PAPA MAKHTAR DIALLO est activiste et écrivain engagé sénégalais. Il s’est prêté à nos questions. Sans langue de bois, il dissèque la « jungle » politique sénégalaise. Nous le remercions pour cette interview. Bonne découverte à vous.
BL : Bonjour Monsieur Papa Makhtar Diallo. Nous sommes comblés de vous recevoir sur notre blog. Si vous êtes un personnage très connu dans le paysage médiatique et politique du Sénégal, ce n’est pas nécessairement évident que vous soyez connu dans d’autres pays. Que pouvez-vous nous dire en guise d’une présentation plus ample ?
PMD : Merci de l’intérêt… Pour la présentation je suis un activiste sénégalais qui a depuis 2011 lancé un mouvement citoyen : « Les indignés du Sénégal« . Je suis aussi auteur depuis 2016 et chroniqueur dans une chaîne de Tv privée ici au Sénégal.
BL : «Je m’indigne donc je suis». Voilà un titre sulfureux… Nous étions habitués à «Je pense donc je suis». Mais vous sortez une bombe : «Je m’indigne donc je suis». Veuillez nous mettre dans l’économie de ce livre.
PMD : Oui ! En fait, «Je m’indigne donc…» c’est mon premier livre ; il a été publié pour la première fois en 2016, je l’ai retravaillé et réédité ici au Sénégal en 2017. C’est une autobiographie qui renseigne sur le parcours d’un activiste qui par moment est entré en contact avec des politiques. C’est aussi un appel à une prise de conscience collective et surtout à un changement de comportement
BL : Il y a longtemps que des hommes et des femmes s’indignent et empoignent la plume pour tancer la conscience collective. Nous pensons à Axelle Kabou, à Ousmane Sembène… Mais l’on a l’impression que ce sont des propos auxquels les destinataires sont toujours sourds. Pourquoi continuer à s’indigner si les choses ne s’améliorent pas ?
PMD : On peut dire qu’il y a une certaine surdité ou même que cette surdité elle est parfois partiale et partielle, car les gens entendent ce qu’ils veulent entendre mais il faut continuer à dénoncer. Je ne crois pas que les choses ne s’amélioreront pas… Nous, dans le cadre de nos activités, nous avons réussi à faire en sorte qu’il ait une masse critique, forte ; et aujourd’hui, quand on voit beaucoup de jeunes qui s’intéressent et qui s’interrogent de plus en plus sur la manière dont ils sont administrés, et surtout le travail des jeunes dans certaines localités pour aider, pour sensibiliser, pour dénoncer… Sur ce, je pense que les choses commencent à s’améliorer, et en grande partie, les textes de sensibilisation y sont pour quelque chose.
BL : Vous dirigez un groupe, «Les indignés du Sénégal» et vous êtes très proche du camp de l’ancien Président Abdoulaye Wade. Cette proximité/promiscuité vous laisse-t-elle vraiment libre dans l’appréciation objective et sincère que l’on attend de vous en ce qui concerne vos analyses de la vie politique sénégalaise, d’hier et d’aujourd’hui ?
PMD : Je rectifie. Je ne suis pas proche du Président Wade, on a eu à collaborer dans le cadre d’un Front pour la défense de la République, et nous, en tant que mouvement citoyen nous avons répondu à l’appel dudit front pour défendre la République. Nous avons dit dès le départ que rester dans la rue à s’indigner c’était bien, mais faire en sorte qu’il y ait moins d’indignés dans la rue c’est encore mieux. C’est la raison pour laquelle nous avons répondu à l’appel du front. Nous avons cheminé ensemble trois ans. C’est après finalement que nous avons été exclus dudit front, car nous étions très critiques aussi à l’égard des politiques. Mais comme eux ils sont un peu allergiques à la critique, ils ont préféré nous mettre dehors. Même dedans nous n’avons pas vendu nos idées ; nous sommes restés cohérent avec nos idées et nous n’avons pas trahi les principes d’équité, de justice, de liberté que nous avions défendus en dehors du front, dans le front. Et nous continuons à défendre. J’ai souvent l’habitude de le dire, l’homme indigné n’est pas forcément quelqu’un de colérique qui critique pour le plaisir de le faire. Ce n’est pas non plus un négationniste avec un discours belliqueux ; c’est une personne responsable qui, au-delà des critiques objectives qu’il peut avoir, contribue à trouver des solutions face aux problèmes que nous vivons.
