Il n’y a pas de petite querelle est un recueil de contes et d’anecdotes sous-titré Nouveaux contes de la Savane pour probablement faire suite à Petit Bodiel et autres contes de la savane du même auteur. Du nom de son premier conte, ce recueil comporte un ensemble de treize contes aussi captivants qu’empreints d’enseignements :simplement une matérialisation de la tradition orale africaine dont le propre était l’éducation à travers la parole et l’action…En effet, que ce soient les animaux, les choses ou les hommes mis en scènes dans ces contes, ils contribuent tous à montrer une réalité de l’existence de l’homme, ce « seul primat fait pour être éduqué » comme l’avançait Emmanuel Kant.

 

1- Résumé et thématique de chaque conte

  • La querelle des deux lézards ou il n’y a pas de petite querelle

Un maître de maison devant aller en voyage, confie sa mère aux bons soins de ses animaux : un coq, un bouc, un bœuf et un chien. Le chien, fidèle à sa nature, respecta  les consignes de son maitre. En effet, lorsqu’éclata une querelle de lézards dans la chambre de la mère du chef de famille, le chien, puisqu’il ne devait pas quitter son poste de garde, en avisa respectivement le coq, le bouc, le bœuf et le cheval. Ceux-ci, imbus de leur personnalité, crurent bon de se soustraire à leur devoir en prétendant du fait qu’une querelle de lézards ne serait préjudiciable à personne. Mais lorsque les deux lézards tombèrent sur la lampe à huile et que celle-ci enflamma la moustiquaire sous laquelle dormait la mère du chef de famille…

Humilité et obéissance sont les mots d’ordre de ce conte au bout duquel on réalise également que l’indifférence est mauvaise chose. On en retient d’ailleurs que, que vous soyez habilités ou non à résoudre un conflit, il vaudrait mieux le faire en pensant au fait que vous pourriez un jour y laisser aussi votre peau. Car, comme le feu, il n’y a pas de petites querelles.

  • Le roi qui voulait tuer tous les vieux ou nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne

Au village de Toula-Heela, un jeune roi, M’Bonki, demanda d’exterminer tous les vieux du village. Ce que firent, par crainte, les jeunes du royaume à l’exception de Taasi qui était très attaché à son père. Lorsqu’il en prit au roi de s’attaquer également aux jeunes, ceux-ci déjouèrent ses tours grâce à l’aide du vieux sage. Au faîte  de sa déperdition morale, le roi se rendit compte que sans de vieux conseillers, il allait droit au suicide. C’est alors qu’il demanda à celui qui avait caché son père, de le lui envoyer pour en faire son conseiller.

Tout pouvoir pour rester juste, devrait se faire accompagner et conseiller car, l’expérience est si grand atout que nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne.

 

  • L’homme et le crocodile ou le bienfait gâté

C’est l’histoire d’un homme qui se fait happer le pied par un crocodile qu’il vient de sauver d’un incendie de brousse. Déçu par le comportement du crocodile, il en appelle au jugement d’une jument et d’un âne venus se désaltérer sur les bords du fleuve. Ceux-ci, forts de leurs expériences avec les hommes le réprouvent. Un lièvre par contre, venu également sur les lieux le tire d’affaire de façon malicieuse. Sur le champ, reconnaissant au lièvre de l’avoir tirer d’affaire, l’homme invite à partager avec lui, son festin à la maison où il retrouve son fils malade. Celui-ci pour guérir, a besoin du sang de crocodile et de la cervelle de lapin…Un lapin ! Il y avait justement un lièvre dans la maison…

« La fin justifie les moyens » dit-on. Faut-il pour autant rendre le mal pour le bien ? Et plus encore, même si la vie de votre fils en dépendait?…

  • Le marabout trop gourment ou la terre ne ment pas

Un agriculteur Bambara et un éleveur Peul ouvrent leur porte à un homme de Dieu venu dans leur village. Bien que le marabout vécût à la solde de ceux-ci, il lui en prit de se situer non seulement au sommet de la pyramide sociale, mais aussi de mépriser les autres. vint alors à l’agriculteur et à l’éleveur l’idée de le priver un soir de nourriture…

