Avec « Le terroriste noir», Tierno Monénembo nous entraîne dans une aventure historique. Il choisit un angle littéraire, disons plutôt romanesque, pour éveiller la mémoire collective à un drame plus ou moins banalisé mais qui demeure crucial dans l’interprétation et la compréhension aujourd’hui de la situation de l’Afrique: La Deuxième Guerre Mondiale et le sort des « Tirailleurs » (tirs ailleurs) sénégalais, ces héros de l’ombre dont on parle parfois que pour les mépriser et dont on tait les noms et la bravoure quand vient pour la mère patrie, l’heure de savourer la victoire des Alliés. C’est peut-être le sort de tous les héros, ainsi que le pleure Tierno Monénembo dans son livre : les  « ros ne le sont une fois qu’ils sont morts » (P.85.) Déjà dans le titre, il prend sa revanche sur l’histoire: ceux dont on a longtemps badigeonné la mémoire de  « tirailleurs », il attribue à l’un d’eux le nom de « Terroriste », nom lourd de sens et du sang de l’histoire unique que fut celle de Addi-Bâ. Disons-le en même temps, « Le terroriste noir», est un hommage à tous ces noirs tués sur les champs de bataille pour libérer la France et les Alliés de la fureur du Führer, Hitler et ses armées. Sans haine et sans jalousie, l’auteur clame: « aucun avenir n’est possible si on ne prend pas la peine de refermer la porte sur les fantômes du passé », « mais ce n’est pas facile de tourner la page. Vous avez beau faire, il vous restera toujours du chagrin à ruminer » (p 169). En Addi-Bâ, c’est tous les autres soldats que Tierno Monénembo entend honorer. Retrouvé blessé, agonisant dans un fourré d’alisiers par la famille Valdenaire, Addi-Bâ fut hébergé par cette famille sur l’insistance de Yolande Valdenaire, la mère de la famille. A Romaincourt où il fut accueilli après son évasion de la garnison de Neufchâteau, personne n’avait jamais vu un nègre auparavant. Mais quand un nègre, un pauvre tirailleur venu très jeune d’un hameau de Guinée, parvint, dans un milieu purement peuplé de Blancs, à s’imposer et à devenir comme un héros, respecté et vénéré, on ne peut plus se retenir de se poser des questions sur tout ce mystère que renferme ce livre de Tierno. Addi-Bâ, ce pauvre nègre, en effet, était la coqueluche du coin. Il avait beaucoup d’amantes. C’est dire qu’il avait assez de qualités humaines et de charismes exceptionnels qui lui attiraient naturellement la sympathie de son entourage. Addi-Bâ, le petit nègre qui avait à ses pieds toute la population des Vosges! Et là on peut se rendre alors à l’évidence que « ce qu’on appelle destin est un bien grand mot, c’est juste une suite de petits hasards emboîtés les uns aux autres ». (P.186. ) Addi Bâ, devenu comme un saint homme à Romaincourt, voulait garder son honneur altier de militaire. Un nègre qui, contre orage et tempête, tient à sa volonté de libérer ses maîtres de la chaîne de domination tandis que ces derniers servaient eux-mêmes librement les dominateurs. Il mit en place un camp, ‘’maquis de la Délivrance’’, formé de braves jeunes pour se préparer à la résistance. Car pour lui, la « résistance, c’est un concert, et non une cacophonie où chacun trompette dans son coin » (P.157.) Mais quel sort la vie lui réservera-t-elle quand les forces Allemandes apprendront l’existence d’un tel camp clandestin de résistance surtout que ces derniers l’avaient capturé de par le passé et qu’il s’était évadé de la prison de Neufchâteau? « Le terroriste noir», est un roman plein de suspenses qui tiennent le lecteur en haleine. Une œuvre à l’allure historique et au style classique, mais grandiloquent par endroits, ce qui révèle d’ailleurs  la maîtrise parfaite de la langue française par l’auteur. Et le génie de l’auteur, c’est de faire raconter l’histoire de Addi-Bâ par une de ses admiratrices, Germaine, à un de ses neveux venu en France à l’occasion de la décoration à titre posthume du vaillant Guinéen.

« Le terroriste noir», in fine, c’est un hommage à ces tirailleurs africains, dont les noms et les actions sont tapis dans l’ombre de l’oubli, quand bien même ils furent de grands artisans de la libération de tout un peuple. L’œuvre évolue comme un roman d’aventure focalisé sur la restauration de la mémoire du tirailleur Guinéen, Addi-Bâ. Et lire ce livre, c’est revisiter tout un pan de l’histoire de l’Afrique Noire francophone dans ses rapports avec la France. On n’est donc pas surpris que l’œuvre ait été primée à plusieurs reprises:  »  prix Erckmann-Chatrian; Grand prix du roman métis; Grand prix Palatine du roman historique et le prix Ahmadou-Kourouma. » J’ai aimé ce livre pour sa truculence et le souffle de l’oralité qui le traverse. C’est un roman très africain et profondément français, et c’est là tout son mérite.

RICARDO AKPO

Ricardo AKPO est étudiant en troisième année Histoire et Géographie  à Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo.