On ne le dira jamais assez: le développement de l’Afrique ne sera jamais possible si cette dernière ne s’affranchit de toutes ses chaines qui ont pour nom impérialisme, néocolonialisme, gabegie, corruption, acculturation. Vaincre la fatalité du sous-développement passe alors par une réappropriation de l’Afrique de ce qui lui appartient. Certes, il ne s’agira pas d’un conservatisme étriqué, car tout conservatisme étriqué est stagnation, refus de l’évolution, mais d’une ouverture à l’universalisme tout en conservant ses valeurs culturelles. Il s’agit d’une synthèse, une symbiose à réaliser. Ce nouveau mode de vie et de penser, requiert une double initiation: initiation aux mystères de l’Afrique dans ce qu’ils ont de positifs, et initiation aux secrets de l’évolution du monde. C’est cette double démarche que Olympe Bhêly-Quenum nous propose à travers sont livre au titre évocateur: « L’initié » publié pour la première fois chez Présence Africaine en 1979 et où il nous présente l’Afrique sous d’autres couleurs. L’édition que nous présentons ici est celle de Présence Africaine, Paris, 2003.

  • Structure de l’œuvre

Ce livre est composé d’un prologue, de douze chapitres et d’un épilogue, de longueur plus ou moins similaire.

Prologue : pp 11-53

Marc-Kofi Tingo  est initié  par son oncle Atchê. Vivant en France, il prend la défense des Noirs et dénonce les maux dont ils sont victimes. Malgré la vie dure faite au Noir, il organise et multiplie les conférences et se distingue par ses prises de positions en faveur du Nègre. Il rencontre Corrinne qui devient sa femme. Pour Marc-Kofi Tingo, tous les étudiants africains, principalement ceux vivant en France, doivent être unis pour défendre les valeurs culturelles du monde noir. Il est médecin et aide ses frères noirs en les soignant.

Chapitre 1 : pp 57-73

Marc-Kofi Tingo est revenu dans son pays avec ses enfants et sa femme française Corrine. Sa mère voulait qu’il devienne un homme politique très influent pour aider son pays à sortir de l’état chaotique dans lequel il se trouve, mais lui refuse et veut seulement exercer son métier : la médecine.

Chapitre 2 : pp 75-87

Marc assiste à une démonstration du dieu tonnerre avec les adeptes et les vodounsi. Parmi eux, il y avait Djessou, un charlatan qui le méprise, simplement parce que Marc guérit là où il échoue. Djessou le met en garde, car le trouvant trop prétentieux. Les deux ne s’entendent d’ailleurs pas puisque Marc méprise à juste titre les faux charlatans qui tuent et assassinent les malades.

Chapitre 3 : pp 89-98

Djessou attaque Marc de façon traditionnelle ou mystique, en le découpant pièce par pièce pour le faire souffrir. Mais Marc se tient devant lui, et ne sent absolument rien. Lorsque Corrine, la femme de Marc voit l’horreur, elle crie et s’évanouit. Djessou repart après avoir menacé de nouveau Marc. Marc sort, et continue à traiter ses clients, avec l’aide de sa femme qui est aussi médecin. Il se désole vis-à-vis de ses amis avec qui il a fait la France, qui ont épousé des blanches et qui sont revenus comme lui au pays. Ils se sont mis au service de Djessou pour se protéger contre des sorciers et d’autres personnes qui leur voudraient de mal, en se faisant inciser ou tatouer. Marc lui, cherche à montrer les valeurs traditionnelles africaines à travers la pharmacopée.

Chapitre 4 : pp 99-109

Marc minimise les menaces de Djessou, ses parents ne le comprennent pas. Le père curé le Révérend Père Légendre, leur rend visite pour s’enquérir de ses nouvelles. Marc n’étant pas chrétien, rassure tout le monde et leur dit que toutes les religions se valent, mais reste ferme devant la croyance de leur médecine. Le Révérend Père ne croit pas trop à ce qui est arrivé.

Chapitre 5 : pp 111-126

Marc traite les maladies les plus compliquées. Ses deux infirmiers sont chargés d’introduire les malades, mais pratiquent la corruption en prenant de l’argent chez eux avant de les faire entrer. Marc est confronté à un cas spécial. Le pénis de Sinhou était devenu anormalement gros, une punition qu’il a reçue pour avoir couché avec la femme d’autrui. Marc réussit à le guérir en se basant sur la médecine traditionnelle et ses éléments premiers que son oncle Atchê lui avait appris.

