BL: Bonjour Madame Mimosette Kodjo. Merci pour cette interview que vous nous accordez. Veuillez-vous présenter, s’il vous plait.

MK: Je m’appelle Mimosette Sètounnou KODJO, je suis professeure certifiée de Français des Lycées et collèges du Bénin. Ce à quoi j’associe le journalisme et l’écriture à mes heures perdues.

BL: Dans quelles circonstances trouvez-vous vos inspirations ? Y a-t-il un moment spécial qui favorise votre idylle avec les muses ?

MK: Je puise mon inspiration, dans mon quotidien, les faits les plus banals, les discussions entre amis, l’actualité d’ici et d’ailleurs, l’évolution du monde. Par ailleurs, mon idylle avec les dieux de l’écriture se fait plus intense dans la nuit. A l’heure où tout dort, la synergie entre les muses et moi se fait plus intense.

BL: La lecture des livres au programme, que pensez-vous de tous les travaux qui se font autour ? Les exposés ? Les extraits de texte dans les compositions ? Le système a-t-il évolué, de votre temps à nos jours ?

 

MK: Dans nos lycées et collèges, la littérature devrait occuper une place prépondérante contrairement à ce que l’on observait autrefois où les œuvres aux programmes sont à peine abordés en classe. Mais, il est heureux de constater que la nouvelle génération d’enseignants de la langue française milite dans le but de renverser la courbe. A cet effet plusieurs activités d’éveil sont organisées dans les lycées et collèges pour booster et surtout susciter chez les apprenants le goût de la lecture et affermir chez eux, les techniques d’expressions orales et écrites. Je veux citer les concours de dictée, d’ »épelle-moi », d’art oratoire, etc.

Pour ma part, loin d’être le lieu pour les apprenants d’engranger de nouvelles connaissances, les exposés n’apportent aucune plus-value aux apprenants qui, pour la plupart, se contentent d’aller plagier le contenu des sites web sans rien comprendre à ce qu’ils recopient.

Par ailleurs, la stratégie pédagogique qui consiste à faire découvrir aux apprenants une diversité d’extraits de textes tirés des ouvrages aux programmes et autres, est une initiative à saluer car cela permet aux apprenants d’aller au contact de nouveaux textes. Ainsi, la lecture de ces extraits susciterait en eux le désir d’aller à la découverte du livre lui-même. C’est une manière voilée d’inciter les élèves à la lecture. Et même ceux d’entre eux qui ont une haine viscérale pour la lecture peuvent capitaliser à travers  ces textes des citations, des informations pouvant leur permettre d’étayer leur composition française (dissertation) et d’améliorer leur vocabulaire.

Toute œuvre humaine est appelée à évoluer dans le temps, et c’est le cas avec les programmes d’enseignement dans notre pays. Alors, évidemment que le système a évolué tant sur le plan du format d’épreuve que sur la stratégie d’apprentissage. Par exemple, en mon temps sur  l’épreuve du second cycle, l’apprenant était confronté à deux textes l’un pour la contraction de textes et l’autre pour le commentaire composé (il faut noter que les deux textes peuvent ne pas avoir une unité thématique). En ce qui concerne le sujet de dissertation il était composé d’une citation ou tout autre écrit du genre accompagné d’une consigne. Tandis qu’avec les Nouveaux Programmes d’Etudes, l’épreuve du second cycle comprend trois textes liés entre eux par la thématique. Et à chaque texte correspond un sujet de composition française. Ainsi, l’apprenant malin trouve facilement des illustrations et exemples à travers les textes auxquels il est soumis.

BL: Le choix de ces livres au programme, quel regard critique portez-vous là-dessus ? Ce choix est-il toujours objectif ? Quelles sont vos appréciations par rapport à ceux qui sont au programme actuellement?

MK: Les œuvres aux programmes répondent pour la plupart aux aspirations et à  la sociologie des apprenants même. Mais seuls les inspecteurs en collaboration avec le Ministère de l’Education peuvent nous parler des critères qui fondent le choix des ouvrages insérés dans les programmes d’enseignement. C’est un secret de polichinelle que la politique se mêle à tout même  les endroits les plus insoupçonnés. Vous convenez avec moi que là où se trouve la politique l’objectivité a tôt fait de déserter le forum.

 

BL: La vente des livres en ligne, selon vous, quels en sont les avantages et les inconvénients? À quand l’effectivité de cette option dans notre pays ?

MK: La vente des livres en ligne permet de rendre le produit plus accessible et à proximité, disponible peu importe la situation géographique du client. Par ailleurs,  comme  inconvénients on peut citer la cherté du produit et le faible pouvoir d’achat des lecteurs d’une part, et d’autre part, le sous-développement numérique du Bénin.

Dans notre pays, cette option ne peut être possible que lorsque le Béninois comprendra tous les avantages liés à la bancarisation de ses revenus et que la fibre optique sera fiable pour la réussite des opérations  et transactions.

BL: Nous vivons dans un monde numérisé. Est-ce que vous arrivez à lire un livre sur votre liseuse ou sur un téléphone portable ? Si oui, quelles les sensations que vous ressentez? Si non, pourquoi préféreriez-vous le livre en version papier?

