D’un cœur généreux, Assane Dieng m’a permis d’être parmi les premiers lecteurs de son deuxième recueil de poèmes baptisé Semailles alors qu’il n’était, à l’époque, qu’un tapuscrit cherchant à être édité. Je me le rappelle encore, lorsque je reçu son mail, je me précipitai pour le lire. Tout l’après-midi d’un automne présageant le grand froid de l’hiver me donna une raison de lire, lire Azo Dieng, moi qui n’avais pas eu la grâce de savourer les Premières pluies.
Semailles, du point de vue du titre est une suite logique du premier recueil. Que le lecteur ne soit point dupe, les deux œuvres peuvent se lire de manière séparée. Il y a, me semble-t-il, chez Azo, une volonté de rester fidèle au langage et de mettre sa poésie sur les sentiers de la métaphore : métaphore qui emprunte les différentes étapes que connait l’agriculteur : les pluies, les semailles enfin la moisson. Le paysan qui attend avec impatience les pluies nécessaires pour bécher,tourner et retourner la terre longtemps restée au repos, est ici, dans ce recueil, le poète attentif et clairvoyant à la musique, à l’écho des Muses devant l’envie et l’angoisse de la feuille vierge qui ne demande qu’â être tachée. Les Premières pluies, comme la manne du peuple Juif au désert, sont tombées dans le cœur fécond du poète, son esprit est mouillé, le travail peut ainsi débuter.
Les Semailles « représentatives de la vie active et fécond » du poète ne trouveront leurs fruits que dans « l’effort persévérant ». Le titre oriente d’emblée le recueil dans un univers fait « d’images » et de « comparaisons ». La Bible et le Coran sont traversés par de nombreuses allusions de ce mot : l’on se rappelle encore la parabole du semeur, Genèse 1-11, 47-23, Ecclésiaste 11-4-6, Matthieu 6. 26, Marc 4. 26…
Le Prophète sallâ I-Lahùwasallam « Déclara qu’après le jugement dernier et l’admission d’hommes au Paradis,un habitant du Paradis demandera à Dieu la possibilité de faire pousser des champs, avec semailles et récolte […] Dieu lui accordera alors la possibilité de le faire, de semer » [Rapporté par Al-Bukhâri, n° 2221]
L’acte d’ensemencer fut-il vrai ou parabolique est celui de la Création et de la Réception. Création dans le sens qu’il donne des fruits et réception dans le sens où la terre reçoit ce que la main du semeur lui donne. Qu’est-ce qu’un poète s’il n’est un « sérieux concurrent de Dieu ». Tous les deux créent par le pouvoir de leur verbe, de leur logos. Dans Semailles, Azo Deng ne déroge pas à cette attitude de réception. La première partie du livre intitulée « Poète en vadrouille » n’est autre que la phased’attente et d’écoute de l’inspiration. « Prière à la muse » est comme le fameux « Lémmu » des batteurs de tam-tam officiants pour des cérémonies cultuelles ou l’antienne des bàkkdes Lutteurs. L’attitude est recueillant, saint, la prière courte :
« Puisse la muse épouser mon esprit
Fertiliser mon imagination ».
Ecrire c’est d’abord se mettre en situation d’écoute d’une voix silencieuse qui entre en communication avec le poète. C’est être habité et investi par une force supérieure appelée Muses. C’est ensuite, transcrire le souffle des déesses dans un langage qui soit autre que celui journalier, roturier. C’est enfin entrer dans la valse des mots faite de rythme, de cadences, de mesures. Cependant, Azo Dieng est conscient que l’écriture est un projet. C’est pour cette raison qu’il dévoile les raisons qui le motivent à la prise de plume.
Ecrire pour « dire ses sentiments et ses ressentiments », écrire « pour se confier », écrire pour « confier à la page blanche ses inquiétudes et ses réminiscences ». Ce qui est frappant, dans ce poème de la première partie, c’est le terme « besoin » qui renvoie à une nécessité. Cela dépasse le cadre d’une passion que l’on éprouve par moment et dont on peut se passer. Le besoin comme nécessité parce qu’il faut que la plume se tienne {Plum’art}, parce que reflet de son indigence {Poète comptant pour rien} et dans un état de manque à combler. Ce dernier aspect du terme besoin mérite qu’on s’y attarde un peu. Les Premières pluies ont déversé leurs flots dans le cœur du poète inondé, sa main sème des mots, ses lecteurs ne pourront échapper à ses mailles. Ce recueil comble un vide : l’absence des êtres qui lui sont chers : YaayJàrySow, Charles Camara, Abdel Aziz Boye, Cheikh YakhoubMballo et KhabaneThiam.
