« Femmes » : un univers hétérogène d’âmes éprouvées par la vie, tenant difficilement les ficelles de l’espoir qui sourit par ici ou s’estompe par là. »
En guise d’introduction
« Femmes » ! Exclamation énigmatique assez curieuse en guise de titre sur la page de garde d’un roman. A priori,dans le contexte des réalités sociétales, on penserait spontanément à tout ce dont les femmes sont capables, tout ce dont l’on les accuse habituellement et qui constitue en règle générale, leur côté négatif. Cependant, sur les lignes de ce roman simple, thématique et direct, Okri Pascal Tossou peint le quotidien lacéré de femmes prises entre un passé litigieux, un présent durement assumé vers un lendemain de rachat. L’auteur tentera, dans un élargissement pimenté, de lever un coin de voile sur l’abstraite réalité de jeunes africains diplômés sans emploi et contraints de remettre en cause la nécessité des longues études. Il stigmatise l’indifférence coupable de l’Etat, pourtant premier pourvoyeur de l’emploi et qui entend faire de cette jeunesse le fer de lance du développement tant espéré. « Femmes« , c’est un univers hétérogène d’âmes éprouvées par la vie, tenant difficilement les ficelles de l’espoir qui sourit par ici ou s’estompe par là.
I- De quoi s’agit-il dans ce livre?
La couverture de l’œuvre, tout aussi curieusement que le titre, laisse voir distinctement une jeune fille, studieusement concentrée sur un cahier, à certainement apprendre un cours, dans le calme de l’espérance. Une image qui évoque une histoire scolaire où les « les femmes » seraient en ligne de mire dans les traditionnels problèmes de la déscolarisation, du harcèlement sexuel, des guerres féminines ou encore des rares percées en études. Pourtant il n’en est rien de tout cela. « Femmes » de Okri TOSSOU, lève le voile sur la pathétique quotidien de quelques femmes africaines laissées pour compte et abandonnées dans la houle des aléas de la vie ; contraintes de se saigner pour joindre les deux bouts. Des femmes qui n’ont pas abdiqué au premier obstacle. Des femmes qui ont dû vaincre la vie dans son propre lit avilissant. Des femmes qui, au moyen de ressources limitées et presque insignifiantes, ont remonté la pente vers une autre lumière dont elles se sont rendues fières.
II- Quels sont les problèmes abordés par l’auteur dans son livre?
A- Le viol
Combien sont-elles de par le monde, ces filles et femmes qui sont victimes de cette barbarie, à se voir souiller de force leur jardin secret ! A se faire souiller le corps par un abrupte écervelé qui, d’instinct primitif, brise leur joie, leur fierté, leur féminité. Puis installe dans leurs esprits la peine, la peur, le ressentiment, la haine et la perte de confiance. Des séquelles qui restent à vie et qui tourbillonnent dans la tête sans cesse et installent cette muraille infranchissables entre elles et la vie. Cette épreuve, Tayé l’a passée par deux fois sur ses propres installations, comme si son bourreau avait témoigné d’elle auprès de viles créatures du même acabit que lui. Elle y a perdu la douceur de son corps, puis son amour. Elle, l’orpheline condamnée à s’en sortir seule, sans soutien et sans famille. Elle n’a pas attendu qu’un quelconque sauveur s’invite dans sa vie pour l’épauler. De cœur et de courage, elle s’est faite sa propre lutte de revanche. Se démerdant entre deux activités rémunératrices pour quelques pièces de survie. De quoi payer son logis et survivre. Serveuse de bar, elle a appris à vivre et à survivre. Ce job qui expose aux mains et doigts insolents de clients qui fraternisent avec l’alcool. Ça palpe et tripote pour une bouteille de bière. Tayé elle, n’y a pas laissé sa peau, pour avoir subi pire. Elle s’est forgée un mental d’acier pour gérer à son avantage ces caprices involontaires.Elle n’avait plus l’esprit à s’éprendre d’un homme. La plaie de la souillure est encore béante et s’ouvre pour des mots et attention trop poussés.
