« Ceux qui sont rassasiés n’ont plus rien à dire. Ceux qui écrivent ce sont ceux qui souffrent devant une situation de la vie. Écrire répare, car nommer un problème, c’est le dépasser, c’est en réalité faire appel aux autres à travers ses écrits. » OROU LOGOUMA Cosme

 

 

BL : Bonjour Monsieur OROU LOGOUMA Cosme. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Veuillez vous présenter, s’il vous plait, pour le plaisir de nos amis internautes

OLC : Je m’appelle OROU LOGOUMA Cosme, je suis enseignant de Français dans les lycées et collèges de Parakou. Je suis un béninois. Enseigner est pour moi une vocation, et la littérature une passion.

BL : Qu’est-ce qui enflamme en réalité votre passion littéraire?

OLC : C’est la valorisation de nos cultures qui enflamme ma passion littéraire. En effet, il est tant de revenir à nos traditions. Nous perdons de plus en plus rapidement nos valeurs, il urge de sauver vite nos cultures mais en les humanisant davantage. Vous avez un amour particulier pour la scène.

BL : Comment avez-vous découvert le théâtre? Et pourquoi le choix de ce genre littéraire?

OLC : J’aime la scène parce que j’aime voir les acteurs sur scène. On n’a pas besoin de savoir lire et écrire pour comprendre ce qui se passe sur scène. Il suffit de comprendre la langue que les comédiens parlent pour savourer l’esthétique d’un texte et surtout apprécier l’intrigue. Avant la découverte des mises en scène classique, je jouais des sketchs sur mes paroisses d’abord sur la Paroisse Sacré Cœur de Hihéatro diocèse d’Atakpamé (Togo), ensuite, sur la paroisse St Pierre de Kalalé, diocèse de N’Dali (Bénin). Après tout cela, c’est au séminaire Notre Dame de Fatima de Parakou que j’ai eu la chance de découvrir des spectacles professionnels. Sans tarder, j’ai accepté lors d’un travail de recherche où il revenait à mon groupe de théâtraliser le roman ‘’Un piège sans fin’’ de Olympe Bhêly Quenum de jouer le rôle principal, celui de mimer Ahouna. Après le rôle de Eshu dans ‘’La Tempête’’ de Shakespeare. Enfin, sur le campus d’Abomey Calavi, j’ai fais les Lettres Modernes j’ai eu la chance de lire plusieurs œuvres littéraires. Parmi les œuvres lues, c’est « Kondo le Requin » de Jean PLIYA qui m’a inspiré ma dernière production car comme lui, il me fallait chercher quelque chose dans ma tradition, quelque chose qui ne devait pas ressembler à celui de Jean PLIYA.

BL : De quoi parle exactement votre dernière pièce théâtrale? Pourquoi cette thématique et quel message voulez-vous divulguer à travers ce texte?

OLC : Un arrêt dans ma tradition m’a fait remarquer l’impact de la littérature orale sur l’histoire des peuples : cas des Boko (Boo) et des Bariba (Baatombu). Deux peuples de groupes linguistiques différents ont construit une histoire commune sur une même terre qu’est le Borgou, mais le brassage culturel a fait que l’on confond à qui réellement le trône de Nikki qui est le capital de ce royaume. Quatre personnages dont deux, d’un bon niveau intellectuel et les deux autres moulés dans leur tradition nous conduirons dans les arcanes de la politique traditionnel de ce royaume. J’ai choisi cette thématique parce ce que ce que nous apprenons à l école des Blancs n’est pas toujours ce que nous apprenons de nos parents. Le trône de Nikki n’est pas baatonu mais des aventuriers (Wassagari) venus de Bussa. C’est ce peuple que les Dendi appellent Bussanké (les hommes de Bussa), les Baatombu quant à eux les ont baptisés Boko (Grand). Je voudrai à travers ce livre demander à nos historiens de revoir sur nos histoires enseignées dans nos écoles pour qu’on ne nous enseigne pas le faux. Je n’en voudrais comme preuve le cas de Bio Guerra qui n’est pas baatonu et pourtant c’est ce qu’on continue de nous enseigner. Un proverbe de chez nous dit : « Le crapaud se vante pour rien, c’est le poisson qui a son marigot »

BL : Êtes-vous satisfait de l’accueil que le public a réservé à votre livre?

