Mon conte roule, roule et tombe sur l’araignée, Yèvi, l’éléphant, Tingli, la panthère Djanta et le lion Gbété, . En ce temps-là, les animaux parlaient comme des hommes. Yèvi était aimée et estimée de tous. Sa beauté avait réussi à conquérir le cœur de tous les autres animaux. L’éléphant en fit sa favorite, la panthère sa protégée, le lion sa confidente. Entre eux régnait une atmosphère de joie et de convivialité pimentée par les blagues du sage Tingli et les comédies de Yèvi, l’araignée. Il ne se passait une journée sans que le quarto ne se rencontre pour deviser et raconter des contes au clair de la lune. Mais il arriva que les pluies se firent rares pendant la saison pluvieuse. Les puits avaient tari, les marigots s’étaient asséchés. Dans les champs, plus de nourriture. La famine s’installa. Les animaux maigrirent. Leurs petits ne purent résister longtemps. L’éléphant, une nuit, réfléchit: « je suis assez vieux pour mourir. Et pourtant ce sont nos petits qui meurent. Je vais partir loin, en aventure, à la recherche du mieux. ». A la pointe du jour, il rassembla les siens mit à exécution sa décision, laissant dans la tristesse ses autres amis.

Les trois amis restants ne se voyaient plus assez souvent pour deviser comme naguère. Un beau matin, la panthère emboita les pas à l’éléphant. Mais avant de partir, il recommanda à l’araignée de se méfier du lion : « Chère amie Yèvi, les temps sont durs. Je dois partir à l’aventure. Je t’ai dit que les temps sont durs. Le jour où le lion sera dépité de ses chasses infructueuses, ne sois pas surprise que toi et les siens atterrissiez dans sa marmite. Tiens! Hier, il confiait à sa femme qu’il avait déjà goûté à la chair de tous les autres animaux sauf celle de l’éléphant, de la panthère et de l’araignée. Tu comprends à présent pourquoi sans crier gare, l’éléphant a choisi l’exile et que moi aussi je ne tarderai pas à m’évader. Survie oblige. » L’araignée soupira profondément. Elle remercia la panthère et la raccompagna jusqu’à la sortie du village. Elle était apeurée mais au même moment, elle se rappela le serment fait à son père de ne jamais quitter le village, abandonnant ainsi les terres familiales aux mains des prédateurs. Mais par-dessus tout, elle aimait le lion et vouait à sa femme et à ses enfants une affection sans limite. Et plusieurs fois, le lion l’avait tirée d’affaires. Quand elle devait de l’argent à Sonou, Dame Pintade, ce fut le lion qui paya à sa place. Pour les obsèques de sa belle-mère Yèyinon, le lion s’était encore dépensé corps et âme. Le jour où ses enfants étaient tombés malade suite à une intoxication alimentaire, n’eût été le lion, ils mourraient tous. Et jamais le lion ne s’était fait coudre un habit sans penser à son amie l’araignée.

 

 

Un matin, l’araignée confectionna un grand et long sac qui pouvait dissimuler un baobab majeur. Elle sortit dans la forêt clairsemée et se mit à chasser. Soudain, elle émit un grand cri et entonna un chant strident:

« qui, qui pour me le tuer?

Qui, qui pour me le capturer?

Il est dedans

Il est au fond du sac.

Qui m’aidera ne rentrera pas les mains vides

Je lui donnerai les viscères et la tête

Moi-même je me contenterai du reste.

Qui? Qui pour m’aider à le tuer? ».

A peine avait-elle fini son chant qu’apparut le lion, les yeux rouges de fureur et de rage. Il était venu à la rescousse de sa seule amie araignée, Yèvi. Il entonna lui aussi un chant:

« je suis là, mon amie

Mon amie, je vais te soutenir

Nous dirons à demain à la mort aujourd’hui

Nos femmes et nos enfants jubileront

Que de viande dans nos marmites

Que de joie dans nos boyaux.

Dis-moi le chemin, et je te ramènerai le gibier ».

L’araignée lui montra le sac-tunnel. Le lion s’y engouffra avec frénésie et joie. Il allait, allait, mais n’atteignait pas le bout du sac. L’araignée lui criait : »vas-y, continue. Tu y es bientôt. Et au fur et à mesure que le lion avançait, l’araignée, roulait autour d’un long bois le tissu laissé vide par le lion. Soudain, le lion butta sur un gros corps. Il se sentit près du but. Il sortit ses crocs et fonça droit sur le corps. C’était un caillou. Il se blessa. Pendant ce moment, l’araignée l’avait déjà ligotée. Un grand combat s’engagea alors. Le lion se démenait pour se libérer. L’araignée s’escrimait pour étouffer son ami. Brusquement, le sac se déchira. Le lion bondit sur l’araignée et d’un coup de patte, la fit voler en éclats. Or elle avait des œufs dans le ventre. L’araignée se répandit dans l’air et ses œufs atterrirent, par la force du vent, dans les murs lézardés des maisons et dans les arbres. Ils s’y brisèrent et libérèrent une multitude d’araignées. C’est depuis ce jour-là que l’on voit araignées partout.

 

 

Destin Mahulolo