Introduction

« Un évêque béninois, vivant au Bénin qui publie une œuvre littéraire profane, et sans se cacher derrière un pseudonyme, c’est inédit ». Ainsi s’extasiait le professeur Adrien HUANNOU dès les premiers mots de sa préface au recueil de nouvelles «  Visa Plus ». Inédit, et pourtant vrai. L’auteur vient ainsi peut-être briser un mythe : le domaine de définition du prêtre n’est pas réductible à la sacristie. Tout ce qui touche la société le concerne et tant qu’il peut apporter un cataplasme aux blessures de son milieu de vie, la littérature peut être une arme de choix. C’est d’ailleurs ce que défendait Hervé Ezin Otchoumaré, Grand Séminariste et écrivain béninois, dans l’interview qu’il nous a accordée, quand il affirmait : »Un écrivain est un médecin de la société. Il diagnostique son mal et lui propose un remède. Et je pense que les prêtres peuvent jouer parfaitement ce rôle, vu leur profondeur d’esprit et leur haut niveau intellectuel (« http://biscotteslitteraires.com/interview-monsieur-herve-ezin-otchoumare-heo/ ).  De toute évidence, elle est séduisante, la démarche de Mgr Aristide GONSALLO, puisque c’est de lui qu’il est question, car depuis le 19 décembre 2017, il fait briller dans ciel littéraire béninois deux nouvelles étoiles : « Visa Plus », un recueil de onze nouvelles, et « Pour une année poétique » un recueil de 52 poèmes. Il vient, à sa manière, épicer la sauce littéraire béninoise avec ces deux recueils. L’auteur, qui a, pendant longtemps, été professeur de français et de latin au Séminaire Notre-Dame de Fatima de Parakou, est aussi prêtre de l’Eglise Catholique Romaine. Il est aujourd’hui Evêque du diocèse de Porto-Novo. Dans le présent travail, nous nous intéresserons à l’étude de son recueil de nouvelles « Visa Plus » (Editions Publiques Africaines, Cotonou, 2017, 199 pages). Pour la vie et les œuvres de l’auteur, cliquer sur le lien http://publiquesafricaines.blogspot.com/2017/11/a-paraitre.html?view=snapshot

I- Résumé des nouvelles

Dans la première nouvelle « Hasard de l’amour », l’auteur met en scène une famille où le père au nom épique de « Ethylo » brille par son absence et sa démission. Aubaine, la mère se retrouve célibataire avec à sa charge trois enfants dont Jouvencia, la préférée. Après son déménagement, elle fait un tour dans le supermarché du nouveau quartier où elle a atterri. Là, elle rencontre Gratien. Coup de foudre? Amour sans lendemain? Hasard de l’amour ou amour par hasard?…

La deuxième nouvelle « Drame d’une déception » met en relief  Frédéric, jeune homme racé, fils unique d’une mère célibataire, Clarisse qui a toujours remis à demain la nécessité de dire à son fils qui est en réalité son père. Dans sa solitude, Frédéric se confie à ses deux amis sincères: alcool frelaté et « La vie vaut-elle la peine d’être vécue? », un roman policier de Ganidan Carlington. Désespéré, il se claquemure dans un mutisme déconcertant. Crise d’adolescence. Le fils se pose des questions. Il demande qu’on lui loue une chambre en ville. La mère s’y oppose. Le fils fait monter le mercure. La mère fait une crise de nerf. Tout revient dans l’ordre. Mais le fils est convaincu que sa mère ne répondra jamais à sa question. Il ingurgite une forte dose d’alcool frelaté et de Ganidan. Survivra-t-il? Kérygma, la fille de « Primpéran » (septième nouvelle) survivra-t-elle suite à son avortement ? De toute façon, la mort, insidieusement, a pondu des œufs chez Primpéran, catéchiste convaincu, père de deux filles, Annunciata, icône de la paresse, et Kérygma, astre lumineux, d’une intelligence angélique. Primpéran a permis que cette dernière étudie avec Ange-Marie. Il les a surpris en train de s’embrasser, mais n’y fit pas attention, comme il n’écouta pas non plus les mises en garde de sa sœur, psychologue, quant aux promiscuités de plus en plus serrées entre sa fille et Ange-Marie. Résultat, avortement. Désastre? Mort? On est à quelques jours du Bac.

