La violence est définie comme une action physique ou psychologique accomplie pour obliger autrui à faire ou ne pas faire quelque chose, pour exprimer sa colère ou son désaccord, ou uniquement pour faire du mal.
La condition de la femme connait des avancements et des améliorations aujourd’hui en Afrique. Louables. Mais ‹‹ l’un des problèmes majeurs qui a toujours prévalu dans les sociétés humaines est la question des rapports entre les deux sexes – hommes et femmes[…] ››[1], surtout sur le continent africain. En effet, la femme a été, presque tout le temps, reléguée au second plan, et surtout réifiée. Dans une société qui lui cédait peu de place, elle était condamnée à subir et à accepter tout ce qui lui tombait sur la tête. C’était son sort, sa condition. Que pouvait-elle faire ? Rien ! Que pouvait-elle dire ? Rien qui puisse peser dans la balance. De ce fait, sa vie ne se résumait pas à grand-chose. La femme était donc au service de l’homme sur tous les plans, elle devait s’exécuter sans broncher en tout temps et en tout lieu : une femme-objet. Une condition qui a de profondes racines… Et quand on se penche avec une attention particulière sur cette condition, quand on écarte le rideau et qu’on s’enfonce un peu plus dans les réalités que vit la femme, du moins, certaines femmes, il y a de quoi avoir des pincements au cœur. On découvre en plus d’un corps emprisonné, privé de liberté, un corps dominé, voilé et sujet à de nombreux abus, déviances : le viol, les violences (physiques, sexuelles, psychologiques) et l’inceste dans certains cas. Dans le cadre de cette analyse, nous allons nous intéresser au premier roman de Fifamè Chimène FAGBOHOUN, Le cri de mon hymen, qui aborde la question de la femme avec une spécificité notable.
Le cri de mon hymen retrace la vie de deux femmes. Deux personnages féminins qui ont un destin atrocement similaire. Similaire parce que ce destin ne leur a fait connaître qu’un seul langage : la souffrance. La première, Hermine, a vu sa maman servir de tambour à leur père. Il la battait. De ces violences conjugales, elle allait trépasser. Son corps ne pouvant plus supporter ces douleurs. Et c’est sur elle que son père allait jeter son dévolu. En plus des violences, il allait commettre l’impensable, le plus grave et le plus dégoûtant : l’inceste. Il allait violer sa propre fille. La seconde, Lucie, allait tomber enceinte d’un prêtre. Rejetée, humiliée, elle devait survivre… Un aperçu de la situation des femmes dans le roman. Une inégalité caractérisée par de nombreux abus. Il ne faut donc pas être surpris de voir dans les pages suivantes du roman de nombreuses scènes frénétiques.
- VIOLENCES
La violence est définie comme une action physique ou psychologique accomplie pour obliger autrui à faire ou ne pas faire quelque chose, pour exprimer sa colère ou son désaccord, ou uniquement pour faire du mal.
C’est donc une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne. Dans une optique de faire du mal (mal entendu comme blessure physique comme mentale), de laisser des séquelles »atroces » sur un individu.
Dans le cas présent, on va s’intéresser d’abord aux violences conjugales dont sont victimes deux personnages de ce roman.
La violence, dans le roman, commence avec une décharge physique sur la mère de Hermine. Un passage souligné très rapidement à travers une question oratoire de la protagoniste : ‹‹ S’il n’y avait que sur ma personne que les retombées se goinfraient, je les aurais consommés sans ambages, mais des coups de poing offerts copieusement à maman dont on ne se rendait compte que le lendemain ?›› (Chimène, 2025, p.30)
Des propos qui témoignent de l’étonnement de la jeune fille quant à cette situation inhabituelle pour elle. Un peu comme dépassée par la tournure que prennent les choses. La violence physique, infligée au corps humain, a pour but de provoquer des blessures, des dommages et même la mort chez la victime. Les pages de ce roman font état des bastons faites par Marx sur sa femme et ses enfants. L’auteur fait la description d’une scène de violence glaçante et qui se solde bien-sûr par la mort.
