Introduction

Vous étiez habitués à la célèbre expression « avoir une mémoire d’éléphant » pour désigner ceux qui ont une mémoire infaillible capable de retenir les moindres détails de dame histoire. Eh bien!  Alain Mabanckou vous fait découvrir « Mémoires de porc-épic« . Ne comparez pas un éléphant et un porc-épic: à chacun sa mémoire et ses mémoires. « Mémoires de porc-épic » est un roman qui va vous plonger dans un univers à la fois réel et fantastique…. Avec Alain Mabanckou, rien n’est assez surréaliste. Après avoir failli nous faire évanouir de rire avec « Verre cassé « , il nous revient cette fois-ci avec les confessions d’un porc-épic qui fut le double nuisible d’un homme ou d’un cousin germain du singe comme il aime à le dire. Cette collaboration avec l’espèce humaine fut pour lui à fois intéressante et déconcertante. Il était en effet le tueur à gages mystique de cet homme, Kibandi, qui lui aussi reçut cette pratique spirituelle de son père Papa Kibandi. Son père qui, après avoir passé des années à utiliser cette magie noire  consistant à utiliser un animal double pour tuer cruellement, faire du mal en toute sécurité et sérénité, fut, après un palmarès de 99 personnes tuées ou je dirai « mangées » , stoppé dans sa folie meurtrière le jour où il fut démasqué par un puissant féticheur de leur contrée du nom de Tembé-Essouka: il venait de tuer, avec le même mode opératoire mystique, la nièce de ce dernier. Cette découverte de ces activités mystiques entraînera sa descente aux enfers, passant ainsi du statut de prédateur à celui de proie.

À lire la suite de l’histoire, on se rend compte que son fils Kibandi qu’il avait pris soin d’initier avant sa mort n’a apparemment rien retenu de cette fin tragique de son géniteur malgré les recommandations de sa mère Mama Kibandi. Son père avait comme double animal un rat, avec qui il eut raison de 99 personnes. Lui Kibandi avec son double animal le porc-épic, lorsqu’il prit les rênes de l’entreprise spirituelle meurtrière, a voulu marcher dans les mêmes empreintes  que celles de son père, enchaînant meurtres sur meurtres avec des mobiles les uns moins raisonnables que les autres.

Cette soif enragée de tuer parfois pour un rien fut finalement la cause de sa destruction. Finalement, on retiendra la triste fin de Kibandi comme celle de son père sans qu’il n’ait pu battre le record de ce dernier puisqu’il s’arrêta aussi à 99 victimes. Il fut finalement emporté par les souvenirs de sa dernière victime, un nourrisson et aussi par des jumeaux nouvellement venus dans leur contrée qui, comme les jumeaux Romulus et Remus fondateurs de Rome dans la mythologie romaine, eurent raison du Goliath sorcier Kibandi. Dans cet ouvrage,vous lierez les mémoires d’un porc-épic qui se confesse à un baobab, les confessions d’un animal qui assassinait sous les ordres de son maître des dizaines de personnes innocentes. Après le décès de ce dernier, il se sentit libéré mais aussi désorienté. Il avait quitté le monde animal pour se consacrer entièrement à lui. C’est alors un nouveau départ qui s’imposait à lui.

Un double animal: mythe ou réalité?

« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà ». Cela juste pour vous dire que la réponse à cette question dépends de vos origines et de vos croyances. D’après nos recherches, cette pratique consistant à attribuer à l’homme un alter ego animal, serait répandu dans certaines régions d’Afrique noire notamment chez les Ekois au Nigeria ainsi qu’en Amérique du sud chez les chamanes toungouses. On peut donc croire qu Alain Mabanckou s’est basé sur une pratique réelle pour construire son histoire avant de la maquiller ensuite d’un peu d’humour et de surréalisme. On s’interroge aussi un peu sur l’animal choisi par Alain Mabanckou : un porc-épic. Pourquoi un porc-épic?  Dans la république des animaux, il n’est pas le plus évocateur. On s’imagine donc que  ce choix a été guidé par des critères donnés. L’auteur voulait certainement un animal pas très domestiques, pas très sauvages, trait qu’il a trouvé dans le porc-épic; et aussi certainement voulait-il un animal avec un trait particulier, une caractéristique spéciale. Quoi de mieux qu’un porc-épic pour incarner cela, lui qui est tant reconnu pour pour ses piquants aussi précis que tranchants. Dans tous les cas, cette histoire a le mérite de sortir de l’ordinaire puisqu’elle raconte une histoire peu ordinaire avec des personnages peu ordinaires dans un style hors du commun.