MK: Certainement qu’il m’est arrivé de lire plus d’une fois des livres numériques. L’inconvénient que je trouve à cette méthode est qu’elle détériore  l’état des yeux et l’on s’épuise vite. Le livre en sa version papier est plus accessible à la lecture, ne nécessite pas des moyens high-tech, ne condamne pas le lecteur assidu à des consultations ophtalmologiques imminentes.

BL: L’écriture féminine et engagement des femmes dans la gestion de la chose publique. Comment l’entrevoyez-vous ?

MK: L’écriture est une arme qui permet à la gent féminine de s’affirmer. C’est le canal par excellence, après les médias où la femme, toujours marginalisée dans une  société patriarcale, se donne les moyens de prouver et d’exposer toute l’étendue de ses aptitudes socio-professionnelles. Il est d’ailleurs démontrer qu’au même poste de responsabilité, la femme fournit un taux de rentabilité plus élevé comparativement à celui de l’homme. Faites confiance à la femme  en lui confiant la gestion de la chose publique et le monde sera reformé à tout point de vue et ce, positivement bien sûr. (Rire…)

BL: Chimanmanda, une célèbre écrivaine nigériane s’est fait un nom brillant grâce à la couleur féministe dans laquelle elle plonge sa plume. Aviez-vous eu l’idée d’être appelée écrivaine féministe et d’écrire comme telle ?

MK: La défense de la cause de la femme est pour moi un combat quotidien. Est-ce une raison pour être taxer de « Féministe » ? Pour moi les femmes ont les mêmes droits que les hommes, c’est ce que consacre d’ailleurs notre Constitution. En plus, ils se complètent l’un et l’autre.  Pour ma part, l’occasion doit être donné à la femme de valoriser toutes ses habiletés. Voilà pourquoi je n’hésite pas à remettre à leur place les hommes qui se prennent pour les tout puissants et qui sont mêmes prêts à brimer la femme tant que leur intérêt est en jeu. Et je crois que c’est en cela que réside mon rôle en tant qu’écrivaine. Ne dit-on pas que la liberté s’arrache au prix du sang ? C’est de cette même manière que les femmes se doivent de lutter pour le respect de leurs droits.

BL:  Mimosette Kodjo, c’est à la fois le journalisme, l’enseignement et la littérature. N’est-ce pas un peu trop pour vous seule? Où puisez-vous toute cette énergie pour répondre présente sur ces fronts où la lutte vous appelle?

 

MK: Sourire. A première vue cela semble être trop mais en réalité, il en est rien. Pour ma part, ces trois métiers vont de paire. Ils se déclinent tous autour du champ lexical des mots et de l’inspiration. L’on ne peut enseigner le Français si on n’aime pas les belles Lettres, ni faire du journalisme si on ne pactise pas avec les mots, encore moins faire de la littérature si l’on ne jouit pas à travers la fusion des mots.

L‘énergie, je la puise dans la vie de tous les jours. Ma détermination, l’affection et les encouragements de mon entourage me galvanisent. C’est ma source première de motivation. Mais tout ceci n’est possible sans une bonne gestion du temps.

BL: Le jeune qui se dit occupé ou trop paresseux pour s’offrir un livre et le lire de bout en bout, quel conseil pouvez-vous lui donner ?

MK: Je lui répondrai que le voyage à travers les lignes sinueuses des pages blanches du livre, quoique tumultueux et parfois ennuyeux vaut la peine d’être effectué. Car, on n’en revient jamais comme l’on est parti. Quelqu’un a dit « chanter, c’est prier deux fois » moi je dis « lire, c’est voyager sur place.»

BL: Une écrivaine au foyer. Une vie entre la plume, les casseroles, le ménage, l’éducation des enfants, le boulot, ce ne doit pas être gagné d’avance ! Si vous n’êtes pas encore au foyer, pensez-vous à cette vie ?

MK: Rire… la plume, les casseroles, le ménage, l’éducation des enfants, le boulot, le foyer. Tout ceci n’est que le champ lexical du mot « FEMME » et je suis fière de l’être. Je vis déjà l’expérience. Et je peux vous avouer que malgré que cette vie soit fastidieuse, elle est passionnante et très enrichissante. Toute femme aspire à la vie au foyer à ses heurs et ses malheurs. Et cela ne doit  aucunement empêcher l’éclosion des talents que nous couve chaque Femme.

BL: Dans le collectif « Dernières nouvelles des écrivaines béninoises », votre nouvelle « Descente en enfer » aborde le phénomène des harcèlements sexuels. Mais ici, la victime change de sexe : c’est une professeure qui harcèle un élève. Que voulez-vous exprimer? Qu’il y a une face cachée de la réalité que la société se voile? Que la prédation n’est pas l’apanage de la gente masculine?

