«Afrique mon Afrique
Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales
Afrique que chante ma grand-mère
Au bord de son fleuve lointain
Je ne t’ai jamais connue
Mais mon regard est plein de ton sang (…) »
Poème Afrique, P. 23, » Coups de pilon« , Présence Africaine, 5e Edition.
Bedonnant de la mimique des grands gestes, nombreux avions nous été à dé clamer à tue-tête ce poème-symbole sur nos bancs d’écoliers au Sénégal et un peu partout en Afrique subsaharienne. Et on ne sait par quelle magie, l’esprit du poème habitait chaque voix qui s’y prêtait, fût-elle celle de l’élève à qui, moins d’en célébrer l’illustre auteur, il importait d’enchanter son maître d’école puis accessoirement ses camarades afin de décrocher une note gratifiante. Plus qu’un poème, il s’agit là d’un hymne continental. Quant à son compositeur David Diop, du moins David Léon Mandessi Diop –voudrais-je dire puisque c’est de lui qu’il s’agit–, il avait asséné ses » Coups de pilon« en 1956. Depuis, l’œuvre traverse les générations et nous en sommes à sa 5e édition.
La version actuelle du recueil comporte trois parties qui s’intitulent respectivement Coups de pilon, édition originale comprenant dix-sept (17) poèmes ; Cinq poèmes et enfin des Poèmes retrouvés –après sa mort en 1960– renfermant vingt-et-une (21) pièces. Ainsi, l’ensemble des poèmes du recueil de l’édition Présence Africaine1973s’élève à quarante-trois (43).
Cette structuration de l’œuvre est une valeur ajoutée car chacune des trois parties a le mérite d’apporter davantage de pistes de réflexion relativement à la gestation, à la révélation et à la maturité de la poésie de David Diop suivant les différentes périodes de sa vie d’auteur. La difficulté de l’analyse d’une œuvre poétique à recueil unique en est ainsi tempérée. Mieux, les angles de vue poético-stylistiques arrondis au-delà de la lorgnette d’une Négritude aussi fédératrice que réductrice.
I- UNE POÉTIQUE AUX SOURCES DE LA NÉGRITUDE : LA PRÉSENCE (PAN)AFRICAINE
1948, année de parution des poèmes « Temps du martyre », « Celui qui a tout perdu… » et « Souffre pauvre Nègre » dans le n°2 de Présence Africaine. 1948, année de parution des poèmes « Un blanc m’a dit… » et « Défi à la force » dans l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache aux Presses Universitaires de France. 1948, année des Cinq poèmes, les tous premiers de David Diop portés publiquement à l’appréciation de la critique littéraire. Année où le jeune Diop, alors âgé à peine de 21 ans, a fait ses grandes et petites entrées dans le milieu par l’intermédiaire de deux membres de la famille. Le premier, c’est Alioune Diop, beau frère et éditeur. Le second n’est pas moins connu : Léopold Sédar Senghor, oncle et professeur. Tout de même, le poète en herbe n’est pas ménagé. À ce propos, son professeur de dire : « Ces derniers (poèmes de Diop) sont l’expression violente d’une conscience raciale aiguë. Sans nul romantisme dans l’expression. Ce qui les caractérise, c’est la sobre vigueur du vers et un humour qui cingle comme un coup de fouet, bref. Nous ne doutons pas qu’avec l’âge, David Diop n’aille s’humanisant. Il comprendra que ce qui fait la négritude du poème, c’est moins le thème que le style, la chaleur émotionnelle qui donne vie aux mots, qui transmue la parole en verbe[1]».
