BL: Bonjour Euphrasie CALMONT, un mot en guise de présentation…

EC: Je m’appelle Euphrasie Hounkonnou Calmont. Je suis de pure souche du Bénin. Je vis à l’étranger. J’ai fait des études de Lettres, de Marketing à l’Université de Bordeaux, puis de Management à l’Université de Paris 12. Aujourd’hui, je me consacre à l’écriture de romans, de poésie, de biographie…

Vous trouverez sur le site ci-dessous, davantage d’informations sur mon parcours.

http://www.xn--consulat-benin-aux-antilles-franaises-0hd.com/le-benin-et-les-antilles-francaises/les-beninois-des-d-f-a/

 BL: Vous êtes auteur, romancière, dites-nous comment avez-vous commencé l’aventure ?

 EC: Comment suis-je devenue romancière ? C’est une histoire qui date de longtemps, je crois.

Très jeune, j’écrivais de petits poèmes. L’idée première, je crois, était de passer du temps avec la nature que j’aime et qui m’enthousiasme. Aujourd’hui je pense que j’affectionne le crayon ou le stylo parce qu’il m’aidait à garder trace de ces moments fugaces et intenses dont la nature me gratifiait sans que je n’y sois pour quoi que ce soit.

Par la suite, au lycée, je recevais souvent des prix en histoire. Je n’apprenais jamais par cœur mes leçons. Je trouvais cela rébarbatif qu’on nous obligeât dans ce sens. Alors, je lisais mes leçons. Chaque fois qu’il y avait interrogation écrite, tout naturellement, je reproduisais l’histoire à ma façon, respectant la thématique. Je m’en sortais avec des prix, sans jamais comprendre pourquoi, ni comment. Nous recevions des livres comme prix. Mon professeur d’histoire Isabelle Houézo m’a retrouvée sur Facebook par le biais d’Irène Koukoui Dèhoumon. Nous discutons de tout, toujours avec bonheur.

A la maison, il y avait aussi beaucoup de livres des frères et sœurs aînés. Je m’enfermais pour lire sur de longues plages horaires pour bien rentrer dans la peau des personnages. Je ne voulais en aucun cas, être perturbée quand j’ai décidé de lire. Seule une petite sœur était au courant du lieu de cachette, au cas où les adultes s’inquiéteraient d’une si longue absence de ma part. Par la suite, mes petits poèmes ont été suivis de plus longues rédactions.

BL: Comment en êtes-vous arrivée à décider de publier vos écrits ?

EC: La vraie question est là. En fait, je travaillais comme directrice de ventes dans une entreprise de la Martinique depuis plus d’une quinzaine d’années, quand subitement des grèves d’employés se pointaient de façon régulière. J’y travaillais avec mes diplômes de Lettres et de Marketing. Comme l’entente était au beau fixe entre les commerciaux et moi, le DRH m’a suggéré de faire une formation de Management pour être en mesure de l’aider dans les conflits sociaux. Voilà comment j’ai obtenu en cours de route, une Licence en Management de l’Université de Paris 12, tout en travaillant déjà. Ce n’était pas pour le plaisir de cumuler des diplômes. Sourire !

Lors de cette formation, il y avait deux thèmes de mémoire, l’un portait sur « l’histoire des syndicats en Martinique du début à nos jours« et l’autre avait pour titre: « Le dialogue social en Martinique« . Je me trouvais dans ce 2è groupe. En plus du mémoire en groupe, chacun devait présenter un projet personnel. N’ayant pas le temps de faire autre chose, puisque je travaillais à la société en même temps, il m’est venu à l’idée de présenter le texte que j’avais déjà comme tant d’autres. Ce texte d’ »Emma ou la rage de vivre » me semblait avoir un rapport élevé avec le dialogue social. La note fut excellente et les professeurs ont insisté pour que je l’envoie aux maisons d’édition.  C’est là, la petite histoire de publication. Et voilà, comment j’en suis arrivée à devenir romancière, comme vous dites.

 

 

BL: Vous avez à votre actif quatre ouvrages. A y voir de prêt vous êtes un chantre de la vie et de l’amour. Pour vous que représente la vie ?

EC: Pour moi, que représente la vie ?

