BL: Bonjour Madame. Merci pour cette interview que vous nous accordez. Nous vous prions de vous présenter.

M.D: Je suis Micheline ADJOVI. Née de père et de mère originaires de Ouidah, cité historique et touristique.  J’ai fait mon cursus scolaire et universitaire au Bénin. Je suis 100% Bénin.

BL: Je complète la présentation parce que vous êtes à la fois juriste, passionnée de développement personnel de l’être humain, psychologue de l’enfant et écrivaine. Autant de casquettes pour votre seule tête. Une revanche sur l’histoire qui ne fait la part belle qu’aux hommes ou expression voilée d’un féminisme qui se veut compétitif sur le terrain des diplômes et des qualifications?

M.D: (Rire.) Ni l’un ni l’autre. Calme est le fond de la mer qui est en moi.  Les qualifications ou casquettes, comme vous les désignez, sont les résultats de mes choix dans un proche passé. Je continue de m’instruire parce qu’il me reste encore du chemin à parcourir. Que valent les diplômes si les compétences qu’ils confèrent ne contribuent pas au mieux-être de soi-même et du prochain ?

BL: Quand vous vous exclamez « J’ai vaincu parce que j’ai cru », ou quand vous exhortez « Dévoilez qui vous êtes et exercez votre pouvoir », qui parle en vous? La psychologue? La juriste?

M.D: Dans mes œuvres, j’aime laisser parler mon être, dans sa nudité sans grande influence des masques professionnels.

Le succès comme l’échec prend sa source chez l’homme de l’intérieur. C’est une vérité universelle et éternelle. L’être humain est puissant et autonome en lui-même.  Nous devons le savoir et activer nos  forces intérieures en nous prenant en charge. Personne ne fera notre bonheur à notre place.

BL: Croire en soi, en ses potentialités et exercer son pouvoir, avec audace et tendre vers la perfection, n’est-ce pas un retour à Nietzsche et à son surhomme ou à Protagoras qui crie que « L’homme est la mesure de toute chose »?

M.D: Selon ma foi, Dieu est la source première. Il est présent aussi bien dans l’infiniment grand que dans l’infiniment petit. C’est lui qui bénit toute chose. Dans le monde des idées, ce qui fait mon jugement de valeur ne l’est pas forcément pour un autre. Pour moi, il est déjà grand d’être appelé homme. Créé à l’image du Créateur, l’homme possède en lui la capacité de gérer efficacement son destin. Les pensées qu’il génère sont toutes aussi puissantes à la fois pour construire que pour  détruire.

Le pouvoir de l’homme apparaît clairement à travers son libre arbitre qui lui permet de voir se concrétiser ses désirs par le travail de ses mains. Malheureusement la majorité des hommes ont une image faible ou mauvaise d’eux-mêmes. Ils ne croient pas en eux et attendent le salut d’un sauveur extérieur.

 

BL: Pullulent çà-et-là des livres sur le développement humain ou sur comment devenir riche. Et pourtant ceux qui vendent ces livres ne sont pas devenus riches et n’ont pas vraiment développé les potentialités qui sommeillent en eux. Que répondrez-vous à ce propos?

M.D: Vous pouvez aussi faire la même analogie entre les enseignants et leurs élèves qui se lancent dans l’entrepreneuriat dès leurs diplômes en poche. Ceux qui réussissent sont ceux qui appliquent  avec foi et abnégation, les principes rationnels de succès. En suivant la règle, les résultats désirés sont au rendez-vous avec une exactitude invariable. Il est question ici d’expériences et non de théorie d’école.

BL: Un coach personnel, c’est quoi? N’y a-t-il pas, dans cette entreprise, le risque de se substituer au « client » ou de l’infantiliser ou encore de le rendre indéfiniment dépendant des conseils de son coach alors que par -lui-même il peut secréter les substances dont il a besoin pour se prendre en charge?

M.D: Un coach est celui-là qui encourage, qui dope le moral et qui pousse au succès, à la victoire dans tous les domaines de la vie. A certains moments, il arrive que la peur du regard des autres empêche certains de prendre des initiatives ou même d’oser ramer à contre courant. Le coach est là pour motiver son poulain à affronter les défis  avec l’espoir de gagner. Il n’est pas question ici d’infantiliser quelqu’un. Bien au contraire. Nul ne joue le jeu de la vie à la place d’un autre. On assume ce jeu  pleinement.