Senghor n’a pas tort de croire au destin poétique qui attend son neveu. Huit ans (08) plus tard, paraît à point nommé » Coups de pilon« . Ainsi donc, les fruits auront tenu la promesse des fleurs. Mais pas sûr que leur goût soit des plus savoureux pour le tonton passé maître en poésie négro-africaine du haut de son piédestal de « Roi-mage »[2] de la Négritude. En effet, Senghor reprochait à la poésie de David Diop dans son coup d’essai un accent âpre et rêche et un ton brutal et dur. Il faut dire que le jeune poète a la peau dure. Les Cinq poèmes à côté du coup de maître que constitue » Coups de pilon » passent –à notre sens – hormis « Défi à la force »pour des poèmes marqués moins par un courroux que par une consternation profonde. Loin de se complaire à l’idéal senghorien, il a poussé le cri de révolte plus haut et plus fort dans son recueil. Poète de la radicalité, il emprunte une démarche contestataire voire révolutionnaire.
David n’est pas dans l’expectative. Il n’accorde pas son pardon et ne prie pas le Seigneur pour un oppresseur qui n’a pas fait amende honorable. Tout en s’indignant des exactions et brimades dont son peuple noir est victime, il dénonce avec véhémence la duplicité et la rapacité des colons dans les poèmes « Les Vautours » et « Aux mystificateurs » :
« En ce temps là
A coups de gueule de civilisation
A coups d’eau bénite sur les fronts domestiqués
Les vautours construisaient à l’ombre de leurs serres
Le sanglant monument de l’ère tutélaire
En ce temps là
Les rires agonisaient dans l’enfer métallique des routes
Et le rythme monotone des Pater-Noster
Couvraient les hurlements des plantations à profit (…) » (Les Vautours, P. 10, 5e édition)
« Monstres cyniques en cigare
Véhiculés d’orgies en vols
En baladant l’égalité dans une cage de fer
Vous prêchiez la peur la tristesse enchaînée à la peur
Le chant mélancolique et le renoncement (…) » (Aux Mystificateurs, P.17, 5e édition)
David croit fermement être investi d’une mission messianique dont la finalité serait la rédemption de l’identité noire et la capitulation d’un Goliath des temps modernes. Fort de cette conviction, sa poésie suscite l’espoir de la libération des nations noires et il se permet de conjuguer au passé ce qui se déroule dans le présent non sans professer l’agonie des chaînes:
« (…)
Dimbokro Poulo Condor
Ils croyaient aux chaînes qui étranglent l’espoir
Au regard qu’on éteint sous l’éternelle sueur
Pourtant c’est le soleil qui jaillit de nos voix (…) » (L’Agonie des chaînes, P.13, 5e édition)
Par ailleurs, l’originalité du style de David Diop au sein de la Négritude n’a pas toujours été de tous les temps. Au nombre des « Poèmes retrouvés » qui correspondent substantiellement à la période de gestation de sa poésie, le texte intitulé « Pleure » dans l’esprit se recoupe avec la chute de « Prière aux masques » de Senghor.
L’un déclame :
« (…)
Pleure surtout : Ta peau est noire.
Et pourtant,
Chanter c’est ta vie.
Danser ta joie
Aimer ton désir. » (Pleure, P.59, 5e édition)
L’autre proclame :
« (…)
Ils nous disent les hommes du coton du café de l’huile
Ils nous disent les hommes de la mort.
Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds
reprennent vigueur en frappant le sol dur. » (Prière aux masques, in Chants d’Ombre, 1945)
Tous les deux mettent en valeur la force identitaire de la danse dans la réappropriation de soi même dans les périodes les plus mornes de la vie du nègre.
En revanche, la connexité la plus flagrante dans la phase de gestation est à rechercher du côté de Aimé Césaire. Dans « Cahier d’un retour au pays natal », (page 42), le poète antillais écrit :
« (…)
ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité d’autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre »
Dans les « Poèmes retrouvés » de David Diop, notamment « Reconnaissance », (Page 56,5e édition), on peut lire le même élan avec une forte dose de sarcasme et dans un ton affirmatif:
« Ô vous qui avez inventé
Fer à repasser
Bouton de col
Épingle à nourrice
(…)
Préservatif
Bordel
Pédérastie
Traite des Noirs
(…)
Bombe atomique
Ma race vous crie : « Merci ! »
Au nom de la ci-vi-li-sa-tion ! »
Plus subtilement, l’inspiration de David Diop sur Césaire perdure dans l’œuvre à travers la ponctuation minimaliste et le souffle court des vers qui atterrissent sur la feuille blanche comme au rythme effréné d’une rafale. D’ailleurs, l’admiration est si perceptible qu’il ne s’en cache pas et lui dédie son poème « Nègre clochard » d’où il puise l’expression-phare « Coups de pilon ».
