DIEU N’EST PAS CON, UN LIVRE D’ESPÉRANCE

DIEU N’EST PAS CON, UN LIVRE D’ESPÉRANCE

Il est de ces livres qui bouleversent toute une existence, mais d’une manière rationnelle. La vérité rougit les yeux, mais ne casse pas les pupilles, dit-on. Il est de ces livres qui touchent la sensibilité humaine, choquent la fierté et édifient la vision personnelle. Dieu n’est pas con se classe dans cette catégorie. Dieu n’est pas con est un roman publié en 2022 aux éditions Savanes du Continent. Le livre est commis par l’Abbé Destin AKPO et s’étend sur 343 pages.

Cet ouvrage est comme un miroir projeté sur la société moderne actuelle. Mais pas que, parce que l’auteur nous montre combien on peut vivre le présent sans oublier le passé. Ce roman se place au carrefour de la transition entre le monde traditionnel africain et celui moderne. C’est un livre qui aborde plusieurs thématiques qui ne laissent aujourd’hui personne indifférent.

Pour résumer en quelques bribes de lignes le livre, il s’agit de l’histoire d’une jeune fille Klomɛvi Nyɔnukpégo, qui n’a souvent pas eu le soutien nécessaire de sa mère. En effet, sa mère l’a toujours sous-estimée. Mais de par sa résilience, sa volonté et son travail, elle réussit à atteindre son objectif. On le sait bien, le chemin du succès n’est pas sans entraves. Klomɛvi Nyɔnukpégo fera face à toutes les vicissitudes et turpitudes de la vie : la pauvreté, le presque ‘’viol’’, la prison, etc. Mais quand on a vécu toutes ces péripéties, et qu’on parvient à devenir présidente de la République en succédant à son père, un père qu’on n’a jamais connu depuis sa naissance parce qu’il a préféré le fugace pouvoir à la famille, on peut ne que dire que les chemins de la Providence sont insondables, et qu’au final, Dieu n’est pas con. Sony Labou Tansi dira « Son temps n’est pas dans notre temps ».

La quête de l’être à travers les prismes stylistique  et onomastique

  • A travers le style

Quand j’ai lu ce roman, j’ai tout de suite appelé l’auteur un écrivain nationaliste. En effet, Destin s’inscrit dans le cercle des auteurs de la littérature nationale. Un mouvement du XIXe siècle qui veut qu’on puise dans le passé pour reconstruire une nation. Une littérature qui intègre une sorte de continuité. Les différentes histoires qui abondent ce livre, et qui constituent une exhumation du passé béninois en sont la preuve. Les thématiques abordées dans ce livre restent l’actualité du monde. Certes, nous avons affaire ici à la République de la Vallée des Ossements Enchâssés, mais nous savons aussi que la force de la littérature est de dissimuler le Réel sous l’apparat du Fictif. Ainsi, elle se vêt de la Neutralité et élimine tout soupçon de l’esprit. Le style dans ce roman est foncièrement africain. Il est vivant, dynamique et direct. Par ailleurs, il est caustique et sarcastique. Comme l’arsenic, il est corrosif. Mais pour atténuer l’effet, l’auteur y ajoute le burlesque. Le style harcèle l’orgueil masculin, détruit la fierté mâle et fait beaucoup de place à la reconnaissance féminine. Eh oui ! l’auteur donne son point de vue sur ce concept qu’est le féminisme, et qui depuis toujours, est sujet à controverse. Pour le lecteur concentré, il se rend compte que Destin essaie de confronter le ‘’réquisitoire’’ et le ‘’plaidoyer’’. Avec l’image de Simone de Beauvoir et Simone Veil dans le livre, on croirait une lutte idéologique entre Jacques Derrida et Michel Foucault, même si le point de mire reste le même : le genre ou le féminisme. Face à la décadence du monde actuel, l’auteur pense que tout le monde a tort et que tout le monde a raison. Mais comment ? C’est pourquoi il faut lire le livre pour le savoir.

  • L’onomastique

Quant à l’onomastique, l’auteur est dans une dynamique de rénovation de la littérature nationale. On le sait bien, au départ, la littérature comparée prenait en compte les différences entre les écrits européens (français, anglais, allemands, italiens, etc.). Mais les choses ont évolué au fil des siècles, et on ne parle plus de la littérature comparée basée sur l’eurocentrisme, mais d’une littérature qui compare plusieurs écrits issus de plusieurs langues, en mettant l’accent sur leurs différences et les contextes d’écriture. Partant de ce principe, si on a eu des personnages comme Cosette, Candide, Zadig, Fantine, Gavroche, etc. en France ; Macbeth, Macduff, Hamlet, Montaigu en Angleterre ; Werther, Mester, Faust en Allemagne ; Acheronte, Anselmo, Belisar, Camillia en Italie ; eh bien ! Destin s’inscrit dans ce qu’on peut appeler le relativisme onomastique littéraire. Il nous parle de Akpémianakou-Févimandodɛ, Alixonou-Zounkɔta, Atchou-Glézin, Dɔminiki-Gbɔtchékou, Aunty Waxala, Mamy Woto, Djan’ta, Ðɛgbogbahunfata, Esɔlanyɔn Ayamami. De ce fait, Destin se réclame nationaliste, mieux, écrivain rustique, fier de son « Madrɛnviɖé » natal. Une manière de se dire : il n’y a que nous africains, qui puissions parler de nous-mêmes sans trouble au visage ni faux-fuyant.

