Quand il se leva ce jour-là, il jura par tous les dieux, que cette journée sera l’une des plus belles de sa vie. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement, car cela ferait bientôt 30 jours qu’il se mortifiait, ne s’autorisant qu’un seul repaspar jour. Même si c’était un jeûne forcé qu’autre chose. Les deux mille francs que sa tante Assiba lui avait donnés, il s’appliquait  à les bien gérer afin de tenir le mois. Un plat de deux boules d’Akassa bien pimenté accompagné de fretins était son lot quotidien. Il ne  faut pas l’oublier, ce fameux vent du pouvoir de la « Cavalerie » avait soufflé si fort qu’il avait déraciné tout sur son passage en République des Bananiers Joyeux. Ses propres militants n’avaient même pas été épargnés. Et Sounoukpo, lui-même, sans le moindre copeck depuis six mois. Mais là, il savait que sa galère touchait à sa fin.

En effet, il y a deux semaines, il rencontra Aladji Ahannon, un homme fortuné avec qui, il avait milité pour l’avènement du pouvoir dit de la « Cassure ». Aladji lui avait promis de lui trouver un travail à la Direction de Surveillance des Marchés. Il lui avait donné rendez-vous pour ce jour. Avec toutes les prières, le jeûne, l’abstinence et toutes les autres privations, Sounoukpo était certain qu’une nouvelle ère commençait dans sa vie.

Il se mit sur son trente-un et s’en alla donc chez Aladji. Il était devant son bureau à 10 heures comme prévu. Mais la secrétaire lui fit comprendre qu’il était en séance de travail. Après trois heures d’attente, la porte du bureau d’Aladji finit par s’ouvrir et une belle femme,  teint clair, bassin en forme d’une bouteille de champagne, obus bien dressés à la poitrine, en sortit. Aladji lui fit signe d’entrer. Quand il entra, ce drenier était en sueur, débraillé mais d’une humeur joyeuse. La séance d’Aladji était consacrée à bien de choses sauf au travail. Mais ce n’était pas ses oignons, se dit-il.

– Fiston, comment on va ? Lança Aladji, vautré dans son fauteuil dressé sous l’effigie du premier des « Cavaliers », son Excellence Affokpé.

– Très bien, Boss.

– Ok. Parlons vite et bien. J’ai des postes de collecteurs d’impôt à pourvoir pour le marché. Tu es un bon petit et j’ai pensé que tu ferais l’affaire. Tu seras mon œil dans le marché. Puis-je avoir confiance en toi ?

– Bien sûr Aladji…

– De toi à moi, avec le régime de la « Cavalerie », tu sais que les budgets de toutes les institutions ont subi une cure d’amaigrissement ?

– Oui Aladji…

– C’est sans oublier qu’un homme politique doit entretenir sa base politique. Et pour le bien du régime qui se doit de garder son électorat, j’ai dû trouver une parade. Nous avons des tickets parallèles que nous émettons pour la collecte des taxes. Ces fonds me sont directement versés avec un pourcentage pour l’agent collecteur… C’est beaucoup de sous, mon petit. Tu te feras beaucoup d’argent aussi.

Sounoukpo buvait les paroles d’Aladji. Il s’imaginait déjà toutes les belles nanas qui lui succomberaient, les nuits chaudes qu’ils passeraient dans les bistrots et les boîtes de nuit…

  • On peut faire affaire? Finit-il par entendre de la bouche de son recruteur.
  • Oui Aladji, je suis votre homme.
  • Bien parlé. On se voit lundi donc pour que tu commences.

Sur ces mots, Aladji se leva pour le raccompagner. Mais au moment de le congédier, il lui lança :

  • As-tu apporté la photocopie de ton diplôme comme je te l’ai demandé ?
  • Oui, oui….
  • Donne cela à la secrétaire. Ici, nous prônons l’excellence. Et le minimum exigé pour le poste d’agent collecteur, c’est le BAC. Mais je sais qu’avec tout le temps que tu as passé sur les bancs, tu l’as. N’est-ce pas ?
  • Si Aladji. Mais c’est la photocopie du CEP que j’ai apportée. Je ne savais que le BAC était exigé. Je rentre de ce pas, le chercher.
  • Ah, Sounoukpo, comment tu peux faire cela? Fais vite. C’est aujourd’hui le dernier délai pour les dépôts de dossier.
  • D’accord Aladji, comptez sur moi.

 

 

Théodore Gildas ZINKPE Adanchédéwea