« Qui seront les enfants de demain ?»

Tell est la grande question que sur fond de prophétisme et de questionnement de l’histoire,  Oumane ALEDJI s’emploie à poser dans son livre Omon-mi (Mon enfant)  . Cette  grande plume de la littérature béninoise, en posant cette question, ne cherche pas la réponse chez les autres. Elle s’est mise à la tâche en créant une aventure bien semblable à celle qu’ont vécue ou que vivent plusieurs peuples africains. Elle a tissé tout un fil scénographique pour mettre chaque personne capable de répondre à cette question, devant sa responsabilité vis-à-vis de l’histoire. Tout acte posé à l’endroit d’un enfant se répercute indubitablement sur l’avenir de l’humanité. La sacralité de la vie humaine devrait l’emporter sur les choix eugénistes de nos sociétés qui ont déterminé des canons suivant lesquels les enfants doivent venir au monde : qui ne rentre pas dans ces canons, se condamne à mort. L’auteur, dans son livre recentre le débat sur la place réelle que la tradition accorde aux enfants nés avec quelque difformité ou déformation.

L’œuvre commence par un tableau où deux personnages sont peu ou prou embrouillés dans leur choix à tuer un enfant. C’est dans une communauté africaine que se déroule l’histoire. Une femme a mis au monde un bébé que l’on traite « d’enfant sorcier « :

  • « Voyez-vous de quel monstre elle vient d’accoucher ?
  • Ce n’est pas un monstre. C’est un jumeau.
  • Un jumeau, dites-vous ? Peut-on naître seul et être jumeau ? » p33

Les traditions et coutumes de cette communauté ne sont pas favorables à ces enfants nés avec une quelconque malformation naturelle. Et le sort réservé est fatal :

  • « Va-t-il vivre parmi nous,
  • Certainement pas ! Mais, laissons nos ainés en juger.» p33

Le tableau que peint cette œuvre se fait donc clair avec cette dernière phrase, mais lugubre sur le sort réservés à ces enfants traités de sorciers. Dans le présent cas, l’auteur trace le vol de cet enfant que les ainés veulent exécuter. La mère en devient folle. Elle pleure mais cherche son enfant.La tradition et les ainés le lui retourneront-ils ? Son inquiétude de mère subit et endure la moquerie : les voleurs dansent de joie et se livrent aux ripailles, beuveries et jouissances dans des boites de nuit car ils sont fiers : « pour eux, voler un enfant sorcier à sa mère est un service qu’ils rendent à la communauté. » p77

Ousmane ALEDJI est l’auteur de cette fresque sociologique aux relents dramatiques et tragiques. Elle est tout originale dans son écriture qui ne nomme pas les personnages ni ne les présente de façon classique au début de l’œuvre. On les découvre, ces personnages comme toute personne physique et/ou morale qui intervient dans le phénomène de meurtre des enfants sorciers. La thématique touche plusieurs pays du monde dans lesquels l’auteur trouve des pratiques spécifiquement dangereuses à la vie de l’humanité. Et pourtant l’on sait que de ces enfants dépend l’avenir de notre commune humanité. « Nous sommes-nous entendus sur des exécutions excusables d’enfants ? » p91. Ousmane ALEDJI, interpelle le lecteur de cette pièce théâtrale et l’amène à repenser les lois et coutumes de ses traditions et à panser les plaies laissées par ces traditions extrémistes.

Le dénouement de l’oeuvre fait flipper et invite faire se demander au lecteur ce qu’aurait été sa vie s’il était né dans les mêmes circonstances et la même aire socioculturelle que l’enfant dont il est question dans le livre. Et c’est ici que la réalité et la fiction se font mitoyennes pour faire vivre au lecteur une histoire proche de lui et dans laquelle il se retrouve à maints égards. L’auteur relève une contradiction interne qui se fait aberration: Tous les couples veulent au moins un enfant. Et si celui que la tradition exécute était le seul dont la vie les gratifiait?

Omon-mi (Mon enfant) “ compte quatorze (14) scènes écrites dans une certaine liberté par l’auteur qui a usé de styles particuliers et personnels. Cette pièce ne fait que révéler davantage la particularité de la plume de son auteur. Des didascalies aux dialogues passant par l’organisation des scènes, tout est colorié selon les goûts de Ousmane ALEDJI qui ne s’accroche pas à une règle classique de la Dramaturgie.“Omon-mi (Mon enfant) “, ce théâtre publié en 2014 grâce à la synergie éditoriale de Artisttik Editions (Cotonou-Bénin) et Editions Plumes Soleil (Cotonou-Bénin) s’étend sur cent (100) pages et nous fait découvrir une autre dimension du théâtre, en l’occurrence du théâtre béninois.

Ce livre est à lire ! Ce livre est à enseigner dans les cultures et les traditions où l’enfant, cet être innocent et fragile, est encore menacé. Tout lecteur est enfant parce qu’il apprend ou gagne quelque chose de nouveau. Prenez ce livre, ouvrez-le pour le lire et surtout pour répondre à la question cruciale !

« Qui seront les enfants de demain ?» p 92.

 

Fabroni Bill YOCLOUNON

 

 

 

  1. la question de départ rappelle celle posée au sujet de Trabi : que sera cet enfant? Personne ne le sait. Mais ce que nous pouvons faire, c’est de laisser les enfants vivre et accomplir leur destin. En eux, sommeille peut-être le nouvel Einstein