J’assimile la vie à l’amour. La vie égale amour, à mon sens.  Vivre, c’est aimer et réciproquement, aimer, c’est vire. Tout au moins, vivre, aimer, ce sont deux vases communicants. C’est la raison pour laquelle nous voyons que, ceux qui vivent sans aimer, sont toujours aigris et pourraient même développer des maladies. Je ne suis pas en train de dire qu’il soit si facile de vivre et d’aimer toute chose, tout le monde et tout le temps. Je veux expliquer qu’il y a un choix de raison à faire pour vivre car vivre c’est avant tout donner un sens à sa vie. La vie, elle nous est donnée sans qu’on ait à choisir. L’enfant n’a pas décidé de naître. En revanche, le sens à donner à sa vie, ne dépendra que de ses propres choix. Et ce sens semble passer par l’amour :  amour décision et amour action.

Celui qui n’aime pas, ne vit pas. Il est aride. Il ne peut pas s’épanouir. Il se renferme. Il ne sait pas aller vers l’autre. Alors, il a ainsi vite fait le tour du monde, puisque son monde n’est que lui-même. Il s’ennuie et peut même se détruire ou se retirer de ce monde à la fin. Quelle misère il endosse, quand on imagine la grandeur du monde et les possibilités offertes.

Il faut aimer la vie, décider d’abord d’aimer la vie, et par la suite lui donner un sens.

 

 

Sans l’aimer, on ne prendra pas le temps de lui donner un sens. Sans cette décision de l’aimer, rien que les actualités du monde et autour de nous, ont vite fait de nous désespérer. Donner du sens, équivaut à être dans l’action. On l’aura compris : pas n’importe quelle action, pas de malfaisance, mais action de bienfaisance, action d’amour. A mon avis, il n’y a que par ce chemin que l’humain est sauvé de ce monde qui nous happe dans des exhortations de toutes sortes. Ces sollicitations vont du scientifique au matériel en négligeant le spirituel or la force et la joie de l’homme (joie de vivre) viennent de lui-même et non du scientifique et encore moins, du matériel. Je ne minimise pas le scientifique avec ses progrès gigantesques par ailleurs, ni le matériel. Non ! Je veux simplement arriver à dire que vivre, c’est d’abord aimer, aimer cette vie-là d’abord, ensuite lui donner du sens pour mieux la vivre.

Chantre de l’amour, peut-être ?

Dans mes écrits, je me rends compte que l’amour résonne. Vous avez probablement raison.

Dans « Emma ou la rage de vivre » : c’est l’amour de la vie, l’amour familial, la joie de vivre, la tolérance, l’optimisme… qu’on y croise par la voix d’une petite fille de 9 ans qui arrive à faire voir aux adultes que ce sont eux qui se compliquent la vie. La vie n’est que simplicité et amour, selon elle.

 

Dans « Les revers de l’amour » : ce monde de l’enfance comme un champ d’Eden dans « Emma ou la rage de vivre », vient à être entaché par des mésaventures cumulées et autres quiproquos par hommes et femmes dans un couple. Là aussi l’amour qu’éprouvent les parents pour ces hommes et femmes contribue à sortir de cet imbroglio. On y décèle en toile de fond, le lien intergénérationnel. C’est encore et toujours de l’amour !

 

 

Dans « Chemins de vie, chemins d’amour » : ce sont des centaines de textes que j’ai essayés de décortiquer et de peindre. Le point d’orgue rappelle sans nul doute ce penchant vertigineux vers l’amour dans les actes posés.

 

« Capital et Charité » démontre le gouffre des conspirations, des méchancetés gratuites dont on ne se rend même plus compte souvent, tellement beaucoup sont pris dans l’engrenage d’un système établi par le capitalisme ambiant.

Au fur et à mesure que j’avance dans mes écrits, ce sont l’amour et la vie qui me tiennent à cœur, vous avez raison.  Pour faire court, je dirai l’amour de la vie me tient à cœur.

BL: Les lecteurs se demandent certainement comment est-ce que vous arrivez à parler de deux notions aussi complexes. Votre inspiration vous vient-elle de vos expériences ?

EC: Est-ce que mon inspiration me vient de mes expériences ?

Je dirai que oui ! Mais je pense qu’il y a un penchant à la base, penchant que je ne maîtrise pas, puisque je vous disais que depuis mon très jeune âge, je tenais à la nature et à mon crayon. Les arbres, les fleurs, les papillons, les oiseaux, tout y passait. Tout m’intéressait, m’amusait, m’occupait, me distrayait. J’ai comme un manque, si je m’obstinais à rester uniquement dans le monde, sans prendre ce recul-là. J’ai grandi ainsi et cela me poursuit, gentiment, sereinement et toujours avec conviction et enivrement.