Bien que les statuts sociaux humains ne soient pas les mêmes, faudrait-il pour autant prétendre être au-dessus des autres ? Toute notre existence repose sur des interactions qui nous font dépendre des autres quels qu’ils soient sans oublier que pour survivre, il nous faudra vivre des fruits de la terre…

  • Bon débarras ! ou résultat imprévu d’un prêche

Panda Boné (dont le nom Boné signifie « mal ». Ce qui peut vouloir dire qu’elle est de nature mauvaise) se décide brusquement à la suite d’un prêche à laisser à son mari le reste de la dot qu’il lui doit en signe de bonne volonté et de contrition. Cependant, Haman N’Dof, son mari, voit en cet acte, l’heur pour lui de se défaire de sa compagne acariâtre et infertile…

Il semble qu’une bonne action, quelle qu’elle soit, ne suffise pas à effacer toutes les mauvaises…

  • Le chapelet d’or ou la fidélité récompensée

C’est l’histoire d’un prince et qui réussit à gagner la main d’une princesse grâce à l’aide d’un chien envers lequel il a témoigné une certaine bonté. Au cours du voyage qui ramenait lui et son épouse vers son père, il se lança à la poursuite d’un énorme vautour qui lui arracha des mains, le bijou que lui avait offert sa femme. La poursuite fut longue. Elle dura des années. Ses péripéties le ramenèrent cependant vers son épouse devenue juge appréciée de tous dans la contrée. Elle lui était restée fidèle car il avait prouvé que le joyau qu’elle lui avait offert était d’une importance inouïe à ses yeux.

La bonté, le courage, la fidélité et la persévérance payent toujours…

 

  • La coépouse bossue ou la méchanceté punie

Dépitée de souffrir le martyre à cause de sa coépouse, une dame bossue fuit de sa maison. Son voyage la mena dans une clairière où des êtres d’un autre monde la déchargèrent de sa bosse et la rendirent plus belle. Jalouse des nouveaux atouts de sa coépouse, l’autre coépouse l’amena à lui narrer son aventure. Elle se rendit alors à la clairière aux êtres venus d’un autre monde où s’étant également jointe à leur danse avec de mauvaises idées en tête, elle bénéficia de l’ancienne bosse de sa coépouse.

Le manque de compassion, d’attention et d’empathie de la part de la méchante coépouse recèle des maux plus grands observés chez l’homme porté de nos jours à une certaine condescendance et un manque d’altruisme flagrants…Un coup de baguette et les problèmes des autres pourraient devenir nôtres…

  • La fille au masque de bois ou le piège des apparences

Un jour, une fille du nom de Leguel-Badhadi, décide de se soustraire à la protection de l’arbre Badhadi auquel elle avait été confiée par sa défunte mère Koumbourou. En effet, attirée par les chants du village voisin, elle veut s’y rendre pour découvrir le monde des fils d’Adam. Fidèle aux conseils de l’arbre, elle revêtit un masque de bois et ne se déplaçait qu’avec deux béquilles. Elle fut accueillie par la mère de Hammadi, l’homme le mieux né du village qui la faisait souffrir mille fredaines… Conformément aux instructions de l’arbre Badhadi, elle éprouva le prince sous l’apparence de la jouvencelle du village imaginaire de Sakaye. Hammadi en tomba amoureux. L’amour fit ses preuves à travers les épreuves que Hammadi subit. Et il finit par  se marier à Leguel-Badhadi qui à la fin, se révéla sous son vrai visage, sans masque de bois.

Il paraît que ce que nous cherchons le plus souvent loin de nous est assez proche. Ce qui paraît évident est que juger les choses sous leurs formes premières est mauvaise idée. Les apparences pourraient receler des pièges.

  • Le saint homme et la petite souris ou qui se ressemblent s’assemblent

D’une souris morte par la faute d’un marabout solitaire et ressuscitée grâce à ses ferventes prières, provint une petite fille. Lorsque vint pour celle-ci l’âge de se marier, elle fut présentée par son père, le marabout, aux prétendants Soleil, Gros Nuage, Grande Montagne et Souris-mâle. Malgré les prétentions des trois premiers, elle choisit Souris-mâle.

