Je revois Ewlizo qui priait et suppliait Dieu, avec force et conviction, les yeux fermés, les bras levés et le corps tout en transe. Elle déroula d’un trait le chapelet des noms de Dieu contenus dans la Bible, de la Genèse à l’Apocalypse. Elle en emprunta même au Coran. Elle criait le nom de Dieu « tout pissant », lui demandant de faire descendre de son trône, le feu destructeur. Mieux, elle implorait Dieu de daigner envoyer son Archange Michel mener le combat à nos côtés. Je voyais papa perplexe, les yeux lourds de sommeil. Je me demandais s’il croyait vraiment en ce qui se passait, car à vrai dire, maman faisait de grands gestes, se contorsionnait, transpirait, remuait la tête, balançait les bras, débitait des flots de paroles fumantes. Maman ouvrit au hasard une page de la Bible. Elle la lut à haute voix, nous demandant de répéter après elle, chaque verset. Elle était convaincue que c’était une parole de connaissance et que le Seigneur avait résolu cette nuit de nous délivrer de tous les liens visibles et invisibles, infestations diaboliques, pièges et embûches de l’ennemi décidé à nous perdre. Maman se mit à trembler subitement, de tout son être. C’était encore une de ses extases. Je mis l’encens sur la braise. Le salon était rempli de fumée. Papa baillait et rotait à intervalles réguliers. Le chien dehors aboyait. La pluie tombait drue. On entendait des sifflements et des miaulements dans le vent. A l’intérieur, la prière battait son plein. Tous les saints du ciel et de la terre étaient invoqués. Le salon vibrait. Moi aussi, sans m’en rendre compte, j’étais emporté par l’élan de la prière et je me surpris en train d’imiter Ewlizo, sommant le démon de sortir de nos vies. Koklossou, mon père, malgré lui, entonna un chant de gloire. La louange commença. Elle dura plus de 45 minutes.

 

Nous avions visité tous les registres de chants et de langues. Maman ouvrit les yeux, desserra ses mâchoires et se mit à genoux, les bras en croix. Nous l’imitâmes. Subitement elle se laissa tomber sur le dos avant de s’étendre de tout son long, les doigts agriffés à son chapelet, les lèvres écumantes, les cheveux dressés comme les pics du hérisson.C’était le moment de la mortification. Je levai les yeux vers la pendule : 02 heures du matin. Je me souvins que j’avais devoir à 08 heures. Maman conclut la prière par un sonore « Gloria Patri ». Nous chantâmes le « Salve Regina » et récitâmes quelques prières en latin que nous ne comprenions même pas. Maman était convaincue que la prière dite en latin avait plus de puissance et accédait directement au trône divin, plus vite que les autres prières dites en langues vernaculaires. Le calme revint dans la pièce. Dehors, la pluie continuait de tomber. Maman dénoua un de ses pagnes pour s’éponger la sueur du corps. Papa était visiblement fatigué, à en croire les pénibles mouvements que faisait sa grande bedaine. Il ronflait pratiquement les yeux ouverts. Maman dit qu’on pouvait se retirer. Le calme était total. Le démon était sûrement parti d’où il était venu. Mais je dois avouer que c’était seulement maman qui savait reconnaître sa présence ou sa proximité.

Le tic-tac de la pendule se faisait précis et régulier. Papa fut le premier à se lever. Soudain nous entendîmes comme des craquements que nous eûmes du mal à localiser. Les bruits devinrent persistants. Aux bruits, se mêlèrent des miaulements :

– Que se passe-t-il encore? Des miaulements?, fit maman.

– Mais nous n’avons jamais élevé de chats ici, répondit papa.

 

 

Un chaton chez nous? Cela relèverait certainement d’un miracle. Nous habitions, en effet, dans un petit palais. La maison était construite suivant un plan original. Les portes sont toujours fermées. Aucune possibilité pour un corps étranger de s’y retrouver. S’il y avait un chat chez nous, cela ne pouvait être qu’un phénomène para normal comme c’était souvent le cas dans notre maison. Les miaulements se faisaient de plus en plus insistants. L’atmosphère devint tendue. Maman était nerveuse. Papa devint subitement frileux. Je lisais la peur dans leurs yeux à tous. Les bruits se tassèrent pour remonter dans un crescendo assourdissant. Un chaton noir sortit, nous ne sûmes d’où, et se mit à gambader dans la pièce, les yeux brillants de colère ou de malice, les crocs menaçants, les griffes agressives, la crinière hérissée. Nous étions hypnotisés. Le chaton miaula sept fois et se lécha les babines d’où s’exhalait une odeur fétide. Il fit deux bonds et se retrouva sur l’oratoire, bouscula les statues et urina dans l’encensoir avant de descendre déféquer dans un coin du salon. Tout se passa très vite. De peur de briser les statues, nous fûmes incapables de lui lancer quelque objet. Mais contre toute attente, dès qu’il déféqua, le chaton devint tout tendre et affable. Il s’assit sur le guéridon, se redressa sur ses pattes arrière et fit face à maman. Cette dernière sortit sa réserve d’eau bénite.

 

 

Entre deux chants de louange ou de victoire et quelques versets incandescents, maman arrosait le chaton qui ne se défendait pas. Au bout d’une demi-heure, le salon était inondé. Le chaton était fatigué. Il ahanait. Ses yeux devinrent glauques. Il grelottait de froid. Il avait rengainé ses griffes. Maman continuait de l’arroser d’eau bénite. La prière reprit de plus belle. Papa la suppliait, qu’elle cesse de supplicier le chaton, mais maman n’avait pas de temps à perdre pour les raisonnements d’un mari incrédule qui croyait tout expliquer par sa raison. Elle se fâcha même au cœur de sa prière:

– Peux-tu me laisser, cher Monsieur Koklossou, en finir avec ce démon de chat? As-tu oublié toutes les souffrances que des chats t’ont fait endurer dans l’invisible? Ah je vois, monsieur veut jouer au protecteur des animaux; mais tu peux te rassurer que tu as devant toi, là devant toi, le démon incarné. J’ai peur que tu ne blasphèmes contre Dieu qui a révélé la véritable cause de nos malheurs. Alléluia!! Hosanna! Maranatha! Gloire à Dieu! …

 

 

Destin Mahulolo

  1. Je reste un peu sur ma faim. Ewlizo dans son rôle (lol); on dirait qu’elle s’y connaît bien à l’instar de nos mémés presentes 24h/24 dsur les paroisses. (Lol). De là une interrogation fourmille dans ma tête : avons nous besoin d’une intensité pareille pour avoir la grâce divine???
    Toutefois le suspens reste, demeure et devient grand en ce qui concerne l’origine de ce chaton. Est-il vraiment la source des malheurs???
    La suite nous édifiera.

    • Oui, Othniel, la suite nous éclairera certainement. Attendons de voir

  2. ooooh que c’est émouvant ! j’attends impatiemment la suite c’est du bon travail. j’aime bien cette plume. courage