‹‹ Des traces de sang menaient jusqu’au lit et ornaient toute sa surface. Quelques quenottes étaient tombées négligemment et ma mère toute tremblante essayait de sortir quelques mots. Mon père venait de tester sa capacité à bosser sur ma mère. Je la vis se tordre de douleurs pendant près d’une heure. Chaque fois qu’elle essayait de parler, les mots s’étouffaient dans sa gorge. […] Elle dormait toujours. Je sentis une grande inquiétude me gagner. Maman ne dormait jamais autant. Elle ne pouvait pas dormir autant. Je m’approchai puis la touchai. Son corps, devenu moite me fit avaler une goutte de salive. Je refusai d’y croire.›› pp.36-37
Le quotidien de la mère était de recevoir des coups sans cesse de la part de son mari. La description de la scène est assez poignante. Dès qu’il revenait les soirs, inébrié, il se déchargeait sur sa femme. Victime d’atrocités, la conséquence de ce défoulement se faisait d’abord ressentir extérieurement : ‹‹ ma mère toute tremblante ; je la vis se tordre de douleurs pendant près d’une heure ; chaque fois qu’elle essayait de parler, les mots s’étouffaient dans sa gorge…››. Sa santé physique étant donc très affectée, l’inévitable allait se produire. Son corps n’ayant donc pas pu supporter cette souffrance allait s’éteindre pour de bon. Elle mourut donc de ces coups de poing itératifs. Il faut également notifier que la mort de son épouse ne l’ébranla point. Aucune émotion, il s’en foutait. ‹‹ Et alors ? Que voudrais-tu que je fasse ? Que je la mette à califourchon et que je me promène dans tout le quartier ?›› (p.38) sont donc ses propos à l’annonce du décès de sa femme…
Le caractère violent du père ne va pas s’effriter. Sa violence va trouver une autre cible. Un autre personnage va servir de cobaye. Il va orienter ses agressions sur le personnage-narrateur, sa fille. C’est elle qui va payer cher, c’est elle qui va connaître les bastonnades après le décès de sa mère.
‹‹ Je ne vis pas la première gifler arriver, ni la seconde. C’était le signe que je vivais mon cauchemar. […] Une autre gifle me fit valser à l’autre bout du lit. Rapidement, il vint me prendre par les cheveux, me tira hors de la chambre et me lança vers le sol.›› pp. 40-41
Une brutalité exercée sur une petite fille de 12 ans. Elle n’avait aucune chance de s’échapper. Hermine était donc le jouet de son père qui se permettait de lui asséner ses coups à tout bout de champ, de la chambre au salon. Des coups assez violents qui la faisaient »valser ». Et cette violence ne s’arrête pas qu’au corps. Elle est aussi psychologique.
‹‹Contrairement à la violence physique, la violence psychologique se cache derrière des mots et des attitudes qui sont, en général, en rapport avec la dévalorisation, les humiliations, les insultes, les reproches, les menaces et l’indifférence››. ( Fanny Quatremare, Écrire l’indicible dans Les impatientes de Djaïli Amal, Université de Granada, p.10) À ça peuvent s’ajouter la maltraitance, le harcèlement, la coercition, l’intimidation, etc. Cette violence psychologique ou mentale peut rendre une personne phobique et causer de nombreuses »angoisses mentales ». Dans le cas ici présent, nous allons nous intéresser au traumatisme psychologique chez Hermine.
Le traumatisme psychologique étant défini comme ‹‹ l’ensemble des mécanismes de sauvegarde d’ordre psychologique, neurobiologique et physiologique qui peuvent se mettre en place à la suite d’un ou de plusieurs évènements générant une charge émotionnelle non contrôlée et dépassant les ressources du sujet››. (Wikipédia)
‹‹ Lorsque je le vis s’approcher de moi, une gêne insoutenable s’éprit de moi et mon cœur comme toujours se mit à battre et mes pieds eux, à trembler. Il n’en fallait pas plus pour que je me retrouve toute mouillée de sueur.›› p.61
Il est clair et net que la simple vue de son père la dérange autant. Une manifestation des traumatismes marqués à travers ces descriptions précises de son état, de la réaction immédiate de son corps : ‹‹ une gêne insoutenable s’éprit de moi, mon cœur se mit à battre, mes pieds à trembler, je me retrouve toute mouillée››. Une réaction en chaîne de son corps. Et cette réaction devient plus appuyée et profonde par la suite.
‹‹ Mes mains commencèrent à trembler, je vidai ma vessie sans me contrôler. Toute ma vie tombait en ruine et je n’avais pas la force de bouger.›› p.71
Débordée psychiquement, la réaction de son corps fut immédiate. Incapable de faire quoi que ce soit, clouée et désorientée, elle vida sa vessie sans avoir aucune force de bouger. Manifestation de son traumatisme. En plus de la torture physique, elle est psychologiquement vulnérable.