Les règles d’attractions interpersonnelles demeurent des sujets sensibles. L’expérience de la petite souris montre cependant que l’on est foncièrement attiré par ce qui nous  ressemble ; même si, notre nature humaine nous appelle à faire de tous les hommes, nos semblables sans distinction aucune. S’il faut considérer nos différences de peaux, de langues, de statuts sociaux…

  • L’origine de la chauve-souris ou l’étrange fruit d’amours inattendus

Au début de toute création : un renard et des oiseaux. De tous sauf un, le renard fit son repas. En effet, suite à sa complainte, le renard épargna un oiselet dont il finit par tomber amoureux, avec le temps. De leur union, naquit la chauve-souris.

Le temps panse nos blessures et de nos querelles d’aujourd’hui pourrait naître de l’amour qui donne naissance à un être.

  • La marre aux guenons ou la vérité n’appartient à personne

Au paradis perdu, le royaume de Héli et Yoyoo, des singes et guenons se battaient sur la nature, la profondeur et l’origine du lac au bord duquel ils vivaient. Pendant que de leurs querelles ne sortaient que des tueries, des pélicans quant à eux profitaient des plaisirs du lacs. Ils étaient même l’objet de moqueries de la part des singes. Vint à passer par là une grue-trompette qui décria les attitudes des singes.

Les moqueries et médisances forment parfois nos flots préférés de parole parce que l’on se croit meilleur aux autres. Ne vaudrait-il pas mieux profiter des eaux du lac que de perdre son temps en discussions inutiles ?…

  • Le berger bossu-bossu ou le cavalier solitaire

Samba et Penda, frère et sœur, furent confiés l’un à l’autre ainsi qu’à un palmier magique à la mort de leurs parents. Contrairement aux autres peuhls, ils vivaient en solitaire et disposaient d’un important troupeau. Barka, le palefrenier du roi Manna, découvrit un jour leur secret qu’il s’en alla lui compter. Manna, avide de ce qu’on lui avait compté de la beauté de Penda envoya à diverses reprises des soldats qui se firent battre par Samba. Un jour qu’il s’en fut trop éloigné, Samba ne parvint pas à entendre les appels magiques de sa sœur qui malheureusement se fit cette fois-ci enlever. Samba réussit à se faire prendre sous une forme laide comme berger du roi au palais afin de veiller sur sa sœur. A la demande du roi conseillé par celle-ci, il se maria à la plus belle de ses filles, la dernière qui lui obéit. Il faisait ses preuves en tant que beau chevalier solitaire lorsque le village était attaqué par les brigands. Il redevint au vue de tous, le berger hideux et difforme. Il finit par révéler sa vraie nature après maintes aventures où son secret ne pouvait plus être gardé. Ce qui réjouit sa femme et sa sœur pendant que le bonheur de la cadette du roi rendit jalouse ses sœurs aînées…

L’amour, la bonté, le courage et la beauté sont des vertus qui parfument les lignes de ce conte.

  • Le cadavre de Hyène-Mère ou la justice des grands

Il était une fois, à la demande de sœur Hyène, le roi Lion fit voter une loi punissant tout animal jugé coupable d’avoir exhumé et ou mangé un cadavre. Un animal dérogea à cette loi en exhumant et en mangeant le cadavre de feu Hyène-Mère. Hyène-Fille alla se plaindre au tribunal du Lion. Les investigations de celui-ci le ramenèrent cependant à un coupable dont le nom ne fut jamais révélé. Pour cause, il appartenait à la classe des grands…

La justice ! On en vient parfois à en douter. Elle-t-elle réellement le bâton qui frappe tout le monde et protège l’intérêt de tous ?

