Il y a de cela très longtemps, dans un village, vivait Vigan, un homme sérieux et aimé de tous. Mais on ne pouvait pas en dire autant de ses femmes, surtout de la dernière venue. Sa bouche la précédait en tout. Elle avait tellement causé d’ennuis à la maisonnée que personne ne se préoccupait plus d’elle. Mais un jour, les choses prirent d’autres allures. Nyandɔ, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, la dernière femme, parlait de tout à tout le monde, critiquait tout le monde et tout en toute occasion, aux yeux et à la barbe de tout le monde, devant ses enfants, surtout son aîné, Nyanvivi. Elle avait un avantage sur les autres, du moins celui que lui octroyait sa belle chevelure, rousse et brillante comme les barbes du maïs. Sa chevelure était un atout considérable dans son arsenal de séduction. A cause de ses cheveux, elle se pavanait dans le village comme si elle était une déesse tombée du ciel sans blessure. Son mari eut aussi la gentillesse de lui créer un petit commerce de petits produits vivriers : beignets, arachides grillées, galettes, gari. Elle était donc en contact avec la population régulièrement. Seulement, qu’elle parlait beaucoup plus qu’elle ne vendait.

Nyandɔ reçut la visite de leur nouvelle voisine, Non-kpokpo, qui était dans le quartier depuis seulement trois semaines. Elle n’a jamais cherché à s’allier à quelqu’un pour quoi que ce soit. Elle était venue pour payer de l’arachide, et comme il n’y avait personne devant la marchandise, elle était rentrée dans la maison. Six femmes de Vigan étaient allées les unes au champ avec lui, les autres au marché pour les emplettes. Nyanvivi, ayant aperçu la visiteuse désireuse payer des arachides, courut, et devant le seuil de la porte cria d’une voix forte devant elle :

  • Maman, maman, la dame dont tu disais qu’elle ne sait que faire des yeux doux aux mari des autres là, quand elle parle a une bouche qui sent mauvais ; la dame grosse, qui n’arrive pas à marcher correctement, qui n’a pas d’enfants à la maison, celle dont tu nous as dit hier que c’est une vraie sorcière parce qu’elle ne salue jamais les gens en souriant, celle qu’on a giflée au marché la fois dernière-là, celle dont le pagne sent toujours la moutarde avariée et qui a les yeux constamment rouges… c’est elle qui est là!
  • Oui, celle-là qui ne brosse jamais les dents, la pauvre ; oui, qu’a-t-elle encore fait ?
  • Elle est venue et veut te voir. Elle veut payer de l’arachide.
  • Elle est où ?
  • Elle est ici, devant la porte.

Devant ces propos, Non-kpokpo faillit prendre feu. Néanmoins, elle réussit à contenir sa colère. Nyandɔ mit un peu de temps à sortir, et pendant ce temps, la visiteuse avait pris un tabouret sur lequel elle s’est assise, attendant la sortie de la mégère. Et dès qu’elle mit les pieds dehors, Non-Kpokpo se jeta sur elle sans demander d’explication.

 

Les deux se roulèrent par terre. Non-kpokpo réussit à immobiliser sa rivale. Elle ôta alors ses sandales et s’en servit pour pilonner la bouche de Nyandɔ jusqu’à lui enlever quatre dents : deux de chaque mâchoire. Elle parvint aussi à lui mordre la langue, son arme de destruction massive. Personne n’étant à la maison pour les séparer, Nyanvivi sortit et essaya d’alerter les passants mais personne ne voulait mettre sa bouche dans les histoires de cette dame, qui était détestée de tous sauf de son mari à certains moments.

 

 

Nyandɔ fut sérieusement secouée, battue et à la fin abattue. Le comble était que Non-kpokpo dans sa furie, avait arraché une partie importante de sa fière chevelure. Du front au sommet du crâne, se créa un grand boulevard, disons un vaste désert qui mettait en relief des dunes de pellicules et des nids de poux sur le crâne bosselé et au relief très accidenté de la pauvre mégère. Nyandɔ avait perdu de sa superbe. Elle était non seulement défigurée, mais aussi « décoiffée ». Le soir venu, la maison fut remplie. Il y avait plus de curieux venus aux nouvelles que de compatissants. Du retour du champ, Vigan ne voulut pas commenter ce qui s’est passé. Il fit comme si de rien n’était. Pour les autres, il y avait une satisfaction mêlée de crainte. Satisfaction, car enfin, une personne a pu mettre la main sur cette mégère, puisque de mémoire d’homme, c’était la première fois que Nyandɔ a été remise à sa place. La crainte, tout simplement parce que personne ne pouvait maîtriser d’avance la nature des représailles qui allaient suivre cette humiliation. Mais, la battue était trop diminuée pour penser revenir sur la scène de commérage. Elle eut du mal à se rétablir et une fois que cela fut fait, elle changea d’attitudes vis-à-vis des autres et devint un peu plus humaine et acheta une bride pour sa bouche.

 

C’est ainsi que la paix régna de nouveau dans le quartier . Elle comprit que sa bouche fut la cause de son malheur. Elle réalisa alors qu’on ne s’amuse pas avec tout le monde, tout comme on ne se moque pas de tout le monde impunément.

Moralité : Il faut savoir parler devant les enfants et surtout maîtriser sa langue.

 

Kouassi Claude OBOE

 

 

 

 

  1. Je suis mort de rire…il y a eu dans cette un intime bouche à bouche qui bouche à jamais la bouche à une mégère..