Si avec Aubaine, l’amour a fait éclore en même temps tous ses bourgeons, avec « Hector le terrible » (troisième nouvelle), la mort s’est invitée dans la paisible famille Fatum. Coup de fil. Accalmie. Et pourtant la nouvelle tombe, implacable, décapante. Il s’en va laissant derrière lui Saada, sa mère ravagée par la douleur de sa disparition, et Katrina, son épouse, une jeune mère de 28 ans. « Accident de la circulation » a-t-on dit. Et plus jamais, on ne verra le visage de Hector, tout comme on ne verra plus jamais celui de « Babao le magicien de l’enfer » (quatrième nouvelle). Babao est un guérisseur qui s’est fait beaucoup d’argent dans son métier, tant ses soins sont prisés. On le découvre un matin mort dans sa chambre. Révoltés, les patients impatiens crient leur mécontentement d’avoir été escroqués par ledit guérisseur. Ils décident de réduire en cendres la voiture du magicien de l’enfer. Mais la mort de Babao semble moins alarmante que celle de « Rudolph » (huitième nouvelle), jeune homme rugueux, rudoyé par la vie. Il meurt alors même qu’il commence une nouvelle vie. Garçon têtu, orphelin de père et de mère, ennemi de l’école, il finit par s’y faire après moult tractations et interventions de ses deux parrains. Lui la tête ferlée, le taré, il finit par décrocher son diplôme l’année où l’on enregistra le plus grand nombre d’échecs. Il rentre chez lui, et se met au service des enfants de son village. La mort ne l’a pas laissé continuer sa mission. Et pourtant, dans sa pauvreté il était plus digne que « Etinssol » (neuvième nouvelle), jeune prétentieux et orgueilleux. De retour des vacances paresseuses aux Bahamas, tenaillé par la faim, il commet un larcin. Sa mère qui a quitté son père depuis des années, ne peut rien pour lui. Il échoue lamentablement en prison.

Avec « Amen » (cinquième nouvelle) et « Crise des GSM » (dixième nouvelle), nous assistons aux affres du mauvais usage des moyens de communication modernes : « Portable insupportable« . Avec cette dernière nouvelle, le narrateur raconte sa reconversion à la « vie normale » après qu’il s’est retrouvé dans l’incapacité d’user de son ordinateur et de sont téléphone portable. Mais la situation ne semble pas être aussi gaie dans « Amen« . En effet, Bleporta et Rolamoto, amis depuis les bancs du primaire, finissent par se marier. Après six accouchements, Bleporta, la femme, décide d’en finir avec la maternité. La dernière née reçoit le nom « Amen« . Après Amen, la prière est terminée : plus rien. Une discussion survient au sujet de leur fille. Incompréhension. Couple brisé. Adieu amour et affection. 14 février, signature du divorce. Pour l’anniversaire de sa fille, Rolamoto décide de lui faire plaisir en l’emmenant dans un hôtel. Flux d’appels téléphoniques. Il n’a plus d’yeux pour sa fille, obsédé qu’il était par ses nombreux portables. Amen rentre chez sa mère sans que le père s’en rende compte. Bleporta lui envoie un message. « C’était un 10 septembre, veille du 11 Septembre ». Ce fameux jour!

Entre les sixième et onzième nouvelles, « Canarile » et « Visa Plus », nous assistons à l’appel de l’ailleurs. Canarile décide de venger le sort de son oncle Gilbrat, consacré vaurien au soir de sa vie. Il opte pour l’émigration clandestine. La chance le fuit, il est découvert dans la cale où il s’était réfugié. Le bateau faisait voile vers l’Europe. Il est ramené au pays. Mais il refuse de dire adieu à l’immigration. Il pense réaliser son rêve : aller aux Îles Canaries. De son côté, Arioste, dans « Visa Plus », après plusieurs déboires, parvient à obtenir le fameux sésame qui lui permettra d’effectuer une mission en France.

II- De l’onomastique

« L’onomastique, selon Wikipedia, est une branche de la lexicologie qui a pour objet l’étude des noms propres : leur étymologie, leur formation, leur usage à travers les langues et les sociétés« . Dans « Visa Plus », nous nous intéresserons à certains noms, pour savoir quel message l’auteur entend véhiculer.