B- La prostitution
Elle n’est pas toujours la porte de sortie d’âmes qui peinent à garder leurs cuisses fermées. Elle peut être un gagne-pain comme tout autre. Ils pullulent dans les buvettes, ces hommes à la recherche de chair fraîche, qui pour libérer le trop plein d’alcool, qui pour équilibrer l’épanouissement perdu au foyer trop chiant. Tayé y est passée aussi ! La paye du bar ne devrait pas pouvoir assurer toutes ses charges. Et comme ces messieurs en avaient pour ces beaux yeux et sa taille de gazelle, elle ouvrait la porte du derrière pour les accueillir moyennant pourboire. Elle y reconstruisait aussi une sexualité libre et volontaire. Il fallait aussi retourner l’ascenseur à toutes ces bonnes volontés qui la gratifiaient de quelques monnaies d’addition pour baliser le chemin. Et ces jours de repos étaient consacrés à cette entreprise personnelle. En dépit de ses mésaventures, elle aimait se faire désirer mais sait aussi préserver son cœur des promesses sous effets de jouissances.
C- Le chômage
Iretan, c’est l’échantillon le plus représentatif de la jeunesse scolarisée du 21e siècle sous nos cieux. De longues et sérieuses études au pays puis en Occident. Des diplômes obtenus dans des formations ambitieuses et le patriotisme trop innocent qui pousse à rentrer servir sa nation. Et puis vlan, cette autre réalité qui balafre l’espoir : l’Etat qui ne recrute pas et le privé trop limité financièrement pour s’attacher les services d’un diplômé trop gradé. S’en suivent des années de chômage, de galère et d’errements. Des entretiens sans suite et des essais sans lendemain. L’ardeur qui ne s’émousse pas et cet accrochage à la positivité ! Comme il est si facile pour un oisif de se muer en philosophe penseur, à disposer du temps en attendant son jour. Son statut a dû le conduire sur les chemins de Tayé et Ifè. L’une, orpheline abusée et l’autre, orpheline rescapée de guerre, toutes deux victimes des caprices de la vie et engagées dans un combat commun : revivre.
La narration va établir un véritable scénario de destins croisés où nos deux femmes, unies par leur énergie de battantes, vont se tailler un cheval gagnant en militant pour une cause commune. Elles vont fédérer leurs efforts pour venir en aide aux femmes en situations difficiles. Avoir vécu des atrocités et parvenir à s’en sortir, c’est déjà une prouesse. Atteindre l’autre rive puis tendre la main à ceux qui se noient, c’est un acte héroïque. L’entreprise a prospéré et a gagné de la renommée avec aux commandes nos deux femmes battantes.
Tayé s’est refait une santé en amour, Ifè a remonté la pente. Mais le bout du tunnel n’est pas tout proche pour Iretan. Il devra encore attendre dans la persévérance que son heure sonne, qu’il finisse de cuver ses années de chômage.