II- UNE POÉTIQUE PAR-DELÀ L’ENTRE-SOI NÈGRE: LE CAS D’ÉCOLE HIKMET
Dans sa « Contribution au débat sur la poésie nationale », au 1er congrès des Ecrivains et Artistes noirs de septembre 1956, à Paris, David DIOP reconnaissait que : « Le seul héritage qui ait du prix, c’est la tendresse d’un poète d’Eluard, la rayonnante lucidité de Nazim HIKMET, « c’est l’orage déchaîné » de Pablo Neruda ». Il place ainsi sa poésie par intermittence hors du vase clos de la Négritude.
À propos de la familiarité entre la poésie de Nazim HIKMET et celle de David DIOP, nous nous en référons essentiellement à la conférence du poète Cheikh Diop intitulée « De la poésie turque à la présence sensible de Nazim HIKMET dans l’œuvre poétique de David DIOP ».[3]
De plus près en scrutant les deux univers poétiques, nous ne manquerons pas de nous étonner d’une similitude manifeste tant du point de vue de la thématique que de la stylistique. Nazim HIKMET en lutte contre la dictature militaire dans son pays est un révolutionnaire qui s’efforce d’inviter ses compatriotes â la révolte, à défaut de la révolution, là où David DIOP s’emploie à exhorter les esclaves et les colonisés au maçonnage :
« Les vagues furieuses de la liberté
Claquent claquent sur la bête affolée
De l’esclave d’hier un combattant est né
Et le docker de Suez et le coolie d’Hanoï
Tous ceux qu’on intoxiqua de fatalité
Lancent leur chant immense au milieu des vagues
Les vagues furieuses de la liberté
Oui claquent claquent sur fa bête affolée. »
(cf. le poème « Vagues » Coups de pilons : D. DIOP)
Nazim HIKMET avait entonné avant lui le même chant de révolte :
« Dans la nuit noire au loin à Istanbul,
On charge les voiliers d’armes et d’uniformes.
Les voiliers c’est l’espérance,
C’est l’écume, la liberté
Et c’est la tempête aussi…
Et eux, eux sont sur mer,
Depuis l’initiale traversée… »
(cf. le poème « guerre d’indépendance » : N. HIKMET)
Issus de peuples traqués et opprimés, HIKMET et DIOP– si nous osons nous servir d’un mot de MALHERBE – ne ronsardisent pas. Ils crient : leur poésie est un cri de colère et de révolte contre l’oppression, contre la négation des droits de l’homme.
HIKMET et D. DIOP ont durement souffert de l’exil qui pour le premier « est un dur métier ». Surtout quand la solitude et le froid se font les complices des hommes, tant il est vrai, que comme le soutient Félicité De Lamennais : « l’exilé est partout seul ».
La négation des droits de l’homme produit des hordes d’exilés si elle ne verrouille pas les lourdes portes des prisons, à défaut de se faire croque-mort. C’est l’exode du peuple juif depuis la fuite en Égypte, et depuis la captivité de Babylone jusqu’aux fours crématoires d’Auschwitz, de Dachau. Bergen, Belsen, Treblinka, Mauthausen et j’en oublie.
