Il sonnait dix-huit heures. Déjà les chauves-souris et quelques autres oiseaux planaient dans le ciel crépusculaire.   Voitures, motos et piétons s’empressaient. Les klaxons des automobiles et des motocyclistes se faisaient entendre. Monsèdé fit arrêter un taxi moto qui la remorqua et disparut dans un nuage de fumée. Le marché Adjahagon s’animait au bord de la voie pavée. C’était un petit marché grouillant de monde.  Les marchandes hélaient les acheteurs. Les acheteurs se faufilaient entre les étalages. Une fois descendue de la moto, la jeune femme se dirigea vers les vendeuses  de crustacés.  Elle  passa  devant les étales, y jeta un coup d’œil. Les marchandes l’appelèrent. Monsèdé s’arrêta.

– Bonsoir madame, lui lança la marchande.

– Bonsoir maman. A combien sont les crabes ?

– 500f le petit panier.

– Et 400f ?

– Non, lui répondit-elle. C’est insuffisant.

 

 

Monsèdé hésita  un moment  puis paya. Elle alla chez d’autres vendeuses, fit son ravitaillement et repartit.

A la maison,  la porte du salon fut entrouverte. Elle la franchit sans tarder et ne vit personne. Elle alla dans les deux autres  chambres, dans la cuisine puis dans la douche: il n’y avait personne. Elle s’étonna, appela la domestique à maintes reprises, en vain. Elle fut saisie d’une peur soudaine.

  • Où est-elle partie ? Et ma fille ? se demanda-t-elle.

Inquiète, Monsèdé alla taper à la porte de Koffi son colocataire. Celui-ci sortit.

– Bonsoir Koffi, as-tu Sèna et Affoussa ?

– Non, je ne les ai pas vues. Qu’y-a-t-il ?

– Elles ne sont pas dans la chambre.

– Elles sont peut-être allées acheter…

– Non, ce n’est pas leur habitude. Et d’ailleurs, je ne leur ai rien commandé. Je commence par craindre le pire.

 

 

Koffi pouvait lire dans le regard de Monsèdé, une grande panique. Elle semblait au bord de l’effondrement. Déjà quelques gouttes de larmes révélaient son état d’âme. Une mère affolée priant silencieusement Dieu pour que Affoussa, sa domestique, et Sèna, sa fille, reviennent à la maison saines et sauves. Telle était l’image que reflétait le visage de Monsèdé en ce moment.

Ne pouvant rester de marbre face à ce triste tableau, Koffi proposa à la jeune dame de l’accompagner faire le tour du quartier. Ils alertèrent les  voisins.

Après trois heures de recherches infructueuses, Monsèdé perdit tout espoir et décida de déclarer la perte de sa fille à la police.

Une demi-heure plus tard, une patrouille  de police circulait dans le quartier. Les policiers sillonnèrent les ruelles, firent le tour des maisons environnantes sans gain de cause. Les deux filles étaient introuvables.

Deux jours passèrent, les enquêtes se poursuivirent avec l’espoir de retrouver Sèna et Affoussa. Deux jours pendant lesquels Monsèdé n’avait pu rien avaler. Son désarroi était à son  paroxysme. Elle dépérissait chaque jour un peu plus et ses yeux constamment bouffis étaient la preuve de longues nuits d’insomnie.

Où pouvait bien être son enfant, sa petite Sèna ? Et Affoussa, où diable avait-elle emmené sa fille ? Sèna était-elle dans de bonnes conditions ? A quel sort était-elle vouée ? Était-elle seulement encore en vie ? Comment pouvait-elle informer le père de Sèna de sa disparition sans soulever son courroux ?

Monsèdé fondit en larmes, après ces interrogations auxquelles elle ne parvint pas à trouver de réponse.

Le lendemain matin, elle se leva tôt et se rendit chez Sabine, la tante paternelle de Sèna.

Après sa séparation avec Paulin, le père de Sèna, Sabine était la seule à lui rendre visite fréquemment.

Celle-ci s’était liée d’amitié avec Monsèdé depuis les débuts de sa relation avec Paulin. Une amitié qui a survécu à la récente séparation du couple.

A sa vue, Sabine s’écria, atterrée :

-Monsèdé, qu’as-tu ? Es-tu endeuillée. ?

Monsèdé fondit à nouveau en larmes avant même d’avoir pu dire quoi que ce soit.

Sabine la fit asseoir, le temps qu’elle se calme et se décide enfin à parler.