BL : La jeunesse et la politique en Afrique aujourd’hui. Qu’est-ce que cela vous inspire quand on sait qu’il y a des jeunes qui gueulent pour se faire entendre afin de s’attirer l’attention des hommes de pouvoir, et dès qu’on leur trouve une place ils n’aboient plus ?
PMD : Vous savez, moi je n’aime pas les catégorisations et le problème que vous décriez n’est pas spécifique à la jeunesse. Les plus anciens aussi le font, donc ce n’est pas que les jeunes, et même, pour taquiner un peu, je dirai juste que les jeunes suivent l’exemplarité des anciens et éternels transhumants. Mais pour moi, le problème se trouve dans le pourquoi les jeunes entrent en politique ? Pour changer le cours des choses ou parce qu’ils voient dans la politique un moyen d’ascension sociale ? Et c’est justement là le problème : il faut réconcilier les gens avec la politique, et dire le pourquoi les gens doivent s’impliquer, faire revenir les courants et les pensées, et arrêter cette politique alimentaire. En ce qui me concerne, je crois que si c’était juste pour se faire remarquer il y a longtemps que je serai déjà ailleurs
BL : Quelle est la stature de l’homme politique que vous préconisez pour le Sénégal et l’Afrique ?
PMD : Il faut le réconcilier avec la théorie, c’est-à-dire quelqu’un qui s’engage pour le peuple et non pour ses intérêts : l’homme politique doit être, pour moi, une personne de convictions fortes et surtout avec une dose d’éthique et de morale ; il doit surtout être courageux et ferme pour défendre son peuple et très humble pour le servir ; il doit être d’abord désintéressé, encore une fois, sociable, courtois et serviable.
BL : Vous êtes très remonté contre le Président Macky Sall et ceux qui l’entourent. Qu’est-ce qui justifie cette «colère» que vous nourrissez à leur endroit ?
PMD : Je le disais tantôt. En fait, l’homme indigné n’est pas une personne colérique qui a une haine ou une colère contre un président. Macky en tant que tel ne m’intéresse pas, mais on ne peut pas faire le tour du pays, demander notre confiance et ensuite vouloir notre indulgence. Moi, Macky je le juge comme mon menuisier qui m’a fait un débit pour une table ; s’il ne respecte pas les termes de notre contrat qu’il ne s’attende pas à ce que je sois docile. Je ne peux pas ! Je crois que nous ne pouvons pas accepter la manière dont le pays est gouverné avec son lot de mal gouvernance et autres. D’aucuns diront «mais ça ne date pas d’aujourd’hui». D’accord, je répondrai et la rupture qu’on nous a annoncée ? Et si chaque gouvernement ou régime doit être le prolongement du précédent, à quoi bon de changer ? Ce que je reproche au président c’est d’être un trafiquant d’espoir : il nous a promis la gestion vertueuse et sobre, et nous sommes en plein dans la gestion désastreuse et sombre.
BL : Quelles sont les ambitions de votre mouvement, celui des Indignés ? Seriez-vous ouverts à certaines alliances politiques en vue de la quête du pouvoir lors des prochaines échéances électorales ?
