Introduction 

Dans son discours du 17 août 1793, Jacques DANTON, audacieux et sûr de lui-même, écrivait : « C’est à vous, républicains célèbres, que j’en appelle ; mettez ici tout le feu de votre imagination, mettez-y toute l’énergie de votre caractère : c’est le peuple qu’il faut doter de l’éducation nationale. Quand vous semez dans le vaste champ de la République, vous ne devez pas compter le prix de cette semence. Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple. » Il en appert que l’éducation est un bien primordial pour tout homme. Et dès lors, l’on pourrait dire d’un homme qui n’est pas éduqué qu’il lui manque quelque chose, non que ce soit nécessairement de sa volonté. Les nations sont alors appelées à tout mettre en œuvre pour assurer aux citoyens ce bien inestimable. Et quand on en vient à rencontrer des pays où aucun respect n’est porté à l’éducation, l’on est en droit de s’indigner. C’est certainement ce qui a motivé Jean-Marius Gbènou Houessou à dégainer sa plume pour  faire l’état des lieux sur le système éducatif chez nous, en publiant en mars 2018 un recueil de quatre pièces de théâtre :

L’éducation en berne

Quand les morts interpellent les vivants pour la scolarisation des filles,

La goutte d’eau qui a fait déborder le ventre

Billet retour

Qui est cet auteur ? Qu’a-t-il voulu nous dire en commettant cet ouvrage ?

1-De l’auteur

 

Jean-Marius Gbènou Houessou est un jeune béninois qui a presque tout embrassé. Enseignant de philosophie de formation, il est aujourd’hui chef d’entreprise, mais avant tout, il est un homme de culture. Né à Bohicon le 18 janvier 1982, il a obtenu son bac A1 fait ses études universitaires en philosophie. Il est un artiste comédien et décorateur de scène. Il accouche dans son recueil de théâtre L’éducation en berne, toutes ces années d’expériences acquises lors de ses nombreuses pérégrinations à travers le Bénin : Covè, HouègboToffo, Abomey-Calavi, Cotonou, Comé et Grand-Popo où il a enseigné et a été animateur des journées artistiques et culturelles. C’est son premier ouvrage, publié en mars 2018 aux éditions Saint-Jean à Porto-Novo.

 

2-      Du livre

L’éducation en berne est un livre composé de quatre pièces de théâtre de façon inégale. La première pièce L’éducation en berne est constituée en scènes. Nous en avons quatre. De par leur court volume, on parlerait plutôt de « scénette ». L’intrigue se déroule dans une cour royale en témoignent les personnages comme le Roi, la Reine, Kpanlingan…Une affaire importante oblige le roi à convoquer tous ses sujets sur la place publique, pour diagnostiquer le mal qui frappe le royaume. Il s’agit du mauvais état de l’éducation des jeunes. Conscient de l’importance de l’éducation, tous les acteurs sont présents pour en débattre : le corps professoral, les élèves, les parents d’élèves et toute la cour. Chacun expose l’origine du malaise et invite le roi à prendre ses responsabilités. Avant que le Roi ne renvoie les uns et les autres chez eux, l’hymne national est entonné et chanté en fon.

Quand les morts interpellent les vivants pour la scolarisation des filles est la deuxième pièce de théâtre. Par le décor, nous nous trouvons au cimetière où les morts font le procès des vivants qui ont abandonné l’éducation des filles à qui on donne seulement le rôle de femme au foyer. Si rien n’est fait pour l’éducation des filles, le monde court à sa perte, car une fille bien éduquée, c’est une nation sauvée.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la troisième pièce de théâtre. De par le décor, nous nous trouvons en milieu scolaire, plus précisément dans un collège où le professeur Martin courtise une élève, Hubertine, en classe de 3è, l’enceinte puis demande d’avorter. Pour ce faire,  il sollicite l’expertise mortifère de son ami infirmier, Michel. Mais l’opération est loin d’être réussie. La quatrième et dernière pièce de théâtre est Billet retour. Il s’agit des souffrances qu’endurent les Africains qui optent pour l’exile dans l’espoir d’un avenir meilleur. Mayimavo, Pierre et Dansi l’ont appris à leur dépend, puisqu’ils vont trouver gratuitement la mort, après avoir été soumis au froid, à la fain et à la soif.

 

3- Des personnages

En choisissant de dénoncer un mal qui gangrène le pays, l’auteur a utilisé des personnages qui déjà, par leur nom, nous en disent beaucoup.

Martin : il est professeur, mais son appétit vorace de la bonne chair des élèves lui a été fatal. En effet, contre son rôle d’éducateur et de formateur, il a préféré mettre en application le proverbe qui dit « Qui travaille à l’hôtel, vit de l’hôtel ». Il est sorti avec une élève de son école. C’est l’image dégradante de l’enseignant. Mais l’autre image, est celle de Bernadin dans la première pièce qui donne réellement les maux qui minent ce métier.

Le Roi : Garant de la tranquillité de son royaume, il a bien joué son rôle en convoquant ses sujets pour débattre du mal qui étouffe son royaume.

Au-delà de ces  personnages, nous avons aussi d’autres qui ont permis aux principaux d’aller au bout de leur rôle, notamment la jeune élève Hubertine qui est finalement décédée au cours de son avortement.