OLC : Je suis satisfait de l’accueil que le public a réservé à mon œuvre. C’est le moment de remercier le club RFI de Parakou, l’Institut Français de Parakou, l’Hôtel Sero Kora III de Parakou, la Commission Linguistique Boo et la Diaspora Boo pour m’avoir donné la chance de faire des conférences et d’avoir édité mon oeuvre; à Golf TV, Etélé et à l’ORTB pour la couverture, aux radios : Fraternité de Parakou, Nonsina FM de Bembèrèkè, Bio Guerra de Ségbana, Radio Bénin de Cotonou et RFI, simplement merci. A tous mes élèves et amis merci aussi.

BL : Entre la craie et la plume, il y a nécessairement un pas à franchir pour que celle-ci ne l’emporte pas sur celle-là. On dit souvent: « l’utile avant l’agréable ». Comment vous-y prenez-vous?

OLC : Il suffit de savoir s’organiser. L’organisation et la gestion du temps m’ont permis de mettre chaque chose à sa place.

BL : Vous qui êtes Bariba, que pensez-vous que cette aire culturelle puisse apporter à la littérature béninoise aujourd’hui?

OLC : Rire. Je ne suis pas Bariba. Je suis Boo de père et de mère. Les Boo peuvent aussi beaucoup apporter à la littérature écrite béninoise. Il suffit de prendre son temps pour écouter leurs griots et de trouver les moyens financiers pour ce travail.

BL : On entend souvent dire que la littérature, c’est l’affaire de ceux qui sont déjà rassasiés. Qu’en pensez-vous?

OLC : Ceux qui sont rassasiés n’ont plus rien à dire. Ceux qui écrivent ce sont ceux qui souffrent devant une situation de la vie. Écrire répare, car nommer un problème, c’est le dépasser, c’est en réalité faire appel aux autres à travers ses écrits.

BL : Il n’est pas rare d’entendre dire qu’il n’est pas facile de se faire éditer au Bénin. Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors de l’édition de votre dernier livre?

Le plus grand problème pour l’écrivain béninois, c’est vraiment l’édition. En effet les structures qui existent au Bénin pour accompagner l’artiste le sont seulement de nom ou, font leur travail par affinité. Nous espérons que le gouvernement de Talon fera l’exception mais après un an, on attend encore. Il faut serrer la ceinture dit-on, le reste est de savoir si on était même tous habillé pour avoir une ceinture à serrer.

BL : Pour vous, que signifie écrire?

OLC : Pour moi, écrire, c’est élire, car l’écrivain choisit un problème de sa société qu’il lui présente. En effet, à force de vivre certaines situations de la vie, on ne se rend pas compte des risques qu’on court. Écrire, c’est donc dévoiler le monde à l’homme.

BL : Notre jeunesse est comme ballotée par les vents de la mondialisation et de la globalisation. Elle semble aussi perdre de repères. Elle se cherche sans vraiment parvenir à se retrouver. Que pensez-vous que l’écrivain puisse faire en ce siècle de fluidité et de mutations historiques, pour aider la jeunesse à garder le cap et parvenir à s’orienter convenablement?

OLC : L’écrivain face aux enjeux de la mondialisation a un rôle pédagogique. Il doit aider la jeunesse à se hisser. A travers ses œuvres d’imagination ou non, l’écrivain doit montrer ses rêves, ses visions, ses sentiments et ses pensées pour que la jeunesse pusse savoir que la mondialisation est un carrefour du donner et de recevoir où seul l’excellence a sa place. C’est dans ce sillage que Émile Zola affirmait : « Si vous me demandez ce que je viens faire en ce monde, moi artiste, je vous répondrai : je viens vivre tout haut ». L’écrivain doit conduire la jeunesse vers sa propre culture car c’est ce que nous avons de plus cher et c’est cela qui doit être notre repère.

BL : Vous êtes professeur de Français, quel regard portez-vous sur le niveau en français de vos apprenants? Quelles sont les causes de ce que vous déplorez? Comment y remédier?

OLC : Le niveau en Français de nos apprenants aujourd’hui est réellement bas comme le dit tout le monde. La première cause est un manque de volonté de nos apprenants. Ils ne veulent pas se gêner. Les parents accusent les enseignants, les enseignants et certains parents accusent le système qu’on appelle le Nouveau Programme et le gouvernement fait semblant de recruter les enseignants et de les former. C’est tout un tas de problèmes. Dans les établissements publics, il y a plus de 80% d’enseignants vacataires qui sont à cheval entre plusieurs établissements. Il y a des établissements publics où en dehors du Directeur et du Censeur, les autres ne sont que des vacataires qu’on a dû supplier avant d’en être là. La plupart de ces enseignants n’ont pas fait des filières dédiées spécialement à l’enseignement. Quant aux parents qui critiquent les enseignants et le gouvernement, je voudrais simplement leur demander combien de livres ils ont dans leur salon pour inciter leurs enfants à la lecture. Quant à notre gouvernement, il urge de lui rappeler que nos écoles sont des déserts de livres, nos villes et villages sont des déserts de bibliothèque et de wifi à l’ère où l’on parle de la pédagogie inversée.