Chapitre 6 : 127-137

Marc invite ses amis à la maison, mais ces derniers lui reprochent de vouloir se mesurer à Djessou. Pour se protéger des sorciers et des malfaiteurs, ils ont accepté de se faire cicatriser et inciser par Djessou. Les parents de Marc ont peur pour lui, à cause de la menace qu’il représente.

Chapitre 7 : 139-161

Beaucoup de personnes veulent que Marc se présente pour les élections législatives. En pleine campagne, les adversaires se jettent des mauvais sorts pour s’anéantir les uns les autres, et c’est Djessou le maître artificier. Marc, avec l’aide de sa femme, guérit de maison en maison les cas d’envoûtement, au pire, les maux africains (tchakatou). Les candidats racontent tout ce qu’ils veulent à la population, pourvu qu’ils soient élus. Marc guérit Gangbé, qui avait été solidement attaché avec une statuette.

Chapitre 8 : pp 163-178

Djessou décide d’en finir avec Fagbé à cause de l’humiliation que ce dernier lui avait fait subir. En effet, Fagbé avait demandé à Djessou de mettre hors d’état de campagne Gangbé, mais lui avait voulu le tuer. Fagbé n’étant pas d’accord, il part le lui dire. Djessou l’envoûte. Gangbé et Fagbé n’ont eu  leur salut que grâce à Marc, qui  réussit à les guérir.

Chapitre 9 : pp 179-186

Marc va à Wêsê avec Corrine et leur domestique Virginie sans leurs enfants qui sont restés à l’école. A un endroit sur la route, Marc se souvient de son initiation et en fait cas à Corrine. Là, il lui explique qu’à travers l’initiation subie, ils sont désormais immunisé contre les sorciers et autres.

Chapitre 10 : 187-203

Corrine découvre les secrets de l’Afrique en compagnie de Marc lors de leur promenade dans la brousse. Elle prend un serpent que Marc avait immobilisé par son nom premier. Marc lui fait comprendre le rôle et la valeur des plantes et ce que doit être l’Afrique traditionnelle.

Chapitre 11 : pp 205-216

De retour au bercail, Marc conseille à Fagbé de prendre Gangbé dans son gouvernement. En effet, après les élections, Fagbé a été élu député en battant Gangbé. Celui-ci devient comme fou. Mais les deux deviennent des amis, ce qui rend fou Djessou qui promet faire du mal à Marc.

 

Chapitre 12 : pp 217-232

Sinhou, après avoir été guéri de son long sexe vient mettre Marc en garde contre  son personnel et des clients. Djessou leur avait remis des gris-gris à enterrer dans la maison de Marc, mais ils les avaient tous balancés en mer. Djessou cherche toujours les moyens pour nuire à Marc

Epilogue : pp 233-250

Djessou passe à son action suicidaire. Il met sur le toit de Marc un bouquet de fleur pour attirer la foudre. Mais Marc de retour, va prendre le bouquet et le met sur le toit de Djessou. La foudre le plaque sur le lit et il expire.

 

  • Résumé du livre

Jean-Marc Tingo est initié par son oncle Atchê qui lui apprend pendant son enfance les valeurs et les vertus des plantes. Il est envoyé en en France pour étudier où il devint médecin. N’étant pas content des conditions et des situations des Noirs en Europe, il organise des conférences où son engagement pour la race noire est sans limite.  Il soigne et guérit même quand on le lui interdit. Il épouse une Corrine, une française, et revint au pays avec elle et ses enfants. Maîtrisant les éléments de la nature, il ouvre son cabinet où les deux formes de médecine sont utilisées : celle moderne et celle traditionnelle. Djessou, un babalao, non content de lui, essaie à plusieurs reprises de tuer Jean-Marc, mais n’y parvient point, car ce dernier est plus puissant que lui. Pour une dernière tentative de tuer Jean-Marc, Djessou échoue et se fait lui-même tuer par le dieu de la foudre.

 