 

4- L’intérêt du livre

Le thème principal du livre est l’éducation. C’est autour d’elle que tourne les autres thèmes, secondaires comme la conscience professionnelle, la scolarisation des filles, l’immigration, le chômage. Lorsque l’éducation est bien assurée, l’enfant dès le bas âge aura appris les normes qui l’aideront à bien se comporter dans la société. Dans ce livre, le Roi s’insurge contre les anomalies observées de part et d’autre à cause de l’éducation qui n’est vraiment pas assurée, sur tous les plans. De l’habillement des filles, l’on peut lire: « jeunes filles habillée en tenue indécente contraire aux mœurs et valeurs traditionnelles », p. 30, avec la réplique du roi : «  Alors ! D’ailleurs, quelle est cette façon de s’habiller, jeune fille ? Voilà de quoi nous parlons. Les jeunes gens ne savent plus se vêtir dans mon royaume. Les hommes se permettent de mettre des boucles d’oreille sans se peigner, pendant que des femmes trouvent un indécent plaisir à se cintrer dans des vêtements rebelles à la morale et à la tradition». p 31. Au sujet de la formation de qualité médiocre donnée aux élèves l’auteur crie sa colère: «  (…) quand on demande la table de multiplication aux écoliers d’aujourd’hui, ils vous diront que 3 x 7 font 10. Mes élèves ne connaissent plus les quatre points cardinaux. Chez eux, l’adjectif qualificatif a pour fonction complément d’objet direct ou complément circonstanciel. Ln1 chez les élèves de terminale donnent 11 au lieu zéro. La conjugaison est régulièrement maltraitée dans les propos de mes cadres, le vocabulaire est inexistant et la grammaire est quotidiennement blessée. Les cadres du royaume ne peuvent plus faire une phrase correcte par jour », p. 33 La conclusion du Roi est belle et pleine d’amertume :  «  Mon royaume autrefois terre de nos aïeux est devenu quartier latrine. ». On comprend aisément que lorsque l’éducation est ratée, l’on ne doit pas s’attendre à grand-chose, d’où l’importance d’en prendre soin. Ce cri de cœur de Jean Marius HOUESSOU, est aussi celui de Colbert Tachégnon DOSSA dans « Errances dans nos sables mouvants » quand il écrit : : « Salle bondée. Et quelle salle? Un périmètre entouré d’un mur d’un mètre de hauteur à peine. Tables-bancs alignées jusqu’au tableau. Si bien que ceux qui sont devant peuvent écrire au tableau sans se lever. » ( p86); avant de poursuivre : « Salle P. Paillotte ouverte à tout vent.  (….) Ils doivent s’accommoder des rayons solaires qui leur disputent la moitié de la salle. Ils s’empressent alors de remplir tout ce qu’il y a d’espace à l’ombre. Les moins habiles, laissés sur le carreau, au soleil malgré tout, n’ont d’autre choix que d’enlever leur chemise kaki et de s’en servir pour se couvrir la tâte. Ceux qui sont sans sous-vêtement se sont alors retrouvés nus. (…) « (p 87). Mais lorsque les conditions ne sont pas remplies, on ne peut non plus rien faire, malgré la volonté. C’est justement la quintessence de la réplique du professeur : un métier autrefois noble est devenu celui banal, car très politisé. Les conditions de travail n’y sont plus, pire, se dégradent quotidiennement. Les décideurs dans leur bureau climatisé prennent des décisions sans pourtant venir constater les faits. Les parents, n’accompagnent plus les élèves et abandonnent le rôle de l’éducation aux seuls professeurs : «  les apprenants de leur côté plus récalcitrants que jamais, acceptent de moins en moins la rigueur de l’école ; et sont de plus en plus indifférents au savoir. Les parents quant à eux, fuient leurs responsabilités, abandonnent les enfants à eux-mêmes et quand il leur arrive de venir à l’école, ce n’est pas pour suivre l’évolution de la performance de leurs enfants mais plutôt pour engueuler l’enseignant. » p.35.

On comprend ainsi qu’un pays qui veut se développer et proposer un cadre meilleur à sa population se doit de mettre en place un système de lutte contre le chômage à travers un programme d’enseignement qui cadre bien avec ses propres réalités socioculturelles. De là, l’auto-emploi est vite saisi par la jeunesse qui, du coup, ne peut plus décider de partir vers cet ailleurs qui n’est pas toujours meilleur. Elle évitera ainsi la situation qu’ont vécue Pierre, Mayimavo et Dansi dans la pièce Billet retour : « j’ai fui mon pays et renoncé à la misère. J’ai fui ma nationalité pour devenir un sans-papier… Mais ici où je meurs de froid, j’ai soif et faim à la foi », pp. 85-86. La fascination de l’ailleurs est certainement due au manque d’infrastructures et de structures adéquates qui répondent aux désirs des jeunes. C’est aussi ce que pense Tranquilin Gbènontin quand il écrit : «  » Chère Afrique, nous t’aimons bien ; mais nous, nous préférons, malheureusement, aller ailleurs ; et tu sais bien pourquoi« . (Ma Résilience, Page 92).

 

Conclusion :

Jean-Marius G. HOUESSOU, par ce livre bâti sur fond d’ironie et de dénonciation des maux qui minent notre système éducatif, laisse contempler une œuvre didactique ayant pour ambition de conscientiser la jeunesse et les responsables commis à l’éducation. L’auteur ne dénonce pas seulement, mais il propose à chaque étape, des solutions. L’on ne saurait s’amuser avec l’éducation, qui constitue le fondement de tout développement. Mariama l’a dit: «  » Chaque métier (…) mérite considération. Le nôtre (celui d’éduquer) n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie, et la vie, c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat. » (Une si longue lettre, P.31). Tout part de l’éducation. Cette dernière est-elle mal assurée, tout l’édifice humain s’effondre. Le livre de Jean Marius HOUESSOU est intéressant dans la mesure où il pense les problèmes simplement et fait toucher du doigt ce qu’il faut réparer et comme l’on pourrait s’y prendre. Un livre à lire absolument.

 

Kouassi Claude OBOE