  • Les personnes
  • Aubaine : Personnage principal de la première nouvelle. Un contraste subsiste à son niveau. Son nom qui signifie aussi opportunité, et dans une certaine mesure « chance », ne cadre pas cependant avec la vie qu’elle a menée aux côté de son mari « Ethylo« , diminutif trouvé par l’auteur pour révéler la nature réelle de ce dernier : un éthylique, buveur impénitent. Il a fallu Laboria, (qui a trait au travail, de l’étymologie latine), son amie pour l’aider à trouver une solution au problème de déménagement. Elle tombera après sur Gratien, une aubaine? Une grâce?
  • Dokotoro : Docteur en Bariba. Cf. deuxième nouvelle
  • La Famille Fatum: Fatum signifie le destin, le sort, en latin. C’est de là qu’est dérivé le mot fatalité. On assiste impuissant au sort tragique réservé à cette famille par l’auteur dans la nouvelle « Hector le terrible » où on voit aussi cohabiter Katrina, gentille, et Hector, cassant. Un paradoxe subtilement entretenu par l’auteur. Car derrière ces personnages, on voit aussi des faits réels contemporains. En réalité, Katrina, est le nom d’un ouragan, et Hector celui du palmier qui a résisté à l’ouragan Irma et qui est devenu héros sur tweeter en septembre 2017. Ironie du sort, Hector dans la nouvelle éponyme a été fauché par la mort. Fatalité. Mais dans la famille Fatum, il y a un nom qui ne saurait passer inaperçu : « Aléside« . Ne pourrait-on pas y voir une déformation par les vieux, du nom de « Aristide« ? N’est-ce pas vrai que le Fon ne connaissait pas la lettre « r« ? De toute façon, il serait plus facile à une vieille de dire simplement « Aléside » que se torturer les mâchoires et s’escrimer à articuler le nom « Aristide« .
  • Babao : Dérivé forgé par l’auteur à partir de Babalo, guérisseur et charlatan en langue Yorouba. Cela renvoie aussi aux vendeurs des produits de pharmacopée dans les bus du Bénin. Son disciple Physilio qu’il a délivré d’une maladie vénérienne, renvoie à une parodie de la Syphilis.
  • Bleporta et Rolamoto : Recomposés, ces noms redeviennent respectivement Portable et Motorola. Dans la nouvelle « Amen« , on a vu les affres du téléphone portable sur les relations déjà tendues et vraiment défectueuses entre Bleporta et Rolamoto.
  • Canarile : Le sens du nom culmine dans la chute du récit:  » aller aux Îles Canaries » (P 114). Il devait venger son oncle, Gibrat. On y lit le Détroit de Gibraltar, porte d’entrée des immigrants africains sur le sol européen.
  • Primpéran : C’est le nom d’un médicament. Qu’un homme s’en affuble, cela relève d’un exploit. Mais le plus intéressant, ce sont Annuciata et Kéygma. Le message est subtil ici: le kérygme, c’est l’essentiel de la foi en Jésus-Christ annoncée dès les premières prédications aux nations païennes. Et derrière Kérygma et Annunciata, c’est le condensé de sa foi que Primpéran faisait miroiter. Mais la mort vient happer l’espoir de la famille. Et cela, avec la complicité d’Ange-Marie, qui n’était en réalité qu’un mari démon.
  • Etinssol : Derrière ce nom se profile « soleil éteint et catapulté au sol« . Le soleil de son arrogance s’est vu éteindre par ses déboires aux Bahamas et ensuite à l’atterrissage de l’avion où il commet son larcin.
  • Stonga: Gaston
  • Les lieux
  • Vicala : Calavi
  • Dikan: Kandi
  • Roupaka: Parakou
  • Tonouco: Cotonou
  • Quartier Dinam : Madina à Parakou

Il faut remarquer que ces noms portent en creux l’essentiel du rôle joué par les personnages qu’ils désignent.

2- Du burlesque

Il faut dire que le burlesque, au-delà des descriptions, est aussi contenu dans les noms des personnages étudiés ci-dessus. A la vérité, l’œuvre est d’un humour fin, raffiné, subtil et renversant. L’auteur s’y est mis à travers des séquences de description époustouflantes. Les métaphores et les allégories utilisées font marquer au lecteur des arrêts pour rire un coup avant de continuer la lecture. Comment peut-on nommer des personnes « Kluiklui, Klouyèklouyè, Louloula« ? (p 148). Mais nous n’évoquerons ici qu’un passage parmi les milliers dont foisonne le livre.