BL : Qu’est-ce qui selon vous, fait défaut à la littérature béninoise pour qu’elle redore son blason à l’internationale?

OLC : Pour que la littérature béninoise redore son blason à l’internationale, le gouvernement ne doit pas rester les bras croisés. Le gouvernement doit accompagner les acteurs culturels à tous les niveaux. Il faut qu’on investisse sérieusement dans la littérature car elle reste la lumière d’un peuple.

BL : Dans la société de consommation qu’est devenu le monde, et où le dieu de l’utile et du lucre l’emporte sur tout autre culte ou activité de l’esprit, l’écrivain n’est-il pas en réalité celui qui écrit en vain?

OLC : D’abord, il se libère pour ne pas mourir d’un trop plein des problèmes de sa société. Parler libère, l’homme donc l’écrivain se libère en travaillant. Alain Mabanckou affirme que  » (…) la parole, me semble-t-il, délivre de la peur de la mort » (Mémoire de porc-épic, Editions du Seuil, Paris 2006, p.39). Ensuite, écouter soulage, il reste encore et restera des gens qui savent retrouver dans l’art une place un espace de consolation. Enfin, l’écrivain est la mémoire de son peuple, tôt ou tard on aura besoin de lui par le biais de ses œuvres. Donc, l’argent ne résout pas tous les problèmes. Nous en avons certes besoin, mais la littérature ne saurait s’y subordonner. Et c’est là aussi le rôle de l’écrivain: montrer qu’il y a autre chose en dehors de l’argent.

BL : Vous avez certainement des projets. Pourriez-vous les partager avec nous?

OLC : Comme projet, j’ai sous les mains deux manuscrits achevés: « Kiana ou le couteau de la femme » (Un recueil de nouvelles), « Au bout de l’espoir « (Un roman). J’ai aussi un projet de recherche sur les kèè, les poètes boo de la cour royal de Nikki.

BL : Vos auteurs préférés? Le livre qui vous a le plus marqué?

OLC : Me demander mes auteurs préférés, c’est comme si on demandait à un être humain normal de choisir une partie de son corps. Quant au livre qui m’a le plus marqué, je peux oser citer : La femme aux yeux fermés de Pierre L’Ermite. La lecture de ce livre a énormément contribué à ma vie devant les situations les plus amères de mon existence

BL : Un bon lecteur fera-t-il un bon écrivain? Ou y a-t-il une formation pour devenir écrivain?

OLC : Un bon lecteur ne fait pas forcement un bon écrivain. Un proverbe de chez nous dit « le consommateur n’est pas toujours un bon producteur ». Par contre, un écrivain est un grand lecteur.

BL : La littérature n’est-elle pas un cercle fermé réservé à quelques initiés ou un îlot d’élites?

OLC : La littérature écrite est vraiment un cercle fermé dans la mesure où il faut savoir lire pour pénétrer ce cercle fermé. Même la littérature orale n’est toujours accessible à tout le monde, c’est dans ce contexte qu’on entend dire par exemple que la poésie est hermétique. Il faut donc être un initié ; autrement dit, il faut apprendre chaque jour à ouvrir les portes d’accès à un texte. Il faut reconnaître qu’il y a plusieurs niveaux de texte.

BL : En considérant l’univers littéraire béninois, qu’est-ce qui vous a le plus déçu?

OLC : Dans l’univers littéraire béninois, ce qui m’a le plus déçu c’est que tout le monde veut avoir votre livre mais gratuitement.

BL : Votre mot de fin

OLC : L’heure est à la réécriture de notre vrai passé, notre vraie histoire afin qu’elle soit la lumière qui nous éclairera et éclairera les générations futures, l’heure n’est pas à s’agripper aux feuilletons et autres distractions télévisuelles mais c’est le moment de travailler et de beaucoup réfléchir. Merci à toute l’équipe de « Biscottes littéraires ».

  1. Merci à vous cher auteur. Content de lire cette interview riche en vérité

      • Monsieur Cosme, ce fut un plaisir pour nous que de vous avoir reçu sur notre blog.

        • Merci pour tout ce que vous faites pour le rayonnement de la littérature écrite de notre cher pays

          • Salit, cher Cosme OROU LOGOUMA. C’est avec plaisir qu’on le fait

  2. Merci pour cette belle interview et la sincérité avec laquelle vous avez répondu, cher Orou L. Cosme