Je profite de votre question pour souligner que les parents sont les coaches naturels de leurs enfants. Ils sont les premières personnes à croire en eux. Leur rôle est de les encourager à réussir. Lorsque l’enfant sait que ses parents lui font confiance, il redouble d’effort pour ne pas les décevoir et par conséquent, il gagne. De la même manière, nos idées-projets sont aussi nos enfants. Nous les avons conçus et portés à maturation. Si en tant que concepteurs, vous ne croyez pas au succès de vos projets qui d’autres y croiront ?

BL: Votre dernier roman s’intitule « L’audace du meilleur. » Qu’est-ce qui vous a motivé jusqu’à ce que vous ayez senti le besoin de l’écrire?

M.D: Je cherchais à comprendre le sens et la signification des scarifications du peuple Houéda  que j’ai le privilège de porter. C’est alors que j’ai pensé faire œuvre utile en consignant les résultats de mes recherches dans « L’audace du meilleur.» Mes aïeux ont osé inciser différentes parties de l’enfant pour lui rappeler sa double filiation divine et royale. Mais combien sont-ils à comprendre et à continuer de considérer cette symbolique identitaire ?

BL: Pourquoi à la première de couverture, loin d’avoir une photo du Roi Kpa-sè, l’on voit un visage qu’on balafre?

M.D: J’ai fait le choix de valoriser le message véhiculé par ce que vous qualifiez de balafre. L’art du trait est une pratique millénaire d’expression. Et ce langage est universel. Les scarifications rituelles sont le « souviens-toi » identitaire du peuple Houéda. Elles sont composées d’une couronne et d’un manteau royal.

BL: Dans la chronique qu’il a réalisée sur ce roman, DOSSOU-YOVO GRÂCE CHARLY écrit ceci: « Ce livre, on le lit avec attention soutenue, la moindre distraction vous éloigne de la compréhension des faits relatés par l’auteur. Et au-delà d’une simple narration, il s’agit dans ce livre d’une invite à la méditation et à la réflexion. Sont au rendez-vous la métaphysique, la philosophie, la morale, la politique, l’éthique et la spiritualité. » (http://biscotteslitteraires.com/laudace-meilleur-micheline-adjovi/ ) Qu’est-ce qui justifie le caractère « austère » et hermétique de l’ouvrage?

M.D: Sincèrement, mon souhait est d’être accessible à tout lecteur. Le ton constaté par le chroniqueur dénote certainement la nature des thématiques abordées. Toutefois, je pense qu’il nous faut, de temps en temps, nous élever d’esprit pour bénéficier pleinement de l’abondance du divin en nous et autour de nous. Plus l’arbre s’élève vers les hauteurs, davantage ses racines s’enfoncent profondément dans la terre.

BL: Vous vous défendrez d’être féministe, mais que voulez-vous exprimer à travers la longue litanie-poème des pages 88 et 89?

M.D: C’est ma manière de célébrer la femme et  de rendre hommage à l’épouse et mère. Non pas parce que je suis une femme. Mais tout simplement parce que je sais apprécier, mieux aujourd’hui qu’hier, l’énorme rôle qu’incarne la mère. En Afrique noire et au Bénin en particulier, on pense que l’enfant doit davantage à sa mère qu’à son père. Et c’est à dessein que la tradition souligne que : « c’est dans les bras de la mère que l’enfant s’épanouit.»  Fréquemment, dans mes réflexions, je me demande  pourquoi la langue couramment parlée par l’enfant est appelée langue maternelle et non pas langue paternelle alors que c’est le régime patrilinéaire qui prévaut?

BL: Dans votre roman, Tangni Hwendomabou a un caractère tranchant, intransigeant et  incisif, telle une amazone de Guézo. Mais en filigrane, ne pensez-vous pas qu’elle évoque une autre grande figure féminine : La Grande Royale de C. H. KANE (L’aventure ambiguë)?

M.D: Vous n’êtes pas sans savoir que dans l’organisation de la société traditionnelle, le volet éducation est confié à la femme. Or en matière d’éducation, tout ce qui est inné et positif en l’enfant a besoin, comme le feu, d’être entretenu, activé et vivifié. Laissé à lui-même, il se couvre de cendres et brûle très faiblement. D’où la rigueur, l’ordre et la discipline qu’incarnent les  responsables chargés de la formation de la jeunesse.

BL: Les derniers chapitres sont une ode à la gloire du Fâ. Ce n’est certainement pas anodin. La psychologue que vous êtes, qui plus est, originaire de Ouidah, a un message à véhiculer.