  • Etude thématique
  • La tradition

A ce niveau, on parlera d’elle sous deux angles : ses bienfaits et ses méfaits. En effet, Jean-Marc Tingo, pour avoir été initié, maîtrise la valeur des plantes et les autres éléments premiers de la nature. C’est d’ailleurs ce qu’il utilise pour guérir les maladies devant lesquelles la médecine moderne échoue ou montre ses limites. Les plantes, les feuilles, les racines, les écorces sont des éléments qu’il utilise pour soigner. Mais, ils ne suffisent point, car il y ajoute le « xo », c’est-à-dire la parole, ce que nous nous appelons le « Gbé » ou les noèmes, en s’appuyant sur le nom premier de chaque élément. Tout se trouve déjà dans la nature, il suffit donc de les connaitre pour les utiliser. Son initiation lui a permis de les maîtriser. C’est pour cette raison que même chez lui à la maison, il a planté assez de plantes de différentes races. Son comportement fait la différence entre lui et les autres docteurs dans le pays. Beaucoup avaient confiance en lui : « Chaque patient qui entrait dans le cabinet expliquait son cas, ses angoisses ; il écoutait, interrogeait parfois à demi-mot ; prudent, souple mais ferme, il suivait la pensée de ses interlocuteurs, guettait leurs arrières pensées, restrictions mentales et autocensures, en s’attachant d’abord au mal ou aux maux de leur visite. Il disposait sur ses confrères et compatriotes d’un atout efficace consistant à parler dans plusieurs langues africaines. C’est peut-être pour cela que ses patients l’aimaient bien, voyant en lui un homme « communicatif et sympathique »…Le front légèrement plissé, il prescrivait les ordonnances, soignait, donnait des conseils, cherchait à convaincre ; avant tout, à guérir de la peur. Peu lui importaient alors les nausées que lui donnaient les liquides épithèmes, les têtes fourmillantes de poux trapus, noirs de sang ; les mains, les fesses et les pénis couverts de pian, puisqu’on avait confiance en lui. La confiance, c’était la priorité, ce que, d’abord, il souhaitait », pp. 154-155. Pour guérir Gangbé, qui avait été empoisonné par ses adversaires avec l’aide de Djessou, le charlatan de mauvaise foi qui lui avait lancé le « tchakatou »: « Il (le docteur Tingo) alla cueillir des feuilles d’une plante grimpante le long du mur d’enceinte de la maison, s’en frotta les mains, se pencha, écarta les paupières du malade, regarda ses yeux, et , l’air serein, il commença à palper le buste de Félix Gangbé ; ses doigts bougeaient à peine, glissant lentement sur la peau de patient ; on eût cru que Marc Tingo apprenait à lire le braille ; tel un illusionniste, il ramenait du corps du mourant sans qu’il en sortît une goutte de sang, des bris de boutons de veste, poignées de petits graviers tranchants, paquets d’aiguilles à coudre et d’éclats de verre. L’opération dura une demi-heure. Le drap de lit était couvert d’objets hétéroclites », pp 205-206.

Malheureusement, dans ce même livre, on observe une autre image de tradition à travers l’utilisation de ses forces. En effet, Djessou, le charlatan et ennemi juré du docteur Tingo profite de la naïveté de ses clients pour leur faire du mal : envoutement, maladie mystérieuse. A maintes reprises, il a essayé de tuer Marc que cela soit dans le monde visible ou invisible. Sa dernière tentative était les plantes déposées sur le toit du docteur Tingo pour attirer la foudre et réduire la maison en cendre. Malheureusement, c’est par cette même mort que Djessou trépassa, car le docteur avait dans sa maison, l’antidote de la plante, et il alla le déposer sur le toit de Djessou.

  • La modernité :

Le docteur Tingo est un homme équilibré. Non content de maitriser les valeurs africaines, il est allé suivre les études en France où il obtint le titre de médecin. Ainsi, il traitait toutes les maladies qui avaient trait à la médecine moderne.

  • La corruption

L’auteur dénonce la corruption des dirigeants africains quin une fois élus, ne pensent qu’à leur poche, oubliant le peuple qui les a élus. Ils pillent les ressources de l’Etat, et quand viennent les élections, ils font de vaines promesses aux populations.

  • Le néo-colonialisme

L’Europe, et surtout la France n’a jamais abandonné le continent africain, du moins, à travers les pillages de ses ressources. Et ceci se fait aussi grâce aux dirigeants africains. Déjà en France, le docteur Tingo défendait les noirs et dénonçait les problèmes africains à travers sa prise de position vis-à-vis du nègre.

