Il était une fois une jeune et belle sirène. Elle était la plus belle des sirènes et fille unique de la reine des eaux. En ces temps-là, les sirènes pouvaient s’aventurer en dehors des eaux et prendre forme humaine. Elles séjournaient sur terre et repartaient vers les eaux à l’abri des regards.
De peur que sa fille ne soit retenue par les hommes en raison de sa beauté, la reine des eaux demanda à une redoutable sorcière de lui jeter un sort. Ainsi, contrairement aux autres sirènes qui restaient toujours aussi belles même en ayant pris forme humaine, elle, par contre, prenait l’apparence d’une bossue, le visage boursouflé et rempli de boutons. Nul homme ne se hasarderait donc à l’approcher, tant elle paraîtrait laide. La reine des eaux était d’autant plus rassurée que pour rompre le sort, il fallait qu’au-delà des apparences, un humain réussisse à trouver le trésor qui était caché dans son cœur. Pour cela, on ne pouvait que la tuer, se disait la reine.
Ainsi, quand elle venait sur terre, pendant que ses copines étaient en bonne compagnie, notre sirène restait donc près du rivage, assise sur un rocher toute seule jusqu’à l’heure de rejoindre les abysses marins. L’héritier du trône du royaume où les sirènes venaient se prélasser sur terre, un jeune homme que toutes les jeunes filles du royaume convoitaient, venait également sur cette plage, non loin du même rocher que celle où se reposait la sirène, pour retrouver un peu de sérénité. C’était le seul endroit où il ne subissait pas les assauts de séduction des dames car son cœur était encore à prendre. Cependant, aucune femme n’avait encore, trouvé grâce à ses yeux. Il les trouvait superficielles et intéressées uniquement par son statut.
Ayant alors remarqué cette fille qui, bien que laide, dégageait une certaine joie de vivre et une quiétude que bien de sages lui envieraient, il entreprit de sympathiser avec elle. C’est ainsi qu’ils devinrent de bons amis et passaient la plupart de leur journée l’un près de l’autre sur les rivages discutant de tout et de rien. Cette relation singulière intriguait plus d’un, mais les appréhensions s’effaçaient, vu qu’il était impossible que le prince tombe amoureux d’une femme aussi moche. Quand venait le moment de rentrer, la sirène prétextait d’une envie de se soulager, allait derrière le rocher et glissait dans la mer.
Un jour, comme à l’accoutumée, notre sirène vint à l’habituel lieu de rencontre, elle ne trouva pas le prince. Ce dernier ne vint pas de toute la journée. Les jours qui suivirent, ce fut pareil. Lorsqu’elle se renseigna, elle apprit que le prince avait été empoisonné par un des prétendants au trône et que l’oracle avait dit qu’il devait gouter aux larmes d’une sirène pour avoir la vie sauve. Le roi, la reine, la cour royale et tous les sujets du royaume savaient le prince perdu, car convaincus étaient-ils que les sirènes n’existaient pas, sinon dans les contes de fées.
Mais qu’à cela ne tienne ! Notre belle sirène se résolut à ne pas laisser le prince mourir. Sans tenir compte du danger qu’elle courait en révélant sa véritable identité, elle se rendit au chevet du prince. A sa vue, les gardes tentèrent de la refouler. « Que pouvait venir faire cette « ordure humaine » au palais ? Se demandaient-ils. Mais d’une main tremblante, le prince leur demanda de la laisser passer. Quand elle fut près de lui, attristée par son état, elle ne put s’empêcher de pleurer. Les larmes ruisselant sur son visage échouèrent sur celui du prince et parvinrent à sa bouche. Ce dernier, comme par enchantement, commença à se mieux se sentir. Lorsque la sirène rouvrit les yeux, le prince avait déjà miraculeusement recouvré sa santé. Conscient que sa visiteuse était assurément la source mystérieuse de sa guérison, le prince ne put s’empêcher de l’étreindre et de lui dire : « Je vous aime et je vous ai toujours aimée. Dans votre cœur, j’ai toujours perçu une beauté indescriptible. ». A ces mots, la sirène se transforma en une jeune femme, la plus belle qu’aucun regard n’ait jamais croisée. Surprise et émue par sa transformation, la sirène s’enfuit.
Le prince fit savoir son désir de faire d’elle son épouse mais le roi et la reine bien que reconnaissants, voyaient d’un mauvais œil que leur fils épouse une créature des mers. Néanmoins, ils finirent par consentir au mariage à condition que la jeune fille ne reprenne plus jamais la forme de sirène et qu’elle ne retourne plus jamais dans les eaux. Lorsque le prince fit part de cette condition à la sirène, par amour, elle l’accepta. Elle l’épousa le prince et lui promit de rester avec lui tous les jours de sa vie. et effectivement, elle ne retourna plus jamais dans les eaux.
Attristée par la perte de sa fille unique, la reine des eaux décréta donc qu’aucune sirène ne prendrait plus forme humaine, mais qu’elles pouvaient visiter la terre sous la forme d’arcs-en-ciel qui malgré leur beauté, ne pouvaient être retenues par les hommes.
Lorsque vous aurez la chance de contempler un arc-en-ciel, il pourrait bien s’agir d’une sirène de passage dans notre monde.
Gildas Théodore ZINKPE