C’est la traite négrière pendant plus de deux cents ans, des esclaveries de Ferdando Pô et de Corée jusqu’à la potence de la pendaison pour châtier nègres marrons, mais sans oublier aussi les ruisseaux de sueur déversée dans les plantations à profit des Antilles et les prairies d’Amérique où a coulé le sang d’innocents indiens. Beaucoup d’écrivains comme N. Hikmet font les frais des dictatures et ceci depuis la nuit des temps, depuis Ovide qui fut probablement le plus ancien écrivain connu à avoir été exilé, victime d’une censure littéraire.
L’exil est le lot de tout poète, qu’il soit volontaire comme dans le cas de Rimbaud trafiquant d’armes pour le compte du Négus Ménélik II (en ce sens Rimbaud fut le premier Rasta avant d’être un rastaquouère), de T. S. ELIOT en Angleterre ou de Saint-John Perse en Chine, que cet exil soit involontaire comme celui de Victor Hugo, dans les îles Anglo-normandes, à Jersey et à Guernesey :
« Oh ! n’exilons personne
Oh ! l’exil est impie »
Se lamente Hugo.
Durant l’exil, avons nous dit précédemment, le froid se fait le complice des hommes. C’est même un bourreau. Et N. Hikmet n’hésite pas à hisser l’exil au même niveau que la mort ou même à un palier supérieur :
« Dans Prague tandis que blanchit l’aube
La neige tombe
Liquide
D’un gris plomb
Dans Prague doucement s’éclaire le baroque
Tourmenté, lointain.
H tremble dans ces dorures une tristesse noircie.
Sur le Pont Charles les statues
Sont les oiseaux venus d’une planète morte.
Dans Prague le premier tramway a quitté le dépôt
Les vitres sont éclairées, jaunes et chaudes
Mais je sais
Qu’il fait à l’intérieur un froid glacial
L’haleine du premier voyageur ne l’a point encore réchauffé ».
(Cf : le poème « les heures de Prague » N. Hlkmet- C’est un dur métier que l’exil. 1964)
David Diop, au thème de la révolte superpose lui aussi celui de l’exil :
« Écoutez camarades des siècles d’incendie
L’ardente clameur nègre d’Afrique aux Amériques
Ils ont tué Mamba
Comme là- bas les sept de Martinsville
Comme le Malgache là-bas dans le crépitement blême des prisons.
(..)
Voici qu’éclate plus haut que ma douleur
Plus pur que le matin où s’éveilla le fauve
Le cri de cent peuples écrasant les tanières
Et mon sang d’années d’exil
Le sang qu’ils crurent tarir dans le cercueil des mots
Retrouve la ferveur qui transperce les brumes
Écoutez camarades des siècles d’incendie
L’ardente clameur nègre d’Afrique aux Amériques
C’est le signe de l’aurore
Le signe fraternel qui viendra nourrir le rêve des hommes. »
(c.f le poème « Écoutez Camarades » – D. Diop. Coups de Pilons)
Seulement soulignons en passant l’impartialité de David Diop qui s’attaquait aussi aux collaborateurs, aux renégats appliquant à la lettre ce conseil de Baudelaire qui écrivait dans la préface de son livre « Les fleurs du mal » : « Les poètes ne sont d’aucun parti ». Si David Diop était dur envers le négrier et le colonialiste, il l’était encore plus envers le collaborateur, le renégat :
« Mon frère aux dents qui brillent sous le compliment hypocrite
Mon frère aux lunettes d’or
Sur tes yeux rendus bleus par la parole du maître
Mon pauvre frère au smoking à revers de soie
Piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la condescendance
Tu nous fait pitié »
(Cf poème Renégat)
David Diop et Nazim Hikmet emploient les mots de tous les jours pour exprimer les souffrances de leurs peuples.
Chez David DIOP en tout cas, aucun mot ne nécessite le recours au dictionnaire. Cette simplicité dans l’expression traduit leur innocence ; la pureté de leurs sentiments et de leur cœur meurtri par tant d’injustices.