  • « Depuis le jour où Rudolph avait commis la bêtise d’affirmer en classe que le cerveau d’une femme s’appelle cervelle, …. » (P139)

III: Intérêt de l’œuvre

« Visa Plus » est une œuvre d’actualité, une page ouverte où il nous est loisible de nous identifier dans chacun des tableaux présentés par Aristide GONSALLO. Le génie qui a été mis en œuvre pour la création des noms des personnages est à saluer. L’humour et l’éducation sont au rendez-vous dans le livre. Il faut l’avouer, chaque nouvelle est porteuse d’une leçon clé. Ce ne sont pas des récits empilés pour juste faire rire. On y voit abordées les questions de la famille, de l’éducation, des réseaux sociaux, de l’immigration et du système éducatif chez nous. Que de foyers recomposés de nos jours! Que de jeunes qui se posent des questions sur l’identité de leur père et qui, comme Frédéric, se heurtent au silence coupable de leur mère! Ne sont-ils pas nombreux ces couples où chacun désigne l’autre par « mon ex » ou « le père de mon enfant/la mère de mon enfant« ? Dans ces situations, comment l’enfant peut-il recevoir une éducation équilibrée? Les pères alcooliques, irresponsables et brillamment inconscients, il en existe aussi. Des enfants qui jouent au jeu dangereux de l’amour sur les bancs et qui finissent par opter pour l’avortement, nous en connaissons certes. Ce livre nous aide à ouvrir davantage les yeux sur notre vécu pour mieux savoir les endroits où nous posons les pieds. Il recommande l’humilité (Etinssol) et l’amour d’ici (Visa plus, Canarile). Plus que jamais, se pose la question de l’immigration légale ou clandestine. Le bonheur ne se trouve-t-il que de l’autre côté?

« Visa Plus » est intéressant en ce sens qu’on on y rencontre aussi beaucoup d’intertextualités. C’est une fresque littéraire où cohabitent pacifiquement diverses figures de style. On peut s’intéresser à la construction de la nouvelle « Babao, le magicien de l’enfer » qui est une inspiration du schéma narratif qui a présidé à l’écriture de « Une vie de boy » de Ferdinand OYONO. Dans les deux cas, l’histoire a été racontée grâce aux manuscrits découverts. Le style est alerte et simple.

 

Conclusion

Ce tour d’horizon fut pour nous l’occasion de nous plonger dans l’univers des personnages créés par Aristide GONSALLO. L’œuvre authentifie les qualités littéraires de l’auteur. Son statut d’Evêque ne l’a pas empêché d’écrire et de diffuser son recueil. Ce livre est à lire et à relire, pour la profondeur des analyses faites et aussi pour la dextérité de la démarche choisie par l’auteur. Bien que le livre présente deux générations de personnages, les personnes âgées et les jeunes, à aucun moment, Aristide GONSALLO n’a versé dans la dualité du conflit des générations. Il aborde les problèmes de manière à faire prendre conscience à chacun que le plus important, c’est moins les soulèvements des jeunes que la nécessité pour les éducateurs de trouver la méthode adéquate pour former en chaque enfant l’humain et l’homme de demain dont la société a besoin pour son épanouissement. « Visa Plus », c’est du  » Castigat ridendo mores« . Facile à lire. Facile à transporter.

 

Destin Mahulolo

    • Absolument, chère Carmen Toudonou. Merci aussi pour l’intérêt que vous nous portez. C’est bon pour le moral

    • Merci chère Carmen Toudonou. Le livre est disponible à la Librairie Notre-Dame de Cotonou et à la Procure diocésaine (sise dans l’enceinte de l’Évêché ) de Porto-Novo.

  1. Merci bien pour le résumé et la présentation de cette oeuvre d’inspiration profonde.

    • Merci, cher Maurice BAHOUNCOLE, pour l’intérêt. Revenez-nous bientôt. car ce n’est pas encore fini…

    • Merci Maurice BAHOUNCOLE pour le passage. Un beau livre à consommer sans modération