l’Infiniment Petit est constamment en colloque avec l’Infiniment grand. Grand rêve, s’il en est. Noble ambition, s’il en est. A la fin, on dira « il était une fois, Miss Littérature », non comme une gloire du passé, mais comme un événement toujours présent et actuel qui fait éclore de nouveaux bourgeons pour la littérature béninoise, une pépinière pour la relève des lettres de chez nous. On le voit bien, les dix finalistes au concours Miss Littérature répandent leur verbe dans le temps et l’espace en prolongements harmoniques au Logos Eternel. Leurs textes sont regroupés sous le magnifique et univoque titre de « Diadèmes« . L’œuvre est parue aux Editions Vénus d’Ebène en Juillet 2017, un an après l’élection de la Miss Littérature 2016. Sur la première de couverture, on voit les neuf autres lauréates, toutes souriantes,  graviter autour de Charlène, Miss Littérature, comme les astres d’un renouveau du livre chez nous. Ce recueil de dix nouvelles, nous essayerons juste de le résumer et d’en tirer quelques leçons.

 

 

1- Contenu commenté

L’œuvre s’ouvre sur une scène décapante décrite par Océane Maria Adjovi, à travers « Sans retour« . Une photographe est victime d’un viol collectif. Le défi est colossal : reconstituer les différents clichés de ce scénario macabre. Recoudre cette vie déchirée et souillée par des mains scélérates. La victime refuse vit intérieurement ce martyre et se ferme à tout refoulement et épanchement. Le plus dur pour elle est qu’elle ne pourra plus jamais concevoir : « J’étais jalouse de toutes ces femmes qui avaient le droit de porter un enfant, et pas moi. » Quand jalousie et dépression se donnent la main pour dicter votre conduite, pouvez-vous échapper au pire? Au meurtre? La tragédie est parfois plus près de nous que notre propre ombre : nous la portons comme un « Enfer Passionnant« , titre de la dernière nouvelle. Ici, c’est Anissath AKADIRI qui est aux commandes. Tel un volcan en éruption, elle crache sa révolte et sa désolation de voir les femmes abusées par des hommes. La conclusion à laquelle elle est parvenue est-elle proche de la réalité? Voici ce qu’elle fait dire à Reine : « Tous les hommes ont ce défaut en eux! L’infidélité et le mensonge sont les compagnons de ces êtres barbares qui ne veulent que satisfaire leurs instincts sexuels.« (p.124). Reine a-t-elle été prise à son propre piège? De toute façon, elle était la « copine » de Fabian. Et voilà que Fabian, contre toute attente, devient le « copain » de Gracia. Et pourtant Gracia et Reine étaient les meilleures amies au monde. Deux amies amoureuses d’un même garçon. Quel doux enfer! Mais attention aux escalades : Reine s’est arrêtée, c’est-à-dire qu’elle devra attendre le prochain mois pour savoir si ces règles seront retrouvées. Mais ce n’est pas tout. Le fruit des entrailles de Reine mûrit. Yémalin naît « sans-père ». Fabian n’a jamais rien voulu savoir de ce qu’est devenue Reine. Bien des années plus tard, Yémalin et Fabian se rencontrent. Un amour vient de naître. Mais tout se solde ici par la mort subite. Dommage on ne retrouve pas tout dans la vie. C’est ce que nous apprend Sylvie GOUGBE dans la neuvième nouvelle intitulée « Sens interdit« . Thomas qui était très pauvre, devient subitement riche. Ascension fulgurante. Sacrifices humains pour la gloire de Kinninsi, opulence outrancière et insolente. Mais comment tout cela finira-t-il? La vie est jonchée de sens interdits et les rencontres qu’elle occasionne ne se ressemblent pas toujours. Lucrèce KINHOU raconte dans la troisième nouvelle : « Une rencontre peu ordinaire« . Une vieille femme vit seule dans sa cabane, attendant le dernier jour. Alors qu’elle s’y attend le moins, un étranger, Gérard « élit » domicile dans sa vie, brisa les verrous de sa solitude et lui redonne la joie de vivre. Ils deviennent des amis inséparables, même si Gérard a bien souvent des comportements bizarres comme par exemple « se coucher à même le sol » (p.35). La santé de la vielle faiblit. Si le fil de sa vie est bientôt tranché, éternelle est sa reconnaissance envers Gérard. Mais qui se cache derrière ce personnage énigmatique de Gérard? C’est là le hic! On le sait tous, « L’envers de la médaille » est toujours différente de « l’endroit « de la médaille.