PMD : Les ambitions, c’est d’essayer de faire en sorte qu’il y ait de plus en plus des jeunes relais pour continuer le travail de sensibilisation. Vous savez, notre passé si élogieuse a fait que nous avons toujours gardé des réflexes vis-à-vis de nos dirigeants. Nous avons toujours ce rapport de dominant/dominé au lieu de gouvernant et gouverné : il faut que cela change. Non, je ne le pense pas. Moi je ne crois pas aux partis politiques, peu importe le nom ou celui qui est à leur tête. Je crois plutôt au mouvement citoyen, car je suis pour une alternative crédible et citoyenne : il faut que nos politiciens professionnels qui se disent tous experts et qui n’ont même pas réussi à mettre sur pied une entreprise, laissent la place aux gens qui ont un modèle économique et qui ont déjà réussi à faire un truc pour l’Afrique.
BL : De quel Sénégal, et par ricochet, de quelle Afrique rêvez-vous et comment pensez-vous faire de ce rêve une réalité ?
PMD : Une Afrique unifiée avec des dirigeants modèles et des citoyens responsables et engagés. Une Afrique debout qui exploite au mieux ses ressources enviables. Une Afrique debout avec des hommes intègres. Et pour y arriver nous avons besoin de citoyens, d’intellectuels, de politiques, de femmes et d’hommes, qui osent ensemble, être « constructivement » autocritiques. Il s’agit d’étudier les raisons de notre mise en retard et de prendre ses responsabilités dans la recherche de solutions concrètes. Nous avons tous une part de responsabilité, il faut oser le dire : certains président africains trahissent le continent ; certains gouvernements corrompus et dictatoriaux sont indignes. Il faut avoir le courage de mettre en évidence nos problèmes dans le continent.
Nous avons des problèmes réels, par exemple l’éducation, le chômage, la pauvreté dans certaines localités, le pillage des ressources… Quand il s’agit de défendre les intérêts du continent, nous devons avoir des Thomas Sankara, Nelson Mandela, Cheikh Anta Diop, des Africains responsables et courageux qui refusent la dictature et la soumission et développent une attitude fondée sur les intérêts du continent. Tout commence par un rêve : vivons le rêve africain.
BL : Vous interdisez aux jeunes de lire ce livre. Pourquoi une telle mise en garde ?
PMD : Lequel ? Celui du Président Macky Sall ? Si c’est lui dont il s’agit qu’est-ce qu’on va trouver dans le livre d’une personne qui dit que les colonisateurs, les esclavagistes ont été gentils avec les tirailleurs sénégalais parce qu’ils leur donnaient des déserts…? Une personne capable d’avoir ce genre de réflexion, il faut se méfier de ses idées, car n’oublions pas, pour nous coloniser physiquement, c’était avec la complicité des noirs, des nôtres et même aujourd’hui avec cette nouvelle colonisation, les colons ont toujours des relais, des éléments bien zélés.
BL : Vous avez aussi publié «Les Chroniques d’un éternel indigné». Veuillez nous mettre dans le bain de la genèse de ce livre sulfureux qui ne laisse indifférent aucun lecteur.
PMD : Ce livre, ce sont les chroniques d’un activiste, citoyen indigné sur la vie politique, la gestion des ressources publiques, les rapports entre le religieux et le politique, le sport, l’éducation, etc. J’ai décidé dans ce livre de rassembler des articles publiés et d’en faire un livre pour toucher un plus grand nombre. Une occasion de plus pour moi de faire entendre mon propos sur des questions qui nous interpellent tous.
BL : Quand finirez-vous d’être indigné ?
PMD : À ma mort! Je m’indigne, donc je suis ! (rires)
BL : Dans ce livre, vous rendez hommage à Sidy Lamine Niass. Qu’est-ce que cet homme représente pour vous et quel est son impact sur la jeunesse sénégalaise ?
