La salle d’attente était immense. Il y avait un grand sofa moelleux de couleur beige qui trônait au milieu du hall. Les murs étaient lambrissés et le parquet ciré brillait tellement qu’on pouvait s’y mirer.

Il y avait accroché ici et là au mur, de beaux et coûteux tableaux. Les lampes étaient des modèles uniques rapportées de Luxembourg.

Yassir avait