 

 

2- Style

Ce recueil est écrit dans un style clair et abordable. Pas parce qu’il est convenable, comme dans les exercices de commentaire composé en Histoire-géographie, de le dire, mais plutôt parce que c’est un fait probant qui détermine la plume d’Amadou Hampâté Bâ. Bien qu’on ait besoin parfois du dictionnaire, on peut sans soucis s’en passer. Les phrases s’expliquent d’elles-mêmes d’autant plus que l’imagination y fait son œuvre. Et pour les passionnés des sous-entendus, l’ironie y tient également sa place. Bref, tout ce qu’il faut pour imaginer, comprendre, deviner, tout simplement, tout ce qu’il faut pour éprouver et vivre. Tout ce qu’il faut pour prouver que l’enseignement africain est dans la parole qui vit et qui fait vivre, dans la parole qui se meut et fait mouvoir et non dans la parole qui est figée…une tradition orale bien qu’écrite de nos jours…

 

3- Actualité et portée

Traiter actualité et portée n’est chose possible que si l’on se réfère aux thématiques abordées. De « Il n’y a pas de petite querelle » à  « La justice des grands« , tout une flopée de thématiques a été abordée. Il faut cependant noter qu’elles se résument aux lois et attitudes régissant une bonne interaction au sein des hommes. C’est ainsi que l’on devra par exemple développer l’obéissance du chien, le courage et la fidélité du prince, la patience de la coépouse bossue, l’intelligence du renard, la bonté de Samba ou même éviter l’arrogance du roi qui voulait tuer tous les vieux, le mauvais caractère de Penda Boné et les médisances et querelles des singes du paradis perdu. Au-delà de ce qu’on pourrait résumer aux termes « leçons de vie », on note des questions d’importance capitale dont celle des statuts sociaux qui apparaît plus amplement dans « Le marabout trop gourment », et qui implique également celle des inégalités sociales abordée dans « Le cadavre de Hyène-Mère, ou encore celle de la compassion et de l’altruisme qui parcourent la querelle des deux lézards » et « La coépouse bossue » qui sont des comportements relatifs à l’épineuse question des migrations par exemple. En fait, il n’y a pas de petites querelles car le rapport entre deux personnes peut être déterminant pour celui entre deux groupes ethniques, entre deux pays ou même entre deux continents. On se souviendra toujours que l’élément déclencheur de la Première Guerre Mondiale est l’Attentat de Sarajevo où perdirent la vie le prince austro-hongrois, François-Ferdinand, et son épouse, Sophie Chotek.

Nous n’allons probablement pas nous mettre à faire un développement sur les migrations, les statuts sociaux, les inégalités sociales, la justice ou la mauvaise gestion des chefs d’Etats à l’image du roi qui voulait tuer tous les vieux ou même leur conseiller d’être sage et juste à l’image de la princesse reconnue comme telles dans le chapelet d’or. Il nous faudra tout simplement comprendre que, comme l’affirmait Stendhal, « le roman est un miroir que l’on promène le long de la rue ». Et, dans un miroir, on peut se voir tel qu’on est sans oublier que tout conte nous fait particulièrement entrevoir ce que nous devrions être ou faire. A chacun donc d’aller tirer de ces treize contes, ce qu’il devrait être ou faire. Il n’y a pas de petites querelles et c’est une interaction ajoutée à une autre qui donne les grandes interactions, bonnes ou mauvaises.

Conclusion

 »Il n’y a pas de petite querelle », c’est l’histoire des animaux à la manière des  »fables » de la Fontaine.  »Il n’y a pas de petite querelle », c’est l’histoire des hommes, des êtres surnaturels, des demi-dieux à la manière de  »L’Iliade et l’Odyssée » de Homère.  »Il n’y a pas de petite querelle », c’est l’histoire ou plutôt, les histoires qui accrochent et éduquent, des contes qui promeuvent les valeurs morales, et décrient la dépravation des mœurs : c’est un recueil de contes qui, non seulement amuse, mais aussi éduque…

 

Mario Loko

 

 

Livre : Il n’y a pas de petite querelle

Auteur : Amadou Hampâté Bâ

Genre littéraire : Contes

Editions :Editions Stock, Pocket 11070

 

Mario LOKO est étudiant en première année à l’INJEPS de Porto-Novo. Il aime la littérature et la musique. Il lui arrive d’être parfois poète à ses heures de rêveries de promeneur solitaire