La sorcellerie : principal thème abordé

Appelez ça comme vous voulez : la sorcellerie, la magie noire, les pratiques occultes…ça veut dire la même chose puisque ça entraîne le même résultat : le mal, la mort. Dans cet ouvrage, Alain Mabanckou aborde une nouvelle fois un thème beaucoup lié à l’Afrique mais aussi très tabou dans ce continent berceau de l’humanité. La sorcellerie n’est généralement pas un sujet de distraction  en Afrique. Tout le monde n’y croit pas même si tout le monde en a peur. C’est donc osé de voir un auteur en parler avec tant d’aisance jusqu’au point de la rendre presque banale. L’auteur dans cet ouvrage y décrit une sorcellerie assez particulière, celle qui unit un homme et un animal (son double nuisible) pour le mal et la mort. Il y décrit les ravages meurtriers de cette union diabolique, union marquée par  des crimes aux motifs les uns plus ridicules que les autres. Vous en verrez certains de ces motifs délirants aux pages 137,138,160 à 163,169 à 173,175 à 177,188 à 192. Vous y verrez aussi le mode opératoire classique de leurs sales besognes, quelques piquants de notre cher porc-épic qui envoyaient ces pauvres victimes vers l’au-delà. Cette histoire vous fera imaginer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, les vastes champs de la bêtise humaine et de sa cruauté voilée par des attributs de civilisation.

Le style de l’auteur

Alain Mabanckou dans cet ouvrage est resté égal à lui même. On avait déjà eu l’occasion de le connaître sur « Verre cassé« ,  son célèbre ouvrage. Mais avec « Mémoires de porc-épic « , il nous confirme son immense talent. L’auteur nous plonge dans un univers un peu fantastique dans lequel un animal possède des facultés humaines ( lire et parler par exemple). Quelques séquences drôles comme la tentative d’assassinat mystique  manquée de Kibandi et de son porc-épic face à une autre sorcière, la vieille Ma Mpori. Sur le plan de la forme,  on remarque certaines allégories par endroit ( page 39,52,54 ) qui lui apportent un certain charme.  L’auteur est aussi resté fidèle à son style.. celui d’écrire sans un seul point, style auquel on s’habitue déjà d’ailleurs. Tout cela contribua à permettre à cet ouvrage de remporter le prix Renaudot 2006.

Conclusion

« Mémoires de porc-épic  » est un ouvrage d’exception. Il fera ressortir en vous des émotions. Il vous fera décrocher à certains endroits des fou-rires,  comme quand vous verrez le porc-épic qui, après la mort de son maître, croyait aussi qu’il allait mourir mais qui est finalement resté  vivant. Il vous fera penser à l’esprit de rédemption, de seconde chance, de nouveau départ tout simplement. Je vous conseille d’avoir une aussi bonne mémoire que le porc-épic afin d’y garder vos bons souvenirs, vos moments de bonheurs car ce qui vous reste à la fin, c’est toujours le meilleur de votre vie. Et comme c’est la fin de l’année, puissiez-vous, à l’image du porc-épic, prendre le baobab comme votre conscience, essayez de remonter le temps pour mieux vous souvenir et n’oubliez pas de faire votre bilan annuel. Très bonne année à tous et à chacun. Bon bilan en compagnie des « Mémoires de porc-épic« .

Evrard AKPO

Evrard AKPO est étudiant en troisième année de Diplomatie et Relations Internationales à l’ENAM ainsi qu’en troisième année de Droit Public à la Faculté de Droit et des Sciences Politiques. Il est aussi passionné de littérature notamment de poésie.