Il est des réalités dont on ne saurait saisir l’essence et toute la teneur en un seul mot. La Vérité en fait partie. Et pourtant, tenter de l’appréhender, ce n’est pas perdre son temps. On se souvient de la célèbre série « Lie to me » avec Dr Cal Lightman qui, de par son décryptage facial, pouvait savoir si ses « présumés » mentaient ou non. La quête de la vérité, non seulement relève d’une obsession pour l’âme qui entend vivre en adéquation et en paix  avec sa propre conscience, mais se révèle aussi comme un principe non négociable pour de grands savants de l’histoire. On pensera toujours à Socrate, et aux  autres penseurs qui ont signé du sang de leur martyre leur passion pour la Vérité. Plus près de nous, Mandela qui au nom de la vérité et de sa foi en l’égale dignité qu’ont en partage les noirs et les blancs, a accepté d’être déporté sur l’Ile de Robben, Robben Island, pendant près de trois décennies. Au regard de ce qui précède, la première question qui saute à l’esprit est celle-ci: qu’est-ce donc que la vérité pour que des hommes puissent la préférer à leur propre vie?

Loin de nous enticher des définitions savantes de Saint Thomas d’Aquin et des autres grands philosophes, nous insérons notre démarche cognitive dans une approche philologique (sauf qu’ici nos documents sont des sources orales conservées dans la mémoire et la gorge des Intellectuels Communautaires de chez nous). Pour ce faire, volontiers, nous invoquons les forces des phonèmes Mina (langue du sud du Bénin et du Togo) : Gnawo, et Fon (langue du sud du Bénin) Nougbo, pour essayer d’entrer dans l’horizon interne de cette grande notion qu’est la vérité.

La vérité se dit en Mina Gnanwo. Ce phonème est composé de Gnan, la parole, le verbe, le logos, et de wo, adjectif qui signifie éclaté. En fon, elle se dit Nougbo, ou plus exactement Xo nougbo. Xo, étant la parole, le logos, et Nougbo, la grosse chose, la chose colossale, gigantesque, titanesque. Dans le premier cas, la vérité se veut le coeur, le sein, le centre, la moelle qui se révèle, se manifeste, éclate au grand jour dès que la parole vraie est lâchée. Ici, l’essence de parole s’affirme quand cette dernière éclate comme un abcès mur, ou un œuf qui éclate pour libérer la vie. On comprend alors pourquoi le Sage Mina demande de laisser mentir le menteur. Il sera confondu dès que la parole éclatera pour libérer la vérité qui est vie comme l’œuf éclate pour faire éclore la vie.

D’un autre côté, le Fon désignant la vérité par Nougbo par opposition au Nouvou (chose petite, insignifiante, minuscule, abjecte) élève la vérité au rang des valeurs universelles qui s’imposent à tous telles qu’elles sont intrinsèquement et même extrinsèquement. Ce n’est pas parce qu’un œil refuserait de voir la vérité et de la reconnaître que celle-ci cessera d’être de ce qu’elle est et de continuer de l’être in aeternum. Ici, aucune place n’est accordée à la subjectivité, ni à l’empirisme. La vérité est la même pour tous. Qu’on soit grand ou petit.

Ce qui est intéressant, c’est qu’au delà des différentes approches de définitions Mina et Fon, les deux langues s’accordent dans des termes synonymiques pour faire de la Vérité une génératrice de parole : « Gnan jɔ gnan« , pour le mina, et « Xo jɔ xo » pour le Fon, ce qui se comprend ainsi : la parole engendre la parole. Il en appert alors que dire la vérité, c’est libérer la parole et la faire renaître pour qu’elle continue de libérer les cœurs enchaînés par le mensonge. Ici, qui dit la vérité se conforme à la nature de ce que libère son gosier: il devient aussi grand et majestueux que le Nougbo libéré quand la parole a éclaté comme un bombe. L’image de la bombe n’est pas hyperbolique du tout. La vérité a un prix. L’Intellectuel Communautaire dit que la vérité est comme un soleil ardent, quand il sort sa tête, le mensonge prend la poudre d’escampette.

Si la vérité est génitrice, elle est aussi canal pour affirmation de soi basée sur la véracité des faits historiques tels qu’ils se sont déroulés dans le temps et l’espace. Ainsi, falsifier volontairement la vérité en torpillant l’histoire ou en la faisant parler au profit de ses intérêts égoïstes, c’est se déclarer petit dans le royaume des choses universellement connues et reconnues comme telles. Qu’une certaine manière de raconter ou de balafrer l’histoire, tienne pour vérité que les pires des sauvageries ont été commises sur la terre noire (une terre sans histoire, remplie d’hommes sans âmes) n’est pas que mensonge. Qu’on tienne pour vérité ce qu’on sait pertinemment être un mensonge, c’est simplement diabolique, car une certaine littérature tient le diable pour le Père du mensonge. Le devoir qui s’impose alors, c’est que nous nous réécrivions à l’endroit notre histoire longtemps écrite à l’envers. Cela implique des investissements colossaux. Car, ainsi qu’on le verra avec Chinua ACHEBE, « Tant que les lions n’auront pas leur propre histoirel’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ».

La vérité, a dit Ahmadou Kourouma, « il faut la dire, aussi dure qu’elle soit, car elle rougit les pupilles mais ne les casse pas. » (Cf. Les Soleils des indépendances). On le voit avec Zaki et ses compagnons dans PV Salle 6 d’Habib Dakpogan; ils n’ont pas eu peur de dire la vérité sur leur état, de dire la vérité sur les mensonges et les abus de certains hommes d’Etat qui siphonnent le peu de revenus mis à la disposition des victimes du VIH/SIDA. Le Roi, dans « Le Gong a bégayé », n’a pas du tout bégayé pour restituer dans la tête du Vidaho le Nougbo, telle qu’elle doit être perçue. Car, attention : « Le mensonge est une chaise sur laquelle tôt ou tard s’assoit la vérité… »

Laissons la parole (s’)éclater pour qu’en sorte la « chose grosse » pour le triomphe du Vrai.

Destin Mahulolo

  1. Très bel éditorial! Je ne savais pas que vous aviez du temps pour les séries TV 😂!