 

M.D: Le système Ifa mérite d’être glorifié. Il est un vaste champ de connaissances (du destin, de la nature et de la condition humaine) qui se résume en trois branches, par simplification.

  • Science littéraire et éthique (sagesse)
  • Science astro-cosmogonique (divination)
  • Science pharmaco-thérapeutique (pharmacopée)

L’Ifa a été reconnu par la communauté scientifique internationale  à travers l’UNESCO qui l’a inscrit depuis 2005 sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l’humanité.

En continuant de faire foi aux préjugés entretenus et véhiculés sur la tradition africaine, nous nous déstabilisons en nous éloignant de notre riche source d’inspiration. Comment serons-nous respectés si nous prenons pour quantité négligeable notre culture  ?

BL: Est-ce à dire que sans l’oracle, l’avenir ne sera que ténèbres pour les peuples du Golf de Guinée?

M.D: Vers quel avenir heureux cheminons-nous sans repères et sans références identitaires ? Chaque civilisation a son propre couloir de circulation. Le nôtre est-il si défectueux nous obligeant à n’emprunter que ceux des autres ? Face à la désolation et pour nous sauver du gouffre, le Pape Benoît 16 lors de sa visite pastorale au Bénin en novembre 2011, déclara : « D’authentiques valeurs capables d’instruire le monde se trouve ici au Bénin et en Afrique et ne demandent qu’à s’épanouir avec l’aide de Dieu et la détermination des africains….. Afrique, terre d’espérance ! Aie confiance, Afrique, et lève-toi ! »

BL: Quelles sont les clôtures, les limites  que nous avons à « reculer » aujourd’hui, quand vous jetez un regard panoramique sur notre pays et notre continent?

M.D: L’Afrique noire esclavagiste, colonisée et néo-colonisée, peine à retrouver ses marques de noblesse pour avoir perdu ses  repères. Il est question aujourd’hui, plus que jamais, de raviver la conscience historique de l’africain. Je fais mienne, à propos, cette citation du Père, aujourd’hui Mgr Barthélémy ADOUKOUNOU : « Un peuple sans conscience historique est un peuple sans avenir. Un peuple à la conscience historique faible est un peuple débile. Un peuple à la conscience historique aiguë est un peuple maître. » Des trois, vers lequel voulons-nous tendre ?

BL: Quel cataplasme le coach en développement personnel et psychologue de l’enfant que vous êtes, propose-t-elle à la crise identitaire qui secoue l’Afrique?

M.D: La science avance à grands pas. Malgré ses fulgurants avantages, la modernité ne peut se construire sur l’anéantissement du passé. La belle maison risque de s’écrouler faute d’une fondation solide et ferme. L’avenir à bâtir s’enracine dans le passé et se nourrit du présent.

La quête de l’être est l’un des principaux piliers de stabilité et de paix intérieure. Elle a pour fondement les valeurs et vertus propres à la dignité humaine, le respect de la vie et la solidarité.  Nous ne pouvons pas continuer de nous dénier et espérer nous épanouir, véritablement. L’enjeu est de déconstruire les siècles de stigmatisation et de reconstruire une société africaine réconciliée avec elle-même.

BL: Pourquoi avoir romancé cette histoire des Houéda et de Kpa-sè plutôt que de vous y mettre à travers l’Essai ou même l’Histoire?

M.D: Le roman m’a permis d’habiller à mon goût les personnages que j’ai librement créés et de suivre pas-à-pas le fil de  mon inspiration, sans pression. L’essai et l’histoire nécessitent une bibliographie conséquente qui me  faisait défaut.

 

BL: Vous avez certainement des projets littéraires?

M.D: Bien-sûr. Sous peu,  je serai à nouveau mère.

BL: Votre mot de la fin.

M.D: Je vous remercie de l’initiative de cet entretien. Il est temps que nous – africains – arrêtons de nous dissoudre  comme du sel gemme dans le puits sans fond du voisin et nous préoccuper désormais à relever le goût de notre sauce.

La vie nous place à un grand carrefour. A charge pour chacun d’opérer un choix selon sa convenance. Soit se conformer aux règles et principes universels qui confèrent la force de réaliser le destin par soi-même ; soit transgresser ces lois naturelles et par conséquent, fouler aux pieds sa propre autonomie et en subir les funestes conséquences. Nos véritables forces sont en nous. Certes. Mais les  pensées, idées et projets ont besoin d’être concrétisés par le travail, seul vecteur de satisfaction.