BL: Calmine AGBOFOUN : En tant que béninois, plongés dans une culture, nous voudrions nous intéresser tout d’abord à votre patronyme. Que signifie AGBOFOUN ? Quelles sont vos origines ?

CA: Je suis goun, originaire d’Akpro-Misserete. Au départ, le nom de famille  était AGBOVOUN ce qui veut dire « la bataille entre deux béliers ». Avec l’avènement de la colonisation, il a été francisé pour donner la forme qu’on lui connaît aujourd’hui.

BL: Votre ère culturelle favorise-t-elle une quelconque littérature ? Si oui, comment se manifestait-elle ? Aujourd’hui comment se décline-t-elle ?

CA: Je dois dire que cette ère favorise beaucoup de choses y compris la lecture. Mais malheureusement, elle n’est plus autant plébiscitée qu’avant. Est-ce que ce sont les lecteurs qui sont obnubilés par d’autres distractions ou les écrivains qui ne savent pas les intéresser, je ne saurais de le dire.

BL: La littérature orale et la littérature écrite ! Laquelle vous a attirée en premier ?

CA: L’écrit. J’ai toujours été une grande incomprise et une grande solitaire. Ce que je ne pouvais pas dire, je le couchais sur papier.

BL: L’art d’écrire et l’art de parler. Vous êtes écrivaine par votre premier roman, et journaliste par votre métier de tous les jours. Un lien à établir entre ces deux ? 

CA: Tellement l’écrit me passionne que j’ai trouvé une façon d’en faire mon métier. J’exerce en tant que scénariste et réalisatrice. Je vous laisse juger à quel point j’aime inventer des histoires.* Rires.

BL: Vous aimez lire ou vous aimez découvrir dans des lectures. Autrement dit, vous lisez juste parce que vous en avez envie ou vous lisez pour découvrir d’autres réalités ?

CA: Je lis avant tout pour me créer un monde autre que celui dans lequel je vis. Il est trop dur selon moi, trop cruel, trop tout, en fait. J’ai toujours aimé le temps d’une lecture, être ailleurs, me créer une vie de toutes pièces. Ça me permet forcément de découvrir beaucoup d’autres choses.

BL: Quels sont vos rapports avec l’idéologie féministe ?

CA: Je ne sais pas si je suis féministe. Je sais juste que j’ai une dent contre cette propension à vouloir que les femmes soient le sexe faible et qu’elles soient vouées à porter tout le poids du monde sur leurs épaules. J’en ai mare que notes soyons celles qui plient sous le joug des impositions, des privations, des interdits de nos sociétés plus patriarcales que jamais. J’ai horreur qu’on nous fasse endosser le mauvais rôle et je ne me fais pas prier pour crier mon ras-le-bol. Si ça fait de moi une féministe, alors, oui, j’en suis une.

 

BL: De votre roman, voici ce qu’écrit Jacques HOUEGBE : « Folle, elle est folle cette AGBOFOUN Sèna ; et franchement dingue dans sa plume. C’est le genre d’esprit perturbé qu’on veut lire juste pour obéir à ce sombre appel du mal quand tout tourne autour du mâle qui, ma foi, en fait baver le temps d’une érection mal gérée. AGBOFOUN Sèna, la passionnée du porno africain, est la seule qui devrait naître pour nous peindre celle qui ne devait pas naître dans une écriture excitante, trop bandante même sur fond de drame époustouflant. » Que vous inspirent ces paroles ?

CA: Noooon ! Il a vraiment dit ça ? (Rires). Je crois qu’il m’a percée à jour. Je n’aurais pas utilisé les mêmes mots que lui pour me décrire, C’est sûr. Mais j’écris comme je vis, de façon vraie et passionnée. Tout dans ma vie est passion, et c’est ce que je partage.

BL: La littérature, pour être authentiquement féminine et féministe, doit-elle nécessairement intégrer l’érotisme?

CA: Oh non ! Mon style ne se veut pas un modèle ou une norme. Il me ressemble, à personne d’autre. C’est ma façon de m’exprimer et je l’assume pleinement.

BL: Que voulez-vous exprimer à travers les personnages de Flora et de Claire?