-Sabine…ta fille, Sèna…a disparu depuis trois jours. Je ne sais plus à  quel saint me vouer. Toutes recherches semblent infructueuses. Même les investigations de la police sont vaines.

-Quoi ? Que me dis-tu là ? Sèna perdue ? Et comment ? Paulin est-il informé ? S’estomaqua Sabine

-Tu connais bien ton frère… Il me tuerait de ses propres mains si je le lui apprenais… J’ai perdu tout espoir Sabine. C’est de ma faute. Je l’ai laissée seule pour aller au marché  avec ma nouvelle bonne recrutée par l’entremise des démarcheurs de Zongo.

-Es-tu retournée sur le site pour prendre de ses nouvelles ?

-Oui. J’y suis allée avec la police. Apparemment, les démarcheurs n’avaient aucune information sur la provenance réelle de la domestique. Ils m’avaient laissé croire qu’elle venait du nord-Togo et voulait se faire un peu d’argent durant une année avant de retourner auprès des siens. Ils m’avaient menti pour pouvoir empocher les sous. Actuellement, ils sont en garde à vue faute d’informations fiables de leur part.

Cette fille, Affoussa, je l’ai étudiée pendant deux semaines, elle m’avait l’air correct pourtant ! Seigneur ! Sabine, je me suis fait avoir! Que vais-je devenir ?

– Calme-toi, Monsèdé. Nous allons les retrouver. Aie foi en Dieu.  Mais avant toute chose, nous devons informer Paulin.

– D’accord, dit-elle. Espérons qu’il le prenne sportivement.

Sabine et Monsèdé se rendirent chez Paulin. A la première sonnerie, le gardien vint leur ouvrir et sursauta en voyant l’ex-femme de son patron.

-M…m’dme bégaya-t-il. Que faites-vous ici ?

Sabine le remit vertement à sa place.

-Es-tu un gardien ou inspecteur de police ? Mon frère te payes-t-il pour poser des questions aussi bêtes à ses visiteurs ? Ôte-toi de là et laisse-moi passer, idiot !

-Mais madame…C’est que….

 

-C’est que quoi ? Nous sommes venues ici pour des urgences. Vas donc m’appeler mon frère si tu ne veux pas nous ouvrir !

– Je viens madame ! Excusez-moi madame ! J’ai reçu l’ordre de ne laisser entrer personne. Comprenez-moi.

Le gardien, après s’être confondu en plates excuses, s’élança comme un guépard vers les appartements de son patron pour l’informer de la venue de sa sœur et de Monsêdé. Dans sa confusion, il oublia de refermer le portail à clé, Sabine poussa la porte et se dirigea droit vers le salon de Paulin. A sa grande surprise, elle vit sa petite nièce entrain de s’amuser avec une autre fille d’environ seize ans. Il devrait certainement s’agir de Affoussa.

Sabine s’écria:

-Monsèdé !!! Entre, s’il te plait !

Dès que la jeune femme fut entrée dans la maison, Affoussa courut à sa rencontre !

-Bonne arrivée, maman ! Tu nous as  manqué ! Papa Sèna est venu nous chercher quand tu es partie au marché ! Il nous a dit que tu as eu une urgence et que tu as dû voyager. Raison pour laquelle tu lui as demandé de venir nous chercher Sèna et moi.

Monsèdé s’évanouit avant même d’avoir pu placer un mot ! Paulin tout honteux se précipita dans la cour et tout le monde se retrouva à l’hôpital.

 

Annie Nontounou Espérencia CAPO-CHICHI 

 

Annie Nontounou Espérencia CAPO-CHICHI est une jeune fille béninoise. Elle a 22 ans et  est  étudiante en troisième année de philologie hispanique et de Civilisations afro-américaines. Elle est passionnée de littérature et a collaboré au recueil : »Dernières nouvelles des écrivaines béninoises« 

  1. superbe, le style est bon, les idées coherentes dans l’ensemble. Très bon texte 👌

  2. Je ne peux pas passer sans avoir laissé un mot après avoir lu ce beau et cohérent texte… 😀 :*.
    Annie, félicitation pour cet écrit. Bonne aventure littéraire. T’as une plume en or. Du courage.

  3. Félicitations Annie pour cette nouvelle.
    J’avoue que j’ai bien aimé l’histoire quand bien même que le dénouement m’a eu. C’est ça le génie de l’écrivain.
    Du courage à toi

  4. Un très beau texte. Félicitation Annie et bon courage pour la suite de l’aventure.