Mes expériences et surtout mon sens d’observation me servent dans ce sens. Pour écrire, les faits divers dans les journaux ou les faits que j’observe autour de moi ont des effets catalyseurs. Par la suite, je questionne des personnes autour de moi, médecins, avocats, géographes, commerciaux…la catégorie de métiers nécessaires pour maîtriser le corps de mon sujet. Je ne compte pas sur ma seule expérience pour écrire car écrire dans le cadre d’une publication, la petite rédaction de ma propre expérience ne suffirait pas pour développer les idées que je veux faire ressortir.

 

En cela « Capital et Charité » est un condensé d’expériences de plusieurs personnes interrogées, expériences entrecoupées, arrangées, dosées et /ou menées au paroxysme par la fiction pour le roman.

BL: Il est dit souvent que l’inspiration se manifeste le plus souvent dans les lieux les plus insolites (douche, au lit, à la cuisine etc.) Partagez-vous cet avis ?

EC: L’inspiration se manifeste à n’importe quel endroit. Je partage cet avis. C’est absolument vrai pour moi. J’ai de petits carnets partout : à mon chevet, dans la voiture, dans mes bibliothèques, dans mon sac, dans ma poche en allant faire du sport. Si l’inspiration me surprend malgré tout, j’envoie un petit mail à moi-même à partir de mon téléphone portable. Cela frise le ridicule, mais c’est naturel, comme un jeu ; cela fait partie de moi.

BL: De tous vos ouvrages il n’y a que dans « Emma ou la rage de vivre » que l’intrigue se joue en partie dans une ville du Bénin. Pourquoi ce choix ? Un retour aux sources enfin ? Nécessité de révéler le Bénin au monde ?

« Emma ou la rage de vivre » se joue intégralement au Bénin. Il est vrai que dans « Les revers de l’amour« , les scènes se passent en France, tandis que « Capital et Charité » se déroule en Martinique.

Le choix du Bénin pour « Emma ou la rage » de vivre, fait partie de l’inspiration pour les valeurs que prône cet ouvrage : courage, joie de vivre, tolérance, partage, optimisme. Ces valeurs s’estompent un peu partout dans le monde. Par bonheur, elles restent encore assez vivaces chez nous au Bénin.

Après, je dois dire que je veux rendre hommage à mon pays et le faire connaître et découvrir partout où je passe.

 

Une anecdote rapide : quand j’ai envoyé ce manuscrit, une assez prestigieuse maison d’édition me répond positivement, mais insiste pour que j’enlève le premier paragraphe, soutenant que le livre sans cette partie montre déjà bien les valeurs que nous avons citées plus haut. Or ce premier chapitre est important pour moi. Il relate le combat que nos ancêtres ont mené pour des valeurs depuis le 17è siècle. J’ai répondu à cette maison d’édition que c’est tout le manuscrit ou rien. Mieux vaut rester petit et respecter les aïeux, plutôt que d’être grand et de vendre son âme.

Ironie du sort, une autre maison d’édition accueille le manuscrit. Quand j’ai posé la question pour en savoir la raison, on me dit que c’est à cause de ce même premier chapitre, parce qu’il apporte de la « fraîcheur » dans leur ligne éditoriale.

Que dire de plus ? En tout cas, si nous ne nous battons pas pour notre pays, notre culture, personne ne le fera pour nous. Et nous serons surpris un jour, de nous voir, toujours en retard.

BL: Que pouvez- vous faire pour la littérature béninoise ?

EC: Que puis-je faire pour la littérature béninoise ? Seul, on ne peut pas faire grand’chose, en dehors de ses propres idées.

Notre littérature béninoise est diversifiée et florissante ; nous avons beaucoup de jeunes auteurs. Cela est à notre avantage.

Nous pouvons faire de grandes choses.

L’efficacité à mon avis dans ce sens, serait que tous les auteurs s’entendent, fassent bloc, discutent de leurs visions ensemble, établissent ensemble des projets à long terme et non pas coup par coup. Pour cela, j’imagine une association, ou plusieurs mais qui communiquent.  Face au monde international, nous ne pouvons gagner que si nous sommes solidaires. Pourquoi sur le marché international, les entreprises comme la Fnac et Darty (pour ne citer que celles-là parce que la Fnac est un géant du livre), pourquoi se regroupent-elles ? Comme dit l’adage : ensemble on est forts ! Il y a de la place pour tous. Les thèmes décrits par les uns ne sont pas les thèmes des autres. Et quand bien même des thèmes se recouperaient, ce je ne sais quoi d’authentique, d’intime et inimitable nommé style, détermine le choix du lecteur. Par conséquent, je pense que c’est seulement en regroupant les forces, les idées, les thématiques pour créer des rencontres que nous pouvons rendre service à la littérature de notre pays, à notre culture. Par ricochet, nous serons crédibles face au marché international de la culture.

