Il était encore cinq heures du matin ce lundi du mois de novembre quand le réveil de Séraphine l’arracha de son sommeil. Elle se précipita dans la cour qu’elle balaya rapidement comme si elle avait eu les bras de dix femmes. Elle nettoya ensuite le salon et la cuisine. Après ses corvées matinales, Séraphine entra dans la douche où elle passa un long moment à sculpter son corps avec son éponge. Elle acheva sa toilette devant le miroir. Rouge à lèvre, poudre, crayon, eyeliner, eyeshadow, rien n’échappe aux fins doigts soigneusement entretenus de Séraphine par une manucure impeccable. En effet, elle avait du talent dans l’art de se façonner le visage ; en témoignent ses pommettes de coréenne et son maquillage, une réplique de celui de Kim Kardashian. Toutes les filles étaient jalouses de sa beauté et les garçons n’avaient d’yeux que pour elle. Elle était la référence en matière de mode et ne pouvait se permettre d’apparaitre un lundi matin à la cérémonie des couleurs sans avoir soumis son visage à ce rituel esthétique dont elle avait le secret. Elle se devait d’être magnifique. Quelques gouttes de parfum n’étaient pas de trop pour donner un air royal à cette mission de gardienne de beauté qu’elle s’était convaincue d’incarner.

 

 

Bientôt sept heures. Séraphine sortit de la maison après avoir ramassé les trois cent francs que lui a laissés son père. Quelques pas et la voilà dans la rue où l’attentait Richard, son petit copain. Richard n’était pas des plus beaux, mais il était le fils du maire. Si on devait s’en tenir à sa tête bizarroïde de Néandertalien, à son visage simiesque et à ses épaules de King Kong, si on ne devait considérer que le désert créé sur son massif crâne par la teigne et la calvitie, les acnés sauvages dont est clouté son visage, ses jambes arquées et dodues, ses orteils gros comme des oignons de Mallanville, ses yeux constamment rouges, ses lunettes de Patrice Lumumba et ses épaules larges et carrées, si on devait être tatillon sur son tempérament fougueux et son front ombrageux, sa mine bourrue  et son bégaiement chronique, Richard rassemblait tous les atouts pour vivre en homme solitaire, raillé des filles. Mais il avait de l’argent. Il était visiblement aisé, du moins, la situation de son père le lui permet. Ce que la nature vous refuse, l’argent peut parfois vous l’octroyer, aimait-il à répéter, convaincu de son physique peu enviable. Et en tant que fils du maire, il était une autorité en miniature dans son collège. Beaucoup de professeurs sollicitaient ses services et son entremise pour que leur dossier fût agréé du premier citoyen de la commune. En plus d’avoir une moto, Richard était le Délégué du collègue.

Ce matin-là, Richard accueillit sa dulcinée avec un grand sourire et quelques bisous sur les joues. Mais franchement Séraphine ou plutôt Séraphina comme elle aimait se faire appeler par ses camarades pour ressembler aux actrices latino-américaines telles que Rosalinda, Catalina, Helena, préférait les bisous sur les lèvres comme dans les feuilletons, qu’elle ne manquait jamais d’ailleurs de regarder aux heures d’étude. Les deux amoureux enfourchèrent la moto Daynag et se dirigèrent vers le CEG de Mivakpo, laissant derrière eux de gros bruits de pétards et des tonnes de poussière. Il faut reconnaître que le Collège d’Enseignement Général de Mivapko était reconnu pour la légèreté de ses jeunes élèves. Les Surveillants Généraux ayant pris par Mivapko priaient le ciel pour ne plus jamais entendre ce nom de leur vie. Monsieur Djido, le Nouveau Surveillant, croyait pouvoir relever le défi et faire entendre son nom dans les quatre coins de ville. Ainsi, il n’hésitait pas à se servir de ses paires de ciseaux pour arranger et discipliner les coiffures fantaisistes réalisées à la manière des vedettes des chansons urbaines ou encore les Kakis qui laissaient voir un peu trop que ce qui est permis. Mais grande fut sa déception devant le comportement sens dessus-dessous de ses apprenants qui se lançaient des défis pour savoir qui aurait le plus d’heures dans le cahier de conduite.

 

Déjà sept heures et quinze minutes. L’établissement se remplissait peu à peu. Et comme dans un défilé de mode, les filles faisaient briller leurs tibias et leurs visages au soleil indolent de ce matin-là. Des talons hauts, kakis au-dessus des genoux laissant voir les cuisses, kaki à col ouvert faisant découvrir des  seins peu attrayants à cause des produits agressifs qui avaient enlevé la beauté de ces peaux encore jeunes. Le couple royal fit son entré dans le collège. Séraphine rejoignit ses copines, Stécy et Claudette. Elles passèrent des minutes à discuter des feuilletons du week-end. Et la bande babillarde se lança dans des reportages à n’en point finir:

– Séraphina, as-tu vu comme Roberto a embrassé l’actrice hier ? Demanda Claudette, une fille au crâne mâle et au front fuyant, plus vielle que son âge.

Oui ! Je trouve qu’il embrasse super bien, fit Séraphine. J’aime ces genres de baiser langoureux. Seulement que Richard n’est pas si doué.

– Moi je n’ai pas pu voir ça. Lança Stécy, une vraie guenon en Kaki avec sa peau plus que ridée, disons, recouvertes de petites écailles, et ses talons fendillées comme les terres argileuses de pendant la sécheresse. « Mon papa est vite rentré hier. »

 

-Je trouve que ton papa est trop dur et ringard, c’est pourquoi je ne te rends plus visite, dit Séraphine. Toujours là à poser de tas de questions.