- VIOL ET INCESTE
Nous avons choisi délibérément d’associer ces deux termes ici. Parce que les deux vont de pair dans le cas que nous voulons analyser. L’Afrique a une société encore centrée sur des valeurs traditionnelles, ce qui se ressent dans l’éducation, les relations sociales, le vivre en communauté. Cette société, à partir des valeurs prônées, condamne fermement certains actes considérés comme déviants. Des déviances qui se caractérisent par de nombreux schémas tels que : viol, inceste…
L’inceste peut être défini comme un entretien de relations sexuelles illicites entre un homme et une femme liés par un degré de parenté entraînant la prohibition du mariage. C’est donc un acte proscrit entre des individus unis par le sang ou des membres d’une même famille avec un certain degré de parenté. En Afrique, l’inceste est perçu comme ‹‹une forme de transgression des valeurs traditionnelles qui fondent la culture africaine millénaire››. (Pierre Suzanne Onana, 2020, p.5)
Il inspire des sentiments de dégoût et d’abomination, raison pour laquelle il est totalement prohibé. Et qui dit inceste, dit forcément viol. Puisque dans certains cas, comme c’est le cas dans l’exemple que nous allons prendre, c’est un acte non consenti. La victime est contrainte soit par des violences verbales ou des violences physiques. Dans l’un ou l’autre des cas, elle se fait voler »son intimité, sa dignité ». Elle se fait donc violer par son agresseur qui n’a rien à foutre des normes et qui cherche à satisfaire sa luxure incontrôlée.
Nous allons donc nous intéresser au cas de Hermine et de son père Marx dans l’univers du roman Le cri de mon hymen. Après le décès de sa mère, c’est sur elle que son père va se tourner. Tout commence une nuit alors qu’elle dormait.
‹‹ Une nuit, alors que je dormais après une dure journée de travail, j’entendis la porte s’ouvrir. […] Quelqu’un venait d’entrer dans notre chambre. Je n’eus pas le temps de me lever que j’avais senti son poids sur mon corps déjà en sanglots. Lorsque j’ouvris les yeux, il était là, saoulé comme jamais, balbutiait des mots, en ânonnant.›› pp.39-40
C’était donc là le début de ce qui allait être un enfer pour le personnage-narrateur. Le père fit éruption dans leur chambre (chambre de Hermine et son frère Ach). Très vite, les choses vont prendre une tournure bien plus sauvage.
‹‹ […] Reste tranquille, bon sang! reprit-il avec exigence. […] Du haut de mes douze printemps, je ne pensais qu’à un fait : papa voulait me battre comme il l’avait fait avec maman. Et je défilais ma vie, ma minable vie, ma petite vie dans ma tête en le posant une question : en ai-je besoin ? La réponse ne m’était pas encore révélée lorsque j’entendis sa ceinture se défaire. L’instant d’après, il déchirait ma robe. […] Une main se mit à fouiner dans ma culotte, je sentis un membre dur toucher mes fesses, et ensuite comme une lame, un bâton entra violemment dans ma partie intime. […] Dès l’instant, je perdis toute essence de la vie, plus rien n’importait. Tout ce que je voulais, c’est que ça s’arrête et que je n’aie plus jamais à revivre cela car une douleur indescriptible s’était emparée de mon corps. J’avais mal et je sentais une pressante envie d’uriner. Quelle douleur ! À l’intérieur de mon intimité, tout brûlait. […] Reste tranquille ou tu auras plus mal, grogna -t- il›› pp.40-42
C’est ainsi que se marqua le premier forfait du père violeur et incestueux. C’était également le début de cette »relation » incestueuse entre Marx et sa fille. La fille n’avait pu rien faire à part subir l’agression sexuelle. Une agression assez brutale, caractérisée par de vives douleurs ressenties par l’abusée. Le père était conscient de son acte puisqu’à la fin, il intimait à la fille de rester tranquille pour ne pas avoir plus mal. Oui, ici, il y a viol et inceste. Mais nous sommes tentés de parler de pédophilie. Puisque le père jette son dévolu sur sa fille qui n’a alors que 12 ans. La jeune fille ignorant encore ce qui se passe ou ce qu’elle endure puisqu’elle n’a pas atteint l’âge de la majorité. Un caractère animalisant, bestial que l’auteur démontre dans cette scène qui n’est d’ailleurs pas la seule.
‹‹ Cette mauvaise action dura au moins vingt minutes. Vingt minutes pendant lesquelles mes larmes ne cessaient de couler. […] Il redoubla d’ardeur, me mit à quatre pattes et me força à rester ainsi. Mes deux mains apprivoisées dans mon dos me donnaient l’allure d’une esclave. […] Dans ma détresse, je vis mon père se retirer enfin et s’en aller tout en remontant son pantalon, l’air satisfait, me laissant dans un bain de sang. Ma robe déchiquetée et moi vidée de toutes mes forces…›› p.53
Jusqu’à cet instant, la fillette ne sait toujours pas qu’elle est victime d’agression sexuelle, de viol. Elle ne peut pas poser des termes exacts sur ce qui se passe parce qu’elle est encore naïve. On est donc bel et bien à cheval entre viol, inceste et pédophilie. Cette scène est bien plus grave que la précédente. Elle fait état d’un dépassement du niveau de douleur, d’affliction. Il laisse sa victime dans »un bain de sang ». Une atrocité commise sur le corps qui n’a pas pu réagir autrement.