CA: La même chose qu’à travers tout le roman. L’amour. Sous toutes ses formes. L’amour de cette mère pour sa fille qu’elle n’a pas pu assumer. L’amour dérangeant de cet homme pour sa stagiaire alors qu’il est engagé ailleurs. L’amour destructeur de cette jeune fille pour l’homme qui allait partager la vie de la seule personne qui l’ait jamais vraiment aimé… Et tout ce que ces femmes là sont capables de faire par amour. En fait, nous retrouvons des Claire et des Flora tous les jours de notre vie. Plus encore ces deux femmes sont tapies quelque part au fond de chaque femme. Et quand vient le moment de réagir, c’est celle que nous nourrissons le plus qui prend l’ascendant. Nous sommes toutes un peu Claire et un peu Flora.

BL: Le visage de littérature béninoise aussi bien sur le plan national que sur l’échiquier international vous satisfait-il? Que faire pour en redorer le blason?

CA: Je ne crois pas être en position de faire cette analyse. Je viens d’arriver comme on le dit dans ma langue. Je ne suis pas encore totalement au fait des réalités. Mais il y a des écrivaines qui me rendent fière. Et quand je lis ce qu’elles produisent, je me dis qu’on doit nous envier ailleurs.

 

BL: Une phrase a retenu notre attention, une phrase lapidaire mais dense et poignante, saisissante et flamboyante: « une femme malheureuse est une femme dangereuse » (P.136.). Qu’est-ce qui vous l’a inspirée et que voulez-vous exprimer à travers ces mots si joliment sculptés ? 

CA: (Sourire.) Une femme qui aime, mais qui est frustrée dans sa chair, une femme qui se sent menacée, une femme qui donne tellement mais qui reçoit peu, cette femme là est capable de vous faire un remake du plus flippant des films d’horreur que vous ayez jamais vu. Elle est capable du pire, et ce pire là est au delà de ce que vous pouvez imaginer. Ne me demandez pas de fournir des preuves de ce que je dis. Je suis une femme et je sais de quoi je parle.

BL: Quel rôle assignez-vous au septième art dont vous êtes une férue, dans vos productions littéraires?

CA: Après avoir lu mon roman plusieurs personnes m’ont dit : Sèna, quand on te lit, on a l’impression de voir un film. Déformation professionnelle oblige, je tiens particulièrement à l’aspect visuel de mes productions. Ce qui transparaît forcément dans mes écrits.

BL: Etre femme et écrivaine dans notre société aujourd’hui: comment le percevez-vous? Un défi? Comment? Une nécessité? Pourquoi donc?

CA: C’est d’abord une nécessité parce que ce que nous les femmes avons à dire ou à dénoncer, personne ne le fera jamais mieux que nous. Ensuite, c’est un défi car encore aujourd’hui malheureusement, il faut choisir entre être une femme et être une femme. Je m’explique : la femme est encore perçue comme celle là qui n’a pas voix au chapitre, qui vit dans l’ombre d’un homme et qui se définit toujours par rapport à lui. Quand on veut s’entêter et faire tout ce qui précède, alors, forcément, on est très vite catégorisé. C’est dommage, mais je crois que beaucoup de femmes fortes élèvent suffisamment la voix pour se faire entendre. Je ne perds pas espoir.

 

BL: Le débat autour de la Francophonie et la Langue Française est toujours d’actualité. Qu’est-ce que l’écrivaine francophone d’origine béninoise que vous êtes pense de cette question?

CA: Ce n’est pas le genre de débat que je fais. Nous devrons bien nous conformer aux restructurations le moment venu.

 

BL: Vous avez certainement des projets?

CA: En effet, des projets, j’en ai tellement que ça me fait peur d’ailleurs. Aussi bien dans le monde de la littérature que celui du cinéma, je compte faire mon petit chemin. Et une chose est sûre, je travaille dur pour y arriver.

BL: Votre mot de la fin

CA: Publier ce roman a été une belle expérience. Cela m’a fait me découvrir autrement et m’ouvrir aux autres. Ça n’a pas de prix. Ce n’est qu’un tout petit pas à la suite de mes aînées, mais ça signifie tellement pour moi. Je remercie juste toutes les personnes qui m’ont lu. J’ai été agréablement surprise. Merci aussi à vous de me donner cette occasion de m’exprimer. Vive la littérature Béninoise !

 

  1. C’est vraiment une femme incroyable et je suis honorée de voir ce qu’elle fait en tant que femme. Je suis partisante pour l’émancipation de la femme et surtout pour que chaque femme découvre ce qu’elle a de plus beau en elle. Si seulement on savait tout ce qu’on possède comme pouvoirs?! Bravo à vous Sèna et courage. Merci à aussi BILL