 

 

Charlène ODUNLAMI, la Miss Littérature 2016, dans la huitième nouvelle intitulée : »Revers de Médaille« , situe son action en plein cœur de Cotonou. Amour entre professeur et étudiante. Bonjour les dégâts. Qui sera épargné? Prince, le professeur séducteur qui trompe angéliquement sa femme? L’étudiante qui rêve d’une vie paradisiaque bâtie sur son amour pour son professeur dont la richesse ne va pas sans les détournements des fonds publics? Et pourtant elle le savait marié. Ici aussi, comme ce fut le cas avec Thomas dans « Sens interdit« , la mort ne manquera pas sa proie. Mais qui partira au séjour des morts? Ce n’est certainement pas « Pedro Vox« , personnage principal qui a donné son nom à la troisième nouvelle écrite par Reine-Marie DONOUVOSSI, la deuxième dauphine de Miss Littérature 2016. Pedro Vox et sa sœur Rona sont des orphelins. Le garçon a une sainte aversion pour l’effort et le sacrifice. Sa vie n’a de sens qu’en compagnie de mauvais amis qui, malheureusement, ne vivent que pour l’alcool et ses frères et sœurs, le vol, le gangstérisme, les femmes, la mégalomanie. Il est prêt à faire feu de tout bois pour se faire de l’argent. Il n’hésite pas à livrer sa sœur à une bande Mais au terme des opérations, il comprend qu’à chaque malin, il y a toujours un malin et demi. Sacrée Rona. Si cette dernière a pu échapper à Pedro Vox, la fille de la septième nouvelle : « Confessions » que nous offre Murielle Hounwèdo, réussira-t-elle à se libérer de l’engrenage de son frère décidé à la contraindre continuellement à l’inceste? La mort apparaît parfois comme la panacée lorsqu’on se retrouve dans des impasses. Mais est-ce toujours la meilleure solution? On ne se pose pas de question quand on est amoureux. Gloria DEGBOGBAHOUN atteste que l’amour se fout des raisonnements et des appels à la prudence. Et on le voit bien dans « De terre et d’eau« . Aqua-Prince et sa dulcinée s’aiment à mort. Mais l’homme est consacré à la déesse des eaux dont la jalousie est plus dévastatrice que la bombe atomique. Il y a des amours qui sont des sens interdits. Elle l’apprend à ses dépens, mais évidemment, beaucoup de sang aura coulé, tout comme beaucoup de larmes couleront sous la plume de Floricia KOUTON, qui dans la sixième nouvelle « Ma mère, ma rivale » nous fait entrer dans un univers d’inimitiés familiales. Une mère hait sa fille et la prive de l’avoir que son père lui a laissé en banque. Tous les efforts fournis pour se rapprocher de sa mère pour recoudre le tissu de l’amour filial, sont vains. Et à la souffrance d’être rejetée par sa propre mère, s’ajoute pour la fille celle de se faire violer par une bande de vauriens. La mère tombe malade. Son cas est alarmant. Mais aura-t-elle le temps de se réconcilier avec sa fille avant d’entrer dans les antres de la mort pour le sommeil éternel? Si Fabian s’est retrouvé « copain » de Reine et de Gracia, « Chérif, dans la nouvelle éponyme se retrouve « gérant » une mère et sa fille. Scandale : Houéfa et Hermione, la mère et la fille, sont amoureuse du même homme. Le dénouement est des plus abracadabresque. On ne saurait le raconter. Il faut le lire pour découvrir la suavité de la plume d’Oriane TODAN, première Dauphine de Miss Littérature 2016.

 

 

2- Quelques leçons

Deux leçons se dégagent entre autres du recueil. La douleur et la révolte.

De la douleur : Après avoir lu « Diadèmes« , on se demande si les candidates avaient pour mission d’écrire sur le thème de la douleur. L’œuvre est traversée de part en part par ce souffle de dolorisme qui va de la désillusion à la mort. A quelques exceptions près, du bout de leurs plumes, les auteures ont toutes « versé le sang« . L’œuvre se situe comme aux antipodes de l’optimisme voltairien. L’univers présenté dans « Diadèmes » se fait plutôt proche de celui de « Jacques le fataliste » de Diderot. Et si tout est bien dans le meilleur des mondes chez Voltaire, dans le monde de « Diadèmes », l’espoir s’étiole au fil des pages, laissant place à un enfer passionnant fait de mélancolie et de spleen. Un climat d’insécurité accueille lecteur du premier à la dernière nouvelle. Aucune joie saine, sinon celle sadique de voir par exemple Rona retourner la situation en sa faveur en se faisant ravisseuse de son ravisseur de frère. L’amour s’en va sans retour, l’être s’engouffre dans les sens interdits de la vie, la mère et sa fille sont amoureuses d’un même homme si elles ne sont pas rivales, un frère qui cherche à violer sa propre sœur, l’amour d’un homme qui divise deux amies sincères, une déesse qui est jalouse d’un homme fait de terre et d’eau, privant ainsi la dulcinée de vivre à fond son amour, un professeur qui sort avec son étudiante et qui finit dans le sang, une vieille qui perd son meilleur ami… voilà l’univers sombre et lugubre que crayonne « Diadèmes« .