D- Le statut de la femme en Afrique
La femme généralement perçue sous nos auspices, c’est beaucoup plus la mère, le symbole de foyer. Celle qui reste lorsque que tous les autres sont partis. La soumise qui garde le silence lorsque le mâle tonne. C’est aussi le second et le faible sexe qui a le dernier mot. Celle dont toute l’existence tient à une ficelle de compassion et qui vit de la générosité de l’homme. L’Afrique traditionnelle la relègue carrément derrière le rideau et la représente d’ailleurs comme un trophée de bataille que le chef de famille collectionne à sa guise et en fonction de la générosité de ses avoirs. Et dans ce dernier cas, c’est leur nombre dans l’arène d’un homme qui justifie la grandeur de sa richesse. C’est elle qu’on peut prendre et rejeter selon l’humeur sans tenir compte de son opinion. La chose est tellement plus alarmante dans les pays en situation de guerre qu’elle reste encore celle sur laquelle les protagonistes jettent leur dévolu : le viol comme arme de guerre. Il a donc fallu des siècles d’asservissement, d’avilissement ; puis des siècles de durs et rudes combats, de prise de conscience pour que la femme moderne naisse. Mais toujours est-il que la noblesse par essence de son cœur reste constamment mise à l’épreuve par le sexe dit fort. La femme des temps nouveaux, c’est le Christ réincarné. Celle qui se sacrifie pour les autres, qui se saigne pour assurer la pitance de ses enfants et de son mari.Pour peu qu’elle déroge aux obligations familiales, le vent en emporte le toit. Tant qu’elle demeure et s’affaire, personne ne remarque l’incapacité d’un homme à s’occuper des siens. Ce n’est pas surtout l’héritière, celle sur qui on fonde un espoir qui va féconder. Ce n’est pas non plus celle sur qui on parie pour des ristournes en l’envoyant à l’école. Elle est sensée se battre seule jusqu’au jour où un homme la croise, la prenne et la garde pour lui. C’est aussi la victime préférée de la vie si les parents en arrivaient à se séparer, que chacun, mort ou vivant prend la tangente, laissant les enfants à leur sort. Tayé reste une sorte de cliché de tout ce tableau sombre, délaissé et livrée à la vie, les mains nues dans un combat à mort.
III- Mes impressions
« Femmes », de Okri TOSSOU, même s’il donne l’impression d’un goût d’inachevé avec un point final précipité, il peint cependant une réalité sociale sérieuse avec à la clé des thématiques réelles. Des mots qui accroches, des pauses dans la narration qui conduisent à des observations édifiantes et touchent du doigt le train-train quotidien des communautés d’ici. Les titres flanqués aux chapitres peuvent triturer l’esprit, mais la suite logique avec en amont le tableau du drame reste une originalité de l’écriture.
Des larmes à la renaissance, l’œuvre fait découvrir des personnages qui se ressemblent et se complète par leur force de l’espérance. Prenant la vie telle qu’elle vient, en lui apposant la force du mental pour ne pas sombrer. A priori il aurait pu y avoir désistement ou reconversion dans le vice pour rendre aux événements la monnaie méritée de leur pièce. Mais niet ! On assiste plutôt à un combat perpétuel qui ne relâche pas. Tayé aurais pu cesser de croire, intégrer ces gangs auxquels elle a pensé. Elle aurait pu se faire justice. Irétan, rentré au pays après ses études et durement achoppé au mur du chômage aurait pu abdiquer et se muer dans une autre facette des temps pour gagner sa vie. De candidature en candidature, de dossiers en dossiers, il s’accroche. Ifè, rescapée de guerre, dans laquelle elle a tout perdu, aurait pu finir grabataire dans un centre de réfugiés où recroquevillée en orpheline sous le toit d’un homme à ruminer son échec. Mais elle choisit de remonter la pente. Deux femmes croisées par le destin, méprisées et déshéritées par l’humain et qui se sont battues pour revenir réinvestir dans l’humanité. C’est certainement le genre de scénario inespéré. Mais l’auteur l’a voulu ainsi. Pas que le mal entré dans le monde par la femme en ressort par la femme. Mais que la femme victime du mal, le transforme en bien pour le bonheur des autres.
Pour conclure
Pour cette génération qui se débat dans la succession des ans, les personnages du roman » Femmes » de O. Pascal TOSSOU, apparaissent comme une vitrine qui reflète beaucoup de torrents de vicissitudes qui fabriquent aussi des gens biens. Des âmes généreuses qui acceptent porter vaillamment leur croix pour eux-mêmes et pour les autres. Des âmes qui souffrent en silence et qui convertissent leur haine dans un combat sain, aidé par quelque sourire franc compatissant. Des âmes qui n’ont pas attendu de grandes armes pour changer le coup de l’histoire, pour redonner un sens à la vie, jadis âpre. Puis les martyrs, ce ne sont pas toujours ceux qui tombent sur le champ de bataille, les armes à la main et dont les souvenirs se rapportent aux affrontements sanglants. C’est aussi des humanistes comme ceux-ci.
Davy Corneille AGOSSA