Impressions personnelles

Pour un lecteur forain qui ne maîtrise rien des réalités culturelles, sociales et politiques de l’Afrique, il peut dire que Dieu n’est pas con est une œuvre universelle, car son essence et sa portée sont trop profondes pour rester l’apanage d’une seule aire culturelle. Dieu n’est pas con excède les frontières du continent africain de par les sujets qu’il attaque. L’Afrique en a eu pour son compte, l’Europe y est touchée de doigt et l’Amérique n’est pas mise en rade. Cette œuvre peut et doit être classée dans la discipline que Goethe a appelée « Weltliteratur » : la littérature mondiale, universelle. Et c’est là encore tout le mérite de l’auteur. L’idée première de Destin était peut-être de centrer son histoire au sein d’une société en pleine décadence, de situer les responsabilités et d’appeler à une prise de conscience, mais à la fin, c’est le monde entier qui se voit secouer, biffer par la réflexion de Destin. En cet auteur, on voit le philosophe de par son approche holistique vis-à-vis des thématiques épluchées ; l’historien de par sa force à mettre sur la sellette des moments anciens d’un pays et dont l’esprit ne se souvient plus ; le littéraire de par la rage, la puissance et l’éclectisme rationnel dans la conduite du récit ; et enfin l’humoriste de par son sens burlesque à maintenir le lecteur en haleine avec des histoires et des touches hilarantes. Si le népotisme, le despotisme, et le favoritisme sont les reflets dont fait preuve l’Afrique dans ce livre, le féminisme qui agite la toile en Europe depuis un bon moment et exige une restructuration des rapports entre hommes et femmes, est aussi appelé à la barre.

Il s’agit d’un concept qui remet en cause les relations humaines établies sur la dominance masculine et lutte pour un monde plus égal. C’est un concept qui suscite de remous et polémiques, car pour certains, il est subjectivé. L’auteur dans ce livre tranche le débat  :

« Le féminisme n’est pas une question d’appartenance à Simone de Beauvoir ou à Simone Veil. C’est réducteur. C’est vider le féminisme de son essence que de l’obliger à s’aligner derrière telle ou telle Simone. On peut ne pas le nommer féminisme, mais ce qu’il renferme est noble. Il s’agit, en effet, de l’obligation morale qu’a chaque membre de la société de lutter pour qu’advienne un monde plus humain débarrassé des affres de l’injustice et de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la femme par la femme, de la femme par l’homme et de l’homme par la femme.» 248-249.

Par ailleurs, Dieu n’est pas con est un livre d’espérance. Eh oui ! l’idéal de l’auteur reste le travail dans la prière. Beaucoup plus de travail pour les pauvres, car comme le martèle Madame Jumbo dans le livre : « Le fils du pauvre ne cherche pas querelle. Il n’a pas le droit de faire n’importe quoi dans la vie. Soit il réussit, soit il réussit. Point. » p. 23

 

Klomɛvi Nyɔnukpégo, la fille de Madrɛnviɖé, le personnage principal du livre, en est l’exemple parfait. Dieu n’est pas con en commençant la création du monde par le travail durant 6 jours d’affilée. Et nous donc ? Qui sommes-nous pour ne pas suer ?

In fine, Dieu n’est pas con est genré. L’auteur est à la quête de la place de la femme dans cette société purement patriarcale. D’ailleurs, le nom du personnage principal est comme une revanche sur l’histoire édifiée pour favoriser le sexe féminin : Nyɔnukpégo. Littéralement, cela veut dire : la femme peut. Comme l’on peut bien s’en rendre compte, l’omastique, dans ce livre, prend une teinte réaliste et programatique : le nom a montré la force et la signification dont il est porteur. Tout l’idéal de l’auteur et le postulat du livre se trouvent dans le nom du personnage principal : Klomɛvi Nyɔnukpégo, un nom gorgé d’espérance et de foi en l’avenir. Sony Labou Tansi a dit:  « L’enfer ! L’enfer ! Ne cherchons plus, nous avons trouvé : l’homme a été créé pour inventer l’enfer ». À travers le nom du personnage de ce roman, l’auteur semble dire : Femme ! Femme ! Nous avons trouvé, ne cherchons plus : la femme a été créée pour sublimer la terre comme l’homme pour l’idéaliser. L’homme pense que la femme est le sexe inférieur, mais l’auteur estime que Nyɔnukpégo : la femme peut.

Dieu n’est pas con, prenez le livre et essayez de découvrir la thématique qui vous accroche le plus. Il y en a plusieurs. Trouvez celle qui vous choque, vous bouleverse et vous conscientise. Après tout, la littérature a pour mission aussi de faire prendre conscience. 

RICARDO AKPO

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