Quand nous sommes éparpillés au pays, sans nous entendre, personne ne nous prendra au sérieux à l’étranger, qu’il s’agisse de salon du livre ou autres présentations. Tout serait éphémère, dépense d’énergie presque inutile sans retour sur investissement financier ou intellectuel.

Ceci dit, personnellement, je suis en relation avec une dizaine de bibliothèques et quelques collèges et écoles qui sont toujours au courant de mes parutions et les lisent.

Je suis fascinée par l’humain et je vois la jeunesse comme un champ immense de potentiels. J’essaie par les moyens dont je dispose, de donner à développer ses possibilités. Je n’ai que des idées et des livres. Tant que je peux, je ne lésine pas à me mettre au service de cette jeunesse.

 

 

BL: Quand écrivain béninois de la diaspora, comment se sent-on reçu par ceux qui sont aux pays

EC: Etant dans la diaspora, comment suis-je reçue par les écrivains du pays ?

Je suis heureuse

C’est avec une grande fierté que je peux vous dire que j’ai reçu un accueil chaleureux au pays. Et je vais vous dire comment car vous comprendrez cette grande fierté qui m’anime au sujet de mon pays.

Il y a une dizaine d’années, des journalistes du Bénin ayant à leur tête Ephrem Quenum, étaient venus en Martinique pour faire un film sur Béhanzin. Peu de temps après, paraissait Emma ou la rage de vivre qui a été reçu à l’Unesco dans la foulée. Alors j’étais un peu frustrée de ne pouvoir ramener l’ouvrage au pays, surtout que ce livre est en hommage au Bénin. Je téléphone à Ephrem Quenum à ce sujet. Je n’ai pas eu à lever le petit doigt ! Il a tout organisé avec Florent Couao-Zotti qui s’est saisi de l’Association « Le Scribe Noir » et d’Adélaïde Fassinou. « Emma ou la rage de vivre » a été présenté à la Librairie Notre-Dame de Cotonou. J’ai pu assister à cette manifestation qu’ils ont menée de mains de maîtres. Voilà comment on est reçu au Pays ! Je ne pourrai vous en dire davantage sans faire un roman et ce n’est pas le but ici. Sourire. Je dis simplement merci à toute cette équipe. Cette fierté, je pense qu’il faut avoir vécu hors de chez soi, pour la comprendre. C’est immense, ancré et inoubliable en moi. A la librairie Notre-Dame, je renouvelle toute ma gratitude à Prudentienne Gbaguidi Houngnibo, Gilles Appollinaire Zocli et Joséphine Hèdiblè.

 

BL: Avez-vous des projets ?

EC: Ai-je des projets ? Oui, je vis à coups de projets. Je viens de participer à un ouvrage collectif à paraître ce mois-ci chez l’Harmattan. Parallèlement, je travaille sur la biographie d’une personne. Je vous tiendrai informés dès que chaque chantier sera abouti.

BL: Un mot à l’endroit du peuple béninois.

EC: J’ai une grande confiance en notre jeunesse pour les raisons déjà évoquées plus haut. Nous devons soutenir nos jeunes, les entourer, les encourager dans le sport et la culture.

Je profite ici, pour saluer le travail d’Irène KoukouiDèhoumon auprès de notre jeunesse par le biais de l’ONG Femmes Actions et Développement au travers du projet Défi Lecture. Elle avait créé une rencontre exceptionnelle avec « Emma ou la rage de vivre » au Lycée Toffa 1er en 2011, lors de la Rentrée Littéraire jumelée avec La Caravane des Livres. Notre Pays a besoin de plusieurs personnes de cet acabit pour aller sur le terrain, encourager la jeunesse. Je lui suis reconnaissante pour ce travail qu’elle soutient à bras-le-corps.

BL: votre mot de la fin

EC: Jusqu’à présent, je me demande comment vous avez fait pour me trouver, moi qui reste tranquille dans mon coin, juste à m’amuser avec mes idées. Sourire. Merci pour votre ténacité et pour ce beau travail que vous faites pour notre pays, à nous rassembler.