‹‹ J’avais peur, je voulais fuir. Je me dégageai et allais m’en aller lorsque d’une main, il me ramena et me lança dans le lit. Un léger frottement de mes dents sur ma langue et le sang gicla. […] Il me plaqua dans le canapé. Immobilisée par mes deux mains étendues et retenues au dessus de ma tête, je l’entendis tirer sa ceinture et c’est à cet instant que je le vis. Je vis un membre long sortir du pantalon de papa. Ach en avait un plus petit. C’était probablement un bâton…il allait encore l’introduire dans mon corps et moi comme la première fois, je n’allais pas pouvoir l’éviter. […] J’étais dans mes pensées lorsqu’il l’introduisit à nouveau en moi. La même douleur, le même périple, le même malheur, la même souillure.›› pp.61-62
Cette fois-ci, elle voyait, elle avait eu quelques informations à l’hôpital après avoir été hospitalisée. Mais ce n’était toujours pas suffisant. Ça ne changeait pratiquement rien. Elle subissait encore, une ‹‹ souillure ›› comme elle le pensait. Et bien-sûr, Hermine souffre. Elle souffre dans son corps. Le lecteur à travers toutes ces scènes peut facilement deviner toute l’étendue de la violence subie, de la douleur ressentie.
- ACCEPTATION ET DÉPASSEMENT
De nombreux écrivains ont abordé les thématiques ci-développées dans leurs ouvrages sans toutefois engager ou apporter de réelles »perspectives » pour permettre aux victimes d’accepter, d’encaisser ce qu’elles ont subi. Ce n’est pas toujours que justice est rendue. Peut-être qu’il est temps pour les femmes d’arrêter de faire une fixette sur les troubles, les violences conjugales, les agressions sexuelles, les préjugés qu’elles subissent (attention, interprétation relative). Il est peut-être temps pour elles d’affronter ces séquelles et les traumatismes entraînés pour les surmonter et s’affranchir. Chercher une voie qui leur convient et s’engager dans une quête d’autonomie et d’épanouissement. Dans certains de ces ouvrages dénonciateurs, la solution s’avère être parfois la fuite. Qui ne résout pas souvent la situation. Tel n’est pas le cas dans Le cri de mon hymen, car l’auteur semble apporter des ouvertures considérables.
Le soutient psychologique est d’abord à considérer. Puisque si on se penche sur le cas de Hermine, victime de viol, d’inceste et de pédophilie, le traumatisme est profond et bien ancré en elle.
‹‹ Il n’y a rien dans cette vie qui soit insupportable. La vie est faite pour construire les hommes et les préparer à une mission. […]Les douleurs sont comme de la cendre, quand on les jette, elles s’éparpillent, quand on les garde en soi, elles demeurent et ne disparaissent pas. […]Et sache une chose, tout est visible chez l’être humain. Personne ne peut rien cacher. Ta douleur est si flagrante que j’en mettrais mon bras à couper. Ouvre-toi, détends-toi et parle.›› p.133
S’ouvrir à Lucie a été une manière pour elle de partager cette douleur qu’elle ressent même si les séquelles restent. Il y a donc là l’importance d’un accompagnement psychologique chez les victimes.
Par la suite, l’auteur met en avant une acceptation de la condition et un dépassement. Vivre dans le passé, s’y accrocher ne fait rien qu’empirer les choses. Il faudrait donc s’en débarrasser pour affronter la vie, tracer un avenir meilleur.
‹‹ Lorsqu’on refuse de faire face à ses faiblesses, l’on montre à quel point nous sommes nous-même des êtres faibles. La seule façon pour toi de dépasser cette étape et de vivre pleinement ta vie, c’est d’oublier et de penser qu’un jour lorsque tu verras ton père en face, tu pourras lui sourire et lui se demandera comment tu as pu sourire en sa présence. Ceux qui nous font du mal espèrent nous voir souffrir, nous voir trembler à leur vue, moi je voudrais te voir sourire ma belle. Souris à la vie. Un viol est traumatisant, voire suicidaire, mais ce n’est pas la fin du monde. Le nombre de femmes ayant subi cet acte est inimaginable. […] Alors, passe à autre chose. Construis-toi, grandis, vis et deviens ce que tu as envie d’être. Il y a pas plus choquant que ça.›› pp.134-135
C’est comme ça que l’auteur voit les choses. Il faut donc réveiller ce côté intrépide qui sommeille en elles pour s’affranchir. C’est clairement dur de supporter et de surmonter la douleur causée (le corps en garde toujours les sales séquelles), d’oublier les événements passés, mais il est important de se battre pour dépasser cette étape, et se construire, se permettre de rêver grand.
[1] N’guessan Kouadio, Féminisme : (en)jeux d’une théorie, 2017, p.3