Un os dans la gorge des dieux, paru aux Editions Riveneuve en 2012 , est une fresque de 219 pages. Dès l’entame de l’histoire, l’auteur nous transporte dans un univers hautement déifié et non moins païen. Il tisse une trame où se chevauchent les diverses croyances culturelles et cultuelles d’un pays imaginaire connu de tous. Ici, il dit avec dextérité la téméraire cohabitation entre les religions endogènes et celles occidentales. En mettant l’accent sur les divergences qui séparent les croyants des religions catholiques, protestants et évangéliques d’une part et la satanisation qui fait l’apparat des dieux Ogou ( dieu du fer) et Shango(Dieu du tonnerre) d’autre parts

 

Un acte touristique et existentiel

Les lignes de ce roman sont un acte touristique et existentiel. Touristique, car tout lecteur se retrouve plongé dans un monde inédit où il reçoit chaque description comme une découverte, chaque personnage comme un être sorti du commun des mortels, chaque passage comme une immersion dans un monde d’initiés. Un acte existentiel pour cette réalité dictée haut et fort dans nos quotidiens, que nous n’appréhendons pas forcément mais dont nous sommes complices sans véritablement le vouloir. Il l’exprime d’ailleurs à la Page 51 : « Les dieux n’existent que par le zèle de leurs fidèles ici-bas ». C’est à ce titre que nous découvrons, Tadjin adepte du dieu Shango, ancien exilé, et tresseur de cordes, revenu prétendre à la place d’Elegoun Shango (prêtre de Shango ayant reçu l’incarnation du dieu Shango en lui). Hélas, il fut rejeté car n’ayant pas reçu l’approbation des dignitaires du dieu suscité. Ceci renoue avec la question de la cohabitation des êtres humains qui pour des intérêts mesquins ou par jalousie préfèrent ignorer le savoir, le talent ou l’existence d’un de leur congénère quitte à sacrifier tout développement sur l’autel de la mavaise foi.

C’est donc un châtiment mortel qui attendait Tadjin qui pour se venger avait défier le dieu Shango lors d’une grande cérémonie de ce dieu et de ses adeptes. Pourtant rien n’y fit. Les différentes tentatives pour éliminer l’effronté furent vaines malgré la hargne du devoir qu’affichaient les dignitaires en Page 67 : « Que la haine soit pour nous un invincible liant, que la rage surpasse notre dévotion et qu’elle nous tienne soudés dans le combat. Notre raison de vivre désormais est de donner la mort »

 

Une guerre intestine

L’ultime acte de Tadjin envers Shango au lieu de réunir les dignitaires pour son châtiment suprême est devenu source de querelle intestine dans le rang des grands adeptes du dieu. Ceci est un beau reflet du continent Noir qui a toujours su être diviser face à ses intérêts, donnant force et raison aux autres nations pour mieux s’immiscer dans sa gestion et contribuer à l’autodestruction de son unité. C’est à croire que face à des réflexions que l’homme mène avec parcimonie, Dieu et les dieux se taisaient éternellement. Quoiqu’il en fût, Tadjin comme l’Afrique sut rester debout pour déjouer chacune de leurs tentatives réelles ou obscures à l’éliminer.

 

Le choix du reptile pour accomplir l’acte retors

Dans « Un os dans la gorge des dieux », l’animal porteur de mal fût encore le reptile, un serpent : « …Il n’était qu’un animal, parmis les derniers du règne » a souligné Gaston Zossou et n’avait de réflexion que son instinct dicté par le désir des Hommes. L’histoire semble donc se répéter comme dans la genèse de la Bible. Quand on doit lier, l’humain au divin qui pour se soustraire à l’obéissance divine, use de la langue fourchue du serpent pour se hisser à sa sale besogne. L’existence n’est donc qu’un éternel recommencement où l’homme doit pouvoir puiser de ses expériences et de l’histoire pour ne pas commettre les mêmes erreurs.