PMD : Sidy c’est pour moi notre Che Guevara. Il nous a montré comment doit être un citoyen ; il s’est battu pour avoir un patrimoine ; et pourtant il est issu d’un foyer religieux. S’il avait choisi peut-être la facilité, il n’aurait certainement pas de difficulté. Moi personnellement, sa télévision, son groupe de presse, a été le premier à me donne la parole. Sidy a formé et forgé des gens, il est juste un homme hors pair. Malheureusement, j’ai l’habitude de le dire, ce pays est paradoxal : on passe notre temps à critiquer des gens qui se sacrifient pour porter la voix des sans voix et aduler nos bourreaux. Sidy est une référence pour moi et pour beaucoup. Je lui rends encore hommage.
BL : Quelle lecture faites-vous des rapports entre la religion et la politique au Sénégal ?
PMD : Rapport de complicité je dirai. C’est un sujet sensible car nous avons un pays avec des gens qui sont très superstitieux et qui refusent de se remettre en question. Dans ce pays, les plus riches sont les politiciens, et les religieux – certains d’entre eux, je le crois – sont complices de la situation du pays.
BL : «Ndoumbélane, la jungle sénégalaise» est une œuvre qui porte aussi votre signature. Elle s’inscrit aussi dans la logique de l’indignation. Mais ici, il nous plaît de vous demander comment le public a accueilli cet ouvrage ?
PMD : «Ndoumbèlane, la jungle sénégalaise», généralement a été bien apprécié ; mais vous savez en Afrique les gens, la grande majorité, ne lise pas, mais les gens qui l’ont acheté m’ont fait des retours positifs. J’ai abordé des thèmes comme le foncier, l’école sénégalaise, des thématiques qui reviennent chaque année, et je crois que même d’ici dix ans, en tout cas au rythme où vont les choses, mes contributions seront toujours actuelles.
BL : La question du franc Cfa vous préoccupe aussi. Il y a quelques mois, Kémi Seba, un activiste béninois prônant la fin du Cfa, a été sommé de quitter le Sénégal, la terre d’El Hadj Omar. Qu’est-ce que tout ceci vous inspire ?
PMD : La terre de Macron vous voulez dire ! Nous notre indépendance n’est que formelle. Et même, nous avons des gouverneurs qui travaillent pour l’intérêt de la France, donc c’est normal que les choses se soient passées ainsi pour Kemi. C’est regrettable mais ce pays ne fait plus rêver. Recevoir la France avec les honneurs et oublier les horreurs de Thiaroye 44, il faut vraiment être francophile pour le faire.
BL : Pensez-vous que la solution soit la suppression pure et simple du Cfa ?
PMD : Tant qu’on aura ces relais communautaires comme président on n’ira nulle part ; ils vont changer d’appellation, ils disent que la France ne va plus sièger au conseil d’administration. La France n’a plus besoin d’une présence physique vu qu’il a déjà des gens “si bête” – Sibeth – qui n’ont aucune fierté et qui seront les oreilles et les yeux de la France. C’est comme l’histoire des indépendances : tout est calculé pour mieux maîtriser les Africains «Peau noire masques et sang blanc». René Dumont a écrit un livre problématique dont certains disent qu’il est prophétique et d’autres, l’expression d’une malédiction qui nous poursuit : «L’Afrique noire est mal partie».
BL : Plus de cinquante ans après, que pensez-vous de cet ouvrage ? Quels sont vos projets en matière d’écriture ?
PMD : Je ne pense pas. Il faut que les peuples se réveillent, il faut impérativement retrouver la rue pour changer ce pays, il le faut : que le peuple africain se réveille et arrête de croire que notre incroyable talent se limite à la danse ou la musique. Nous devons faire comme partout : sensibiliser les gens et instaurer une masse critique, forte et exiger de tous les présidents la limitation des mandats à deux.
BL : Votre mot de la fin
PMD : Je vous remercie et m’excuse au préalable du retard. J’étais un peu pris mais je vous encourage et vous demande de continuer à travailler pour l’Afrique et c’est une forme d’indignation contrairement à ce que les gens pensent : l’indigné est celui qui se bat pour la justice et contre les injustices ; et en ce sens nous sommes tous des éternels indignés.