Sur le plan de la stylistique l’influence de N. HIKMET sur D. DIOP se manifeste par la répétition :
– Le refrain : qui a la valeur de musicalité
Nous venons de le voir avec les poèmes intitulés « Vagues », « Ecoutez camarades », « guerre d’indépendance »ou « les heures de Prague ».
– Les répétitions de mots :
1 – L’anadiplose :
En nous référant aux professeurs Oumar SANKHARÉ et Alioune Badara DIANÉ «l’anadiplose est un procédé de répétition et d’enchaînement par lequel on reprend au début d’une proposition un mot dans la proposition précédente »[4].
David Diop utilise fréquemment ce procédé :
« Le sang de ta sueur
La sueur de ton travail
Le travail de l’esclavage
L’esclavage de tes enfants
C’est ton Afrique qui repousse
Qui repousse patiemment obstinément »
Poème Afrique, P. 23, Coups de pilon, Présence Africaine, 5eEdition .
Dans la poésie hikmetienne, origine de cette influence nous relevons :
« Et bien ces gars peuvent mourir
Mourir s’il le fallait »
2 – l’Anaphore :
« C’est la répétition d’un mot ou groupe de mots en tête de plusieursvers ou membres de phrases »[5].
Cette anaphore a valeur de symétrie et de renforcement :
« À vos nuits d’alcool à propagande
À vos nuits écrasées de saints automatiques
À vos nuits de pieux silence et de sermons sans fin. »
(D. Diop)
Dans la poésie hikmetienne, nous notons le même parallélisme :
« Mourir s’il le fallait
Mourir comme s’ils chantaient… »
3 – La palilogie :
La palilogie (ou epizeuxe ou réduplication) consiste à répéter dans une phrase un mot ou une expression qu’on veut mettre en relief[6] :
« Claquent sur la bête affolée. »
(D. Diop)
Répétition et réduplication du mot« claquent ».
Autres formes de palilogie relevées chez D. Diop ;
O pluie pluie sournoise pluie de sang
(cf. poème « témoignage »)
Tambour tambour mon sang
(cf. le poème « Ton sourire »)
Chacals chacals à mille nœuds du monde
(cf. le poème « tournez-vous chacals »)
En procédant par parallélisme nous relevons dans la poésie hikmetienne les mêmes réduplications :
Elle rêvait de maisonnette
Qu’à son amour si grand si grand
(cf le poème « le géant aux yeux bleus »).
Et eux, eux sont sur mer
(cf le poème « guerre d’indépendance »)
On nous objectera certes que la palilogie était retrouvée dans la littérature française de la pléiade.Nous pensons à Ronsard dans le poème « les amours des Cassandres »:
« Cueillez, cueillez votre jeunesse…
Ça ! ça ! Que je baise votre beau tétin ? »
À Du Bellay dans le poème « les antiquités de Rome » :
« France, France réponds à ma triste querelle ».
Et aussi à Senghor : « sang sang ô ! sang noir de mes frères vous tâchez l’innocence de mes draps ».
(cf. le poème « Thiaroye »)
Nous répondrons que la réduplication est également une figure de style très répandue dans la poésie turque et l’originalité c’est que dans cette dernière elle est le plus souvent retrouvée à l’intérieur d’un vers.
4 – La polysyndète
La polysyndète ( ou le polysyndéton ou la multiliaison ou la conjonction) est la répétition d’une conjonction de coordination[7] : Ce qui a valeur d’accumulation en cela qu’elle produit une impression de variété et d’abondance.
« Et les matins d’illusion et les débris d’idées
Et les sommeils peuplés d’alcool ».
(cf. le poème « auprès de toi » D. Diop)
« Et le docker de Suez et le coolie d’Hanoi ».
(cf. le poème « vagues » D. Diop)
« Et piaillant et susurrant et plastronnant dans les salons de la Condescendance ».
(cf. le poème « le renégat »)
« Toujours par parallélisme nous relevons chez HIKMET :
Et minuscules.
Et astucieux
Et orgueilleux ».
