On la connaît pour son franc-parler et son humour fin. Ses prises de position sur les questions raciales et celles de l’immigration font parler d’elle. Sa voie, parfois trop virile, fait frémir et blêmir. Et on se demande ce qui bouillonne au plus profond d’elle. Qu’elle soit pétillante d’intelligence et qu’elle ait la verve bien souvent acerbe, celle qui a scruté le « ventre de l’Atlantique » tout en, s’interrogeant sur « la préférence nationale » est une femme de lettres née au Sénégal. Fatou Diome, puisqu’il faut l’appeler par son nom est une des écrivaines africaines d’expression française les plus en vue actuellement.  Elle publie en 2010 aux Editions Flammarion, son troisième roman qu’elle intitule: « Celles qui attendent« . L’évocation du titre fait plusieurs questions: « qui attend? Les mères, les épouses? Les filles? Les vieilles? Mais qui attendent-elles?  Et où les attendent-elles? Ici, Fatou Diome plante un décor où elle fait voir une Afrique face au processus de la mondialisation. En même temps, elle y embrasse cette thématique qui lui est chère, celle de l’immigration des jeunes africains vers les eldorados occidentaux. Reviendront-ils sains et saufs?

 

Résumé de l’œuvre

Sel de la famille, les femmes de ce livre, attendent un fils, un frère, un époux, un oncle, un père. Fatou Diome décrit le courage de ces femmes. « Ce qu’on appelle courage n’étant souvent que la force extrême du désespoir » (p.97).

Issa et Lamine éreintés et saoulés par la misère qui régnait dans leur village, le manque d’emploi dans la capitale et, conscients de la responsabilité qui leur incombait de prendre soin des leurs, prirent la décision de s’aventurer sur les côtes espagnols. Ils abandonnèrent ainsi mères et épouses. Arame et Bongna qui pourtant rêvaient d’un avenir radieux pour leurs fils , se vitrent obligés d’être complice de leur départ et de leur aventure vers l’Occident. Elles contribuèrent en effet aux frais de transports, acceptant ainsi, tacitement, de voir  leurs fils braver les vents de l’Atlantique à bord d’une pirogue. Les épouses, en attendant leurs maris, faisaient leur mieux pour nourrir la famille. « Féminisme ou pas, nourrir reste une astreinte imposée aux femmes » (P 13). C’est le cas de Coumba, femme de la nouvelle génération, qui se soumit pleinement à sa belle-famille et faisait de tout son possible pour la nourrir. C’était son devoir en tant qu’épouse de pourvoir aux besoins vitaux de sa belle-famille. Mariée à Issa à la veille du départ de celui, elle l’attendait maintenant avec un fils. Combien d’années devrait-elle encore attendre, si tant est que « Partir, c’est mourir au présent de ceux qui attendent » ? (p 265). Quant à Daba condamnée par la tradition et arrachée aux bras de son fiancé, elle devint épouse d’un émigré, mariée à Lamine, sans que ce dernier soit à ses côtés. Elle l’attendait désormais patiemment dans sa chambre. Va-t-il revenir ? Pourra-t-elle un jour goûter à tous ces plaisirs que décrivent les autres jeunes mères? Résistera-t-elle à son amant à qui elle a été enlevée?

 

Personnages

Issa : Fils aîné de Bougna, jeune pêcheur, il est contraint par cette dernière à l’aventure. Époux de Coumba, il devint, après son retour de l’aventure, polygame à cause de son mariage avec une toubab.

Bougna: Mère d’Issa, deuxième épouse de Wagane, amie de Arame, elle est tout le contraire de cette dernière. Prête à toute rivalité, elle est très jalouse, égoïste et tente de s’imposer par tous les moyens dans son foyer.

Lamine: Fils de Arame, il a hérité du tempérament de cette dernière, calme et humble, il est devenu émigré pour la survie de sa famille.

Arame: Mère de deux fils, elle a perdu le premier dans une tempête. Humble et calme, elle se démerde pour nourrir ses petits-enfants, les enfants du défunt.

Etude thématique

L’ouvrage regroupe plusieurs thèmes dont la famille, l’immigration, la tradition, le développement del’frique.

La Famille: Ce thème est étroitement lié à la responsabilité. On se démerde pour voir le sourire illuminer le visage de ces proches.. La famille est la source de motivation des émigrés.

L’immigration : Elle apparait tel une seconde « chance » pour pallier à la misère. « Qui ne risque rien, n’a rien » Cette citation trouve tout son sens dans le contexte de ce livre. On connait les risques mais on veut toujours essayer.

La tradition:  On respecte les grandes personnes, on se soumet à ses parents, à son mari. Arame s’est mariée à un homme du même âge que son père, Koromâk, un grabataire contre son accord. Daba enlevée à son fiancé, sans son accord, s’est vue mariée à Lamine. Coumba s’étant mariée librement, se soumit pleinement à sa belle-famille, elle n’eut pas d’autre choix. Dans la tradition, ce qui définit la femme, c’est la soumission.