 

Le monde n’est-il que douleur? N’est-il que souffrance où le cœur des hommes est constamment traversé par des harakiris? Mais il y a comme une solution à la douleur : respecter la nature. Car au final se pose toujours l’éternelle question de « Qu’ai-je fait de ma vie? A quoi m’a servi tout cet argent ? » Et la vie de lui répondre : » Male parta male dilabuntur » (Bien mal acquis ne profite jamais) » Retrouver sa vie et échapper à la douleur, cela demande aussi parfois qu’on soit stoïcien et qu’on respecte les sens interdits qu’il y a dans la vie. Le sage fon avait raison : « Gnin Gbessou bo djo bo do : observe les interdits de la vie, la loi naturelle et les forces et les forces occultes ne te seront d’aucune utilité. » Autrement, tout le reste ne sera que révolte.

 

 

De la révolte : On ne peut lire « Diadèmes » sans réaliser cette révolte qui habite la plupart des auteures de ce collectif. Ici la révolte est orientée vers la gent masculine. Les auteures présentent les hommes comme des prédateurs impénitents qu’il faut dézinguer, de vils individus avides de plaisirs libidineux qu’il faut recadrer. Anissath AKADIRI reprend à son compte la célèbre phrase de Savan Alla : « Les hommes n’ont plus rien dans le cœur, ils ont tout en bas« . L’auteure de « Un enfer passionnant », comme dans la « tectonique des sentiments »  d’Éric-Emmanuel Schmitt nous fait valser de l’amour à la haine, mais toujours avec ce souci permanent de donner un sens à sa révolte en tuant Fabian : il devait récolter ce qu’il a semé. Et pour donner une tournure dramatique au récit, il fait périr Reine le jour où Yémalin découvre qui est son père. La plume d’Océane ADJOVI distille la même révolte qui, chez elle, se solde par une turpitude :  » Une idée, soudain, me vint. Si j’empoisonnais la source de la maternité, elles mourraient toutes. » (Pp 27-28). Si avec « Confessions » on a assisté à une tragédie où la sœur se donne la mort pour éviter d’être continuellement souillée par son propre frère, « Diadèmes » toutes les nouvelles retentissent de ce cri de détresse qui se fait révolte. En effet, comme témoins de leur temps et en même temps comme des prophètes, les auteures embouchent la trompette de la dénonciation des maux dont les femmes sont victimes de par le monde. On peut retenir que « Diadèmes » est une œuvre osée. Y résonnent les échos de Camus qui écrit dans « L’homme révolté » :  » La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création toute entière« .

 

 

Conclusion

« Au commencement, écrit Habib DAKPOGAN dans le mot introductif, il y avait un défi, fou« . A la fin, conclut Ganiath BELLO, «  Miss Littérature édition 2016 a accouché de Diadèmes ; un enfant audacieux et mûr avant l’âge. » (https://ganiathbello.net/2017/07/11/%E2%80%8Bdiademes-de-jeunes-ecritures-osees/). Les dix nouvelles de ce recueil sont un chef d’œuvre remarquable tant dans la qualité des textes que dans la fluidité du style. Elles ont beau être jeunes ou précoces, ces plumes ont leur mot à dire dans l’histoire de la littérature béninoise. Avec « Diadèmes », elles apportent leur feuille à l’élaboration du livre chez nous, en prenant l’engagement d’aller au large. Que Carmen TOUDONOU et tous ceux qui ont œuvré à la réalisation de ce rêve trouvent ici la reconnaissance tous ceux qui croient que la relève peut être assurée quand on donne aux jeunes les moyens d’agir. On peut aisément lire dans cette initiative, un existentialisme qui prône le « be yourself » « et oriente l’être hors des sentiers battus pour lui faire reprendre à la suite de Gandhi :  » Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » Les dix plumes, bienvenues dès leur jeune âge, nous ont servi une œuvre d’une mélancolie et d’une suavité exceptionnelles. C’est ce que traduisent certainement les couleurs noire et jaune de la première de couverture. Au terme de ce travail, nous pouvons nous écrier : un enfant nous est né, un livre nous est donné. Il n’attend qu’à être lu. « Un trésor est caché dedans, je ne sais pas l’endroit » dira Jean de la Fontaine. Que chacun le prenne et le lise. Le livre est en format de poche. Facile à lire. Transportable partout.

 

 

Destin Mahulolo