(cf. le poème « guerre d’indépendance »)
Comme nous venons de le montrer, l’influence Nazim HIKMET dans la poésie de David Diop s’exerce aussi bien au plan thématique que stylistique. C’est avant toute une poésiede révolte, de combat. Et ces deux poètes révolutionnaires ne sacrifient ni le combat à la poésie ni la poésie au combat.
CONCLUSION
Tout n’a pas été dit. Mais que dire de plus à propos des « Coups de pilon » ? Théophile Obenga[8], Hamidou Dia[9], Amadou Aly Dieng[10], Amadou Moustapha Wade[11], Oumar Sankharé[12], Sana Camara[13]– et tant d’autres – tous y sont passés. Ces sommités ont lu David Diop dans le texte, d’aucuns même ont pratiqué l’homme. Ils ont retourné le texte dans tous les sens, l’ont passé au peigne fin et en ont bêché chaque parcelle de poésie. Qu’aurions-nous à dire tant d’années plus tard ? Nous dont le texte« Afrique »fut l’un des premiers poèmes qu’il nous a été donné de rencontrer, mémoriser et déclamer les yeux fermés. Nous qui, par ce poème, avons gouté dans notre initiation littéraire aux épices aigres-douces de la poésie africaine. Vraisemblablement rien que ne retiendrait la postérité. Car ce qui est écrit dans les annales et qui y restera, c’est la consécration de l’une des œuvres majeures dans l’histoire de la poésie africaine. Et tant mieux ! Par ailleurs, en dehors de notre fascination justifiée envers le recueil, notre anonymat ne devrait-il pas nous galvanisé à titiller l’intouchable ? Décidément, la voix de la sagesse n’aura pas eu raison de nous !
Sur ce, dans « Coups de pilon« , David Diop expérimente l’idéal d’une poétique à l’africaine. En effet, il avait couché son Art poétique dans sa Contribution au débat sur la poésie nationale sous-titré Autour des conditions d’une poésie nationale chez les peuples noirs. Le propos est le suivant : le poète africain qui ne peut traduire le chant profond de son pays car écrivant dans une autre langue, celle de l’oppresseur doit être mis en garde. Les deux avatars sont connus : l’assimilation par une imitation stylistique des« modes littéraires occidentales » et « l’africanisme facile » par le gonflement des poèmes en termes empruntés à la langue natale sur fond de « faire revivre les grands mythes africains à coups de tamtams abusifs et de mystères tropicaux ».
Sur le premier point, nous retenons de sa part un propos plus nuancé : « La forme n’est que là pour servir l’idée ». Sur le second point, nous estimons que le recours aux expressions de la langue vernaculaire et le récit des mythes participent à recouvrer la tradition griotte de la poésie africaine originelle. En réalité, il est de ces termes qui ne prennent pas part au jeu d’équivalence dans le processus de traduction tant ils sont spécifiquement ancrés dans la culture d’un peuple plutôt que celle d’un autre. Tant le poète s’efforcera de les traduire, tant il en restera une substance irréductible. L’acte poétique étant sinon intimiste, du moins intime, un devoir de sincérité nous semble exhorter le poète à utiliser le mot juste a fortiori lorsque celui-ci est à cueillir dans son patrimoine linguistique primaire. D’ailleurs, il faut relever que le poète n’en démord pas au point de ne laisser glisser dans ses « Coups de pilon » l’ombre d’un mot wolof ou d’un terme du dialecte des Mandessi Bell dont il est l’un des descendants par sa mère camerounaise. Quid des« mythes africains à coups de tamtam et de mystères tropicaux » ? Encore une fois, nous estimons que la contestation de la violence coloniale va de pair avec la réhabilitation de l’identité nègre. Le premier est craché à la figure de la nation conquérante. Le second est une mémoire endormie à rallumer par une restauration de l’imaginaire africain non pas pour les beaux yeux de« la bourgeoisie colonialiste »– si tant est qu’elle y nourrisse ses fantasmes paternalistes – mais pour une vision endogène sur l’avenir. L’émancipation des peuples noirs se place au-dessus des considérations d’ordre réactionnaire et devrait se déployer à partir un paradigme qui est nôtre. Nous pouvons ainsi noter un bémol en ce sens que dans « Coups de pilon » certes les référentiels culturels ne manquent pas (Soundiata, Chaka, Ghana, Tombouctouetc) néanmoins ils sont peu allusifs. Par exemple, à quoi renvoie Tombouctou ou encore Ghana pour un jeune africain de la période coloniale ou postcoloniale? Pas forcément à leur dimension mythico-historique que pourtant David entend faire valoir sans en distiller davantage l’imaginaire.