Le développement de l’Afrique : C’est le sous-développement de l’Afrique qui occasionne les départs de ses jeunes vers les côtes occidentales. Ils ont longtemps erré au pays avant de décider de s’aventurer. L’exposé de ce concept appelle à la prise de conscience des dirigeants africains.

 

Avis personnel

Fatou Diome se sert de l’histoire qu’elle raconte pour développer les idées qui lui sont chères et qui ont toujours motivé ses actions. Comme dans « Le ventre de l’Atlantique« , elle expose ici l’immigration, mais va plus loin pour développer le concept de la mondialisation et du développement. Contrairement à l’homme de Barbès, Lamine n’a pas caché la mauvaise face de l’Europe, ou disons, sa vraie face à sa famille. Il prend la décision de ne plus y retourner.

On sait que l’auteure mène au quotidien un combat à travers ses écrits et débats pour défendre une Afrique qui n’est pas « pauvre mais qu’on appauvrit ». Dans « Celles qui attendent », elle n’a pas fait usage du mot » mondialisation », mais elle a su exposer ses conséquences sur l’Afrique. Il faut dire qu’en réalité même si elle le faire ressentir implicitement, les pays africains ne font pas grand chose, presque rien pour aider les jeunes du continent, pire, ils s’égarent dans des guerres. Pour les africains, tout ce qui vient de l’extérieur est bon, peu importe sa nature. « Qu’on nous cache les yeux ! »(p. 207.) Elle a raison de dire qu’on nous cache les yeux puisque l’Europe nous vend des rêves, des illusions, des chimères, mais elle n’est pas prête à assumer ses responsabilités. Si tant est que l’eldorado est en Europe, comme elle se vante pour nous le faire croire, elle devrait accepter ceux qui veulent s’y aventurer, quand on sait que c’est le chaos créé ici qui fait que les jeunes rejoignent l’Occident. Mais comme on le voit parfois, sinon souvent, la vie en Europe n’est pas un paradis gagné d’avance. L’Europe, avec ses lois racistes et isolationnistes, méprise les immigrés qui sont sur son territoire, surtout les Noirs. L’Europe est tout simplement hypocrite. Elle a une part de responsabilité dans ce phénomène d’immigration tout autant que l’Afrique. L’immigration est une nouvelle forme d’esclavage. Les jeunes s’en vont en Europe, espérant dégoter un emploi mais deviennent des esclaves pour survivre. Même si l’Europe ne veut pas le reconnaître, elle dépend pleinement de l’Afrique, elle ne peut rien sans elle. Elle se doit de l’aider à émerger. Outre cela, l’Europe doit bien recevoir les Africains, une manière pour dire merci à l’Afrique, parce que « si, géographiquement et économiquement, les pays africains sont peu présents à la table des négociations internationales, leurs voix permettent à l’Europe de garder la main dans la partie d’échecs mondiale. Les pays européens ont donc intérêt à maintenir l’Afrique tout juste en état de fonctionnement, assez pour rendre disponibles ses matières premières et ses jeunes forcenés de l’immigration, ni nécessaire à la démographie moribonde ». (p332)

C’est à nous de bâtir notre continent, pas en le fuyant. On est toujours mieux chez soi dit-on. « Et même si, gouvernée par l’économie, la politique se soucie peu de la morale, nul n’a le droit de considérer un peuple comme un cheptel exploité au bénéfice d’un autre.[…] Entre un passé mal soldé et un présent abandonné aux illusionnistes, l’Afrique et l’Europe sont comme deux enfants devant un miroir déformant. Au lieu de se regarder et de se reconnaître pleinement, elles persistent dans leur jeu de dupes et comptent sur des reflets mensongers pour dessiner leur avenir commun. » page 333.

Il faut que l’Afrique s’affirme, il est temps qu’elle se réveille et que les jeunes africains prennent conscience.

Conclusion

Même si nous ne remarquons pas assez de rebondissements ni de suspenses dans « Celles qui attendent »,  on peut dire que l’auteure a trouvé une manière de maintenir le lecteur éveillé de sorte que ce dernier n’a pas envie que le livre finisse. « Celles qui attendent » est un roman aussi littéraire que philosophique à l’instar de l’aventure ambigüe de Cheikh Hamidou KANE même s’ils ne se rejoignent pas sur toutes les thématiques. Un roman de 405 pages en version numérique. Fatou Diome emporte tout simplement par ces écrits.

 

Léa OVIDIO de-SOUZA

Léa OVIDIO de SOUZA est étudiante en deuxième année de philosophie à L’École Normale Supérieure de Porto-Novo. Elle aime l’écriture et la lecture; la musique occupe aussi une place importante dans sa vie.