Azo Dieng à l’image du psalmiste a compris ceci :
« L’homme !ses jours sont comme l’herbe
Comme la fleur des champs, il fleurit
Dès que souffle le vent, il n’est plus
Même la place où il était, il l’ignore »
Ces personnes à la trappe à qui Azo Dieng doit beaucoup ne peuvent être oubliées. L’écriture fixe leur mémoire pour l’éternité, témoigne de la fidélité du poète, rend un vibrant hommage. Je le confesse ici, Chez Azo Dieng, la mort est « présence des absents » comme le disait Jean D’Ormesson pour qui il a beaucoup d’affection. Semailles est un cimetière honoré, les pierres tombales chantent l’acclamation du non oubli, ceux qui gisent dans la mémoire du poète ressuscitent et reviennent à la vie grâce au pouvoir des mots
« Je ne vous pleurerai pas, vous ne m’avez pas appris à pleurer »
Malgré ce stoïcisme annoncé, le poète cède face à la douleur dans le poème dédié à Fatou Binetou Lo :
En versant ces larmes
Je n’ai pu m’empêcher de souffrir
Le sort tragique des belles âmes sans arme
Face à la grande faucheuse, mer
Macabre- réceptacle des plus chaudes larmes ».
L’on peut également lire le poème « Rayon de soleil » en la mémoire de Julie (mon coup de cœur). Semailles est une terre de reconnaissance, de dette affective. J’y retiens la puissance des oraisons funèbres telle pratiquée par Bossuet. Azo Dieng, dans ce recueil, a déposé toute sa faiblesse et son espérance.
Cependant, en dehors de la présence hantée de ceux et celles qui ne sont plus, « Etoile de Bronze » ainsi que certains poèmes de la première partie magnifient l’amour et le sentiment amoureux. Avec Azo Dieng, l’amour est léger sans que l’écriture ne perde sa densité, profond sans être lourd. C’est un souvenir {Que passe la fille antilope}, {Amours}, {Rose}, {Hal Puulaar}, {Cœur épris}, {Douce tigresse} sans oublier {Histoire d’amour} non pas à un Homme mais à la Poésie. L’amour, dans ce recueil est courtois, perdu et parfois désiré. Quand il évoque les douceurs perdues, les mots peuvent être féroces mais ils gardent toujours une férocité domptée par la lascivité des mots et la joyeuseté du moment. Le poème « Si tu me le demandais » est une chanson. D’ailleurs, elle me fait penser à celles de YoussouNdour, en particulier, deux très connues : Djino et Langou l’adverbe de condition (Si) rend tout possible. Ce « Si » de l’amoureux désireux de tout offrir à l’autre.
Il m’est impossible de tout dévoiler ici. C’est loin d’être l’objectif. Je voudrais, à présent, laisser à chaque auteur, la possibilité de découvrir par lui-même les trésors enfouis et révélés dans ce recueil d’Azo Dieng. Par cette œuvre, Assane, cette fois-ci, libère sa poésie des carcans traditionnels sans perdre l’âme des mots et du rythme. Il suit une voie qui lui est propre, refuser d’enfermer sa poésie dans un hermétisme que se plaisent les jeunes auteurs actuels par désir de ressembler à leurs idoles. Azo DIENG, a, sans doute fait ce que mon Maitre Alfred de Musset recommandait « Frappe-toi c’est là que se trouve le génie ». Le poète de Semailles plus que se frapper le cœur, il l’a saigné pour rendre sincères les émotions qui l’habitent et fixer à jamais celles et ceux à qui il doit le bonheur d’aimer et d’être aimé. Dans Semailles,suivant le paradigme du Bellay, Azo DIENG « n’a cherché ailleurs plus graves sentiments que ce lui a fait dire le cœur. »
Joseph CORREA