 

MK: Dans « Descente en enfer » mon objectif est de mettre le projecteur sur le phénomène du harcèlement sexuel qui, telle une gangrène, infeste le système éducatif et la vie socio professionnelle en générale. Par ailleurs, l’originalité de l’intrigue réside dans le fait que la victime change de sexe, comme vous l’aviez si bien perçu. Cette option, pour simplement faire voir l’autre face de l’iceberg que la société semble ne pas percevoir. L’attirance, l’amour pour le sexe opposé n’est pas unilatéral. Et il parait que l’amour n’a pas d’âge. Alors, il peut arriver que ce soit la femme qui s’entiche d’un plus jeune qu’elle, de son employé, ou dans le cas d’espèce son apprenant.  Sans une hauteur d’esprit, le mal est vite fait.

BL: Ne peut-on pas voir dans votre démarche une audace et une « détaboutisation » qui pourraient mettre mal à l’aise vos consœurs et donner un acquit de conscience aux prédateurs?

MK: Le rôle de l’écrivain est de dépasser les conventions, quitte à faire rougir les pupilles. C’est d’être la lumière de la société. Alors, toute personne consciencieuse et soucieuse des principes de la vie devrait  être en phase avec la problématique.  Revenant au cadre spatial de l’intrigue, il faut signaler que la déontologie de l’enseignement  proscrit formellement de tels actes car ils ne facilitent pas l’apprentissage.

BL: S’il vous arrivait de vous retrouver dans la même situation que Théa Mulongo, qu’auriez-vous fait, quand on sait que l’amour se gausse fort bien des considérations d’âge et de rang social?

MK: Sourire. Cela me rappelle ma première année dans l’enseignement. Où à la fin de l’année académique, l’un de mes meilleurs élèves me déclara sa flamme. Avec tact, je lui fis comprendre la chimère qu’est ce prétendu sentiment pour moi. Cela ne fut pas facile de l’emmener à la raison. Mais j’y suis parvenue. Et actuellement nous avons gardé de bons contacts. Revenant à votre question, dans la position de Téa Mulongo, loin de lui déclarer une quelconque flamme ou de lui rendre la vie impossible, je ferai de lui le meilleur apprenant dans ma matière en le faisant participer activement à mon cours.

BL: Vous avez collaboré à plusieurs collectifs. Est-ce un choix ou une nécessité?

 

MK: La collaboration avec d’autres écrivains relève simplement d’un choix et du désir de limer ma cervelle à celle des autres. Pour aller vite, il faut aller seul. Mais pour aller loin, il faut aller avec les autres et moi je suis de la deuxième catégorie de personnes.

BL: Vous avez certainement des projets littéraires… Veuillez les partager avec nous.

MK: A court terme, mon projet est de commettre un recueil de nouvelles.

BL: Et si nous dessinions à présent votre portrait chinois?

MK: (Rire) Drôles de questions. Mais je ne veux être personne d’autre que moi-même.

Si vous étiez :

Un homme? 

Thomas Sankara

Une planète ? 

Mars

Un oiseau ?

la Colombe

Un héros de littérature ?

Ulysse

Une déesse de la mythologie grecque ?

Athéna

Une femme béninoise influente ?

Angélique  Kidjo

Un met béninois ?

Igname pilée (Tchokourou) à la sauce arachide accompagnée de fromage (Wlangashi)

Une artiste ?

Lara Georges

Une pièce de théâtre ?

La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire

 

BL: Votre mot de la fin

MK: Je remercie l’équipe de jeunes dynamiques et engagées de Biscottes Littéraires pour cette opportunité qui m’est offerte de m’exprimer par ce canal et je lui souhaite longue vie. Faites éclore davantage des talents littéraires pour une ascension efficiente de la littérature béninoise.

 

    • Merci à vous cher Francis. J’ai bon espoir que les gestionnaires de la plateforme se feront un plaisir de publier de vos écrits, analyses pour une plus grande éclosion de notre littérature

  1. Fier et très sidéré de te lire tout simplement. Bons vents à toi Mimosette. Je me rappelle la première fois tu étais allée voir une apprenante dans ma classe.

    • Ce fameux premier contact entre nous. Inoubliable. Merci mon CP. C’est un plaisir d’avoir votre retour sur cette modeste interview. ..

  2. J’ai pris plusieurs notes en te lisant, Mimo. Tu es une fierté incarnée. Tu mérites une place bien assise et confortable dans notre littérature alors, mon commentaire exhorte la nature à te l’offrir. Que tes rêves se réalisent chère amie.

    • Merci mon cher Casimir. Que tes paroles soient au nom de l’Eternel.
      j’attends vivement (surtout de « papaye « ferme) ton roman

  3. Je suis resté très concentré à te lire. Ce fut très intéressant les lignes que tu as déroulées. Courage à toi.

  4. Quand pour la première fois tu as dû aller me voir chez moi cette nuit- là pour t’approprier cette fiche dont tu devais continuer le déroulement en seconde je t’ai trouvée prédisposée à accueillir le savoir et le savoir faire mais je n’avais pas soupçonné ce talent qui germe en toi. La nature entière te galvanise!

    • Amen.
      Vous êtes un modèle pour moi. Que Dieu vous bénisse et puissiez vous continuer à être disponible pour la jeunesse.

    • Quand on fait ce qu’on aime avec passion, on n’en ressent pas le poids, cher Tindemin