 

L’union fait la force

L’extrême urgence de l’élimination de l’impétueux héros qui a osé défier Shango et l’impossibilité de l’éliminer, entrainent un accord tacite entre les dieux. Leurs divergences ne les empêchèrent pas de recourir à Ogou pour éliminer Tadjin de la surface de la terre. Ce n’est donc pas un hasard si l’écrivain Gaston Zossou donna comme métier à son héros, tresseur de cordes. Comme dans « Les tresseurs de cordes » de Jean Pliya, il fallait s’unir pour lui, contre lui, autour de lui, tresser en amont et en aval cette corde qui servirait à sa mise à mort. Face à la panique de perdre la face, de voir le panthéon des dieux réduit à une simple supercherie, les adeptes de tous les dieux s’unirent car ils n’avaient qu’un seul et même ennemi : la désunion. Sans attendre l’issue de leur haine, des questionnements surgirent pourtant dans leur esprit, remettant en cause la nature de leur foi, l’égoïsme dont ils faisaient preuve sous couvert de leurs dieux.

 

La femme, fin de toute chose

Gaston Zossou place la femme en fin de son roman, pour l’aboutissement de l’énigme Tadjin. Ses détracteurs en trois ans de vaine haine n’ont pas pu arriver à leurs fins. Seule la femme légendaire et invraisemblable, s’est glissée dans le jour de Tadjin pour en faire une proie facile. Il la décrit ainsi en Page 194 : «  La puissance de la femme n’est pas insignifiante quand elle se remet de ses sanglots et refait son pagne autour de la hanche de rondeurs parfaites. »

Le style utilisé et l’usage du temps de narration

C’est un dosage spécial de l’imparfait et du passé simple de l’indicatif qui avec le subjonctif passé 1ère et 2è forme élaborent une allitération des consonnes qui nous plongent dans un chevauchement admirable de la lecture de cette œuvre. Il y a aussi ce langage courant et recherché qui n’asphyxie ni n’essouffle le lecteur. Un roman d’une poésie belle et facile qui nous offre une Afrique des réalités ancestrales. Une narration en gradation qui fait monter l’importance des actions narrées au fil des pages. C’est toute une invite à la lecture et un plaidoyer à la réflexion concernant nos us et coutumes. Gaston Zossou a su rester neutre jusqu’au dernier mot de son roman malgré sa culture qu’il narrait avec brio. On croirait qu’il se laisserait corrompu par un sursaut de foi en stigmatisant l’une ou l’autre religion mais il est resté impartial dans sa narration et dans sa forme des choses à nous décrire. Cette œuvre n’est pas banale car on en sort accompli et plein d’un autre savoir. C’est dire qu’on ne parle d’yeux avec les dieux pour rien.

 

Myrtille Akofa HAHO

  1. Wouah ….beau compte rendu de lecture . Gaston ZOSSOU reste un narrateur juste dans le temps et dans l’expression des sentiments. Envie simplement de relire .

  2. Beau compte rendu de l’univers que dépeint Gaston Zossou dans Un Os dans la gorge des dieux et de la façon dont il nous y plonge.
    La plume de Gaston comme celle de Myrtille, un bis-cuit!!!

  3. Beau compte rendu. chapeau bas à toi, Myrtille. J’ai une préoccupation : n’y aurait-il pas une certaine influence de la mythologie grecque sur cette œuvre vu la proximité entre les dieux et les humains?

    • Attention aux crocs acérés de ces dieux, cher Cyr ZOGO. S’y pique qui s’y frotte

  4. Il ne me reste plus qu’à me procurer de l’ouvrage pour une lecteur en profondeur….
    Merci à l’équipe  »Biscottes Littéraires »..

  5. Merci à toi Myrtille pour ce beau compte rendu que je viens de relire sans me lasser.
    Autant la plume de Gaston Zossou se révèle un succulent régal littéraire et culturel, autant ton amour pour les belles lettres transparaît dans ces lignes qui retracent avec soin la puissance narrative de l’auteur.