D’une part, il est surprenant de découvrir le poème intitulé « Tamtam » dans lequel on ne compte pas moins de dix fois l’anaphore « tamtam ». Abusif, non ? De l’autre, on comprend mieux que cette composition appartienne à la partie des Poèmes retrouvés (Que nous avions tantôt rattaché à la période de gestation de la poésie de David Diop) de même que « Déclaration d’amour » rimé de fil en aiguille et « Rose rouge » qui frise la régularité de la métrique occidentale. L’on peut se demander alors si l’éditeur ne devait-il pas honorer l’idéal poétique qui a fini par prévaloir chez l’auteur ? Ou encore la fidélité véritable à l’idéal du poète réside-t-elle dans le mouvement de sa poésie ?
De ce fait, l’on peut retenir que la plume de David Diop est un glaive qu’il ne daigne pas dégainer contre les considérations dédaigneuses à l’encontre de l’Afrique, son Afrique. Réceptacle d’influences au sein et en dehors de la Négritude, David Diop est une voix tout au moins singulière. Il n’a jamais écrit pour le plaisir d’écrire mais il a pris plaisir à écrire pour la libération de son peuple. La différence, elle est là.
[1]Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache aux Presses Universitaires de France. 1948
[2]Terme sarcastique que nous reprenons de Birago Diop qui, dans une interview réalisée par Paulin Soumanou VIEYRA, PSV FILMS 1982, l’emploie en direction de SENGHOR, CÉSAIRE et DAMAS.
[3]Conférence donné à l’espace Fagueyele 31 Octobre 2002 avec un hommage de Cheikh Diop à David Diop et Senghor en collaboration avec le Professeur Alioune BadaraDiané.
[4] SANKHARE et DIANÉ, Coups de Pilon de David Diop : Poétique d’une œuvre politique,
[5]SANKHARÉ et DIANÉ, Coups de Pilon de David Diop : Poétique d’une œuvre politique
[6]SANKHARÉ et DIANÉ, Coups de Pilon de David Diop : Poétique d’une œuvre politique,
[7]SANKHARÉ et DIANÉ, Coups de Pilon de David Diop : Poétique d’une œuvre politique
[8]OBENGA (Théophile), «Hommage à David Diop», Présence africaine, Nouvelle série, 1966, n°57, pages 49-52 ;
[9]DIA (Hamidou), Poésie africaine et engagement, en hommage à David Diop, Paris, L’Harmattan, 2009, 154 pages, spéc pages 97-136 ;
[10]DIENG (Amady Aly), «Hommage à David DIOP», in Les étudiants africains et la littérature négro-africaine d’expression française, Michigan State University, African Books, 2009, 166 pages, spéc pages 117 à 126 ;
[11]WADE (Amadou, Moustapha), «Autour d’une poésie nationale», Présence africaine, n°165-166, pages 247-249 ;
[12]SANKHARE et DIANÉ, Coups de Pilon de David Diop : Poétique d’une œuvre politique,
[13]CAMARA (Sana), La poésie sénégalaise d’expression française, 1945-1982, Paris, L’Harmattan, 2011, 201 pages, spéc pages 119-214 ;