– Ne dis pas ça Séraphina, reprit Claudette, il est juste protecteur.

– Protecteur ? Il est plutôt à ta suite comme une sentinelle.

Après un moment de bavardage, Séraphine dit subitement :

– Dis, Claudette, que font tous ces parents devant la Surveillance Générale?

– Je ne sais pas. Mais un lundi matin, cela n’augure rien de bon. En parlant de parents, Séraphina, as-tu dit à ta mère que tu as des retards ?

– Moi je dirai que c’est plus que des retards. Je vois un futur prince à l’horizon.

– Arrête Stécy, je ne suis pas enceinte et ma mère n’a rien à en savoir. Comme tu l’as dit ce sont des retards. Et des retards on peut y remédier. J’ai déjà pris ma décoction habituelle.

– En tout cas cette décoction te conduira loin ma chérie.

– Je n’ai pas le choix. Si je tombe enceinte, Richard risque de me laisser. Je perdrai la place qui m’a coûté si cher. Je suis la plus jolie et la copine du délégué. Toutes les filles me jalousent. Je n’imagine pas la honte qui me couvrirait si je poussais un ventre ou si Richard me quittais pour une autre. Je mourrai de chagrin. Non ! Je me suiciderai.

– Tu as raison ça te coûte cher cette place, vu que tu ne viens plus aux séances d’exercices ni au catéchisme pour aller le voir en douce. J’oubliais, tu as aussi raté ta moyenne du premier semestre.

– Lâche-la, Stécy !

– Tu as peut-être raison, Stécy. Mais sache que quand tu connaîtras l’amour vrai, l’amour palpitant, l’amour chaud comme le pain sorti du four, tu réagiras autrement. C’est vrai que de nous toutes, tu es la beauté intellectuelle et dans ce domaine, Claudette excelle aussi. Moi je n’ai que mon corps. Ma tête n’est certainement pas faite pour les trucs de Thalès, Pythagore, Descartes, Euclide et autres. Mais là où la tête ne peut aller, le corps lui peut même dépasser cet endroit-là. Tu sais Claudette, les paroles de la Vierge Marie ne me touchent pas. Si elle avait un téléphone haut de gamme comme le mien et qu’elle pouvait scruter à la loupe toutes les publications sur Facebook, elle saurait que le monde a évolué.

– Oui Séraphina, c’est notre petite sainte-ni-touche. Ne te fâche pas et continue de briller parmi nous et de scintiller au-dessus de nous comme l’astre de beauté que Dieu s’est empressé de créer pour argenter et agrémenter chacun de nos quotidiens.

 

 

Sept heures quarante-cinq. La sirène retentit. Tout le collège se dirigea vers le drapeau. Après l’exécution de l’hymne national, le directeur prit la parole.

– Bonjour chers apprenants, je suis très déçu de vous annoncer que votre manque de sérieux et de responsabilité vous ont valu la médaille d’or.

Un émoi secoua l’établissement. Les uns et les autres se regardèrent instinctivement. Le Directeur poursuivit d’un ton sec:

– D’après les statistiques départementales, le collège Mivapko a le plus fort taux de grossesses. En effet nous avons enregistré plus de cinquante cas de grossesses. Je crois que tout le corps est pourri, la tête aussi.

Tous pensèrent au Directeur lui-même et aux autres membres du corps professoral. Un grand murmure s’éleva du rang des élèves et des commentaires jaillirent des lèvres de plus d’un.

 

– Votre Délégué s’est avéré être un imbattable étalon. Il a pris son rôle de premier représentant des élèves plus qu’au sérieux, pour ne pas dire qu’il en a abusé. Il est l’auteur de près de onze grossesses et les parents des jeunes villes concernées, toutes de la quatrième d’ailleurs, sont actuellement devant la Surveillance. Le Commissaire Central de la ville  est là. Il se fait que deux de ses filles ont été victimes de la lubricité de votre premier responsable.

 

L’affaire est allée très loin, dans les hautes sphères de ce pays. J’ai reçu des instructions fermes. Il m’a été demandé d’en parler publiquement, et c’est avec peine que je me vois obligé de parler mal de celui que nous avons élu comme chef. Je le fait pour rendre hommage à la vérité. Les réseaux sociaux se sont déjà emparés de cette affaire. Vous en étiez tous au courant. Que la Justice fasse son travail. Je vous remercie. Rompez!

A ces mots, on entendit un hurlement dans le rang des élèves de la seconde. C’est sa majesté la première dame du collège qui venait de perdre connaissance.

 

 AHOUANDJINOU Adjovi Pauline enseigne la philosophie dans les lycées et collèges du Bénin . Elle a  25 ans et nourrit de la passion pour les arts ; surtout pour le dessin et la musique. A ses heures perdues, elle griffonnes de petites histoires.

 

  1. Pauvre Richard! Il faut croire que vous ne lui avez pas fait cadeau ma chère amie. Je respecte votre plume. Keep it up! Et good job à toute cette team.

  2. Pauvre Richard ! Merci Pauline pour ce beau texte qui met en exergue un fléau qui prend d’ampleur dans nos écoles…

  3. Très séduite par ton texte Pauline. Courage à toi. Fais moi le plaisir de me l’envoyer si tu finis. Je prendrai le temps de faire mes critiques si tu veux bien sûr. Trop cool.

  4. J’ai beaucoup aimé la nouvelle Popo! J’aimerais bien te lire beaucoup plus souvent.

  5. Très belle histoire. J’aime surtout ces portraits et descriptions. Merci madame pour ce partage.