  • Les personnages
  • Marc-Kofi Tingo: personnage principal du roman, il est unique en son genre. Avec l’initiation qu’il a subie chez son oncle Atchê, il a retrouvé une certaine confiance. Il épouse une blanche pour montrer ce brassage culturel. D’ailleurs, la résultante, ce sont leurs enfants, hybrides, à couleurs café qu’on appelle communément les « métisses ». Tingo réussit à maitriser les deux formes de médecine, puisqu’il arrivait à guérir tous les maux que la médecine moderne ne pouvait guérir avec celle traditionnelle. Très sûr de lui, il impose ses idées et pense que le développement de l’Afrique ne peut se faire qu’avec ses propres fils. Son séjour en France n’a pas réussi à lui faire oublier d’où il venait. Il est contre ces charlatans qui utilisent les valeurs traditionnelles pour faire le mal et créer le chaos autour d’eux. C’est un optimiste fin, et n’hésite pas défendre ses idées, quitte à s’opposer contre les siens.
  • Corrine Tingo : C’est une française, et femme du docteur Tingo, elle est aussi médecin. Ayant une totale confiance en son mari, elle l’accompagne dans ses actions. Elle réussit à s’adapter à la vie africaine.
  • Félix Gangbé: Politicien corrompu, qui ne pense qu’à sa poche et comment détruire les autres. Il s’allie avec Djessou pour répandre la terreur autour d’eux. Il ne doit son salut qu’avec l’aide du docteur Tingo.
  • Fagbé : De même acabit que Gangbé, homme politique de mauvaise foi, qui veut détruire les autres pour régner, il s’est allié aussi à Djessou pour répandre la terreur autour de lui.
  • Djessou : Le mal incarné. Il existe pour détruire. Il se fait craindre à cause des forces maléfiques qu’il possède. Comptant sur la naïveté des citoyens, il est sollicité pour nuire à telle ou telle personne en prenant assez de pourboire chez ses clients. Très jaloux du docteur Tingo, il décide d’en finir avec lui. Ne supportant pas la défaite, il finir par se tuer en voulant tuer le docteur.

 

  • Intérêt du livre

Ce livre, « L’initié », aborde plusieurs problématiques, entre autres la cupidité des dirigeants africains, la malhonnêteté de certains charlatans en ce XXIè siècle où l’Afrique tarde toujours à se hisser sur le plan international au rang des autres continents qui ont su valoriser leur culture. En effet, le constat est qu’à chaque élection sur le continent africain, ils sont nombreux, ces hommes politiques qui viennent, lors des campagnes, vendre des illusions au peuple. « Les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient », devient leur devise. L’auteur, à travers le personnage de Kofi-Marc Tingo montre également qu’on peut tirer le meilleur des valeurs traditionnelles africaines. Aujourd’hui, beaucoup de chefs d’état essaient de réglementer le milieu de la pharmacopée. C’est déjà pas mal. Autre chose à tirer du livre, est que Olympe Bhêly-Quenum a réussi avec son personnage le docteur Tingo ceque Samba Diallo, celui de Cheikh Hamidou Kane dans L’aventure ambiguë n’a pu faire. En effet, Tingo n’a pas perdu sa source, malgré tout le temps passé en France. Mieux, il a réussi à faire une symbiose entre les deux cultures pour en tirer sa force. Quant à Samba Diallo, revenu en Afrique, il se rend compte qu’il avait perdu sa culture. Ils sont nombreux aujourd’hui, ces jeunes qui ont perdu leur identité en voulant singer la culture occidentale.

Conclusion :

L’Afrique est en retard non pas à cause des différents maux dont elle a été victime, tels la traite négrière, l’esclavage, la colonisation, mais simplement aussi et surtout à cause de la mauvaise gestion et la mauvaise foi de ses enfants. Depuis les indépendances, où les Africains étaient censés se gérer eux-mêmes, le constat est vraiment amer et désolant où ces dirigeants ont montré la preuve de leur incapacité à susciter le développement du continent noir.  Le combat de Olympe Bhêly-Quenum a toujours été le même: que l’Afrique soit debout et respectée dans ce qu’elle est et dans ce qu’elle a comme valeurs culturelles capables de porter ses fils à explorer de nouveaux horizons. Si les Tingo qui sonnent le gong de l’éveil et du réveil, se font de plus en plus rares alors prolifèrent les Djessou, symbole de la Mort,  c’est parce que volontairement, à un moment ou à un autre, les Fagbé et les Gangbé a choisi de tordre le coup à la tradition en lui faisant endosser les veuleries et les incongruités de quelques farfelus en perte d’identité et de repères. Tout révolutionnaire est toujours mal vu, du moins, perçu comme un imposteur qu’il faut éliminer à tout prix. Mais, l’on ne tue pas la vérité. La vérité, c’est la vie. Et la vie ne meurt pas. Dès lors, tous ceux qui s’opposent à la voix du réveil sonné par Tingo et les autres épris de l’émancipation de l’Afrique, font le lit à l’impérialisme et au néocolonialisme qui sont comme des hydres et qu’il faudra combattre par tous les moyens. Une Afrique libre, une Afrique prospère, n’est possible sans la conversion des esprits et des consciences aux valeurs culturelles africaines. Il est temps, que l’Afrique se lève pour dire non au néo-colonialisme, et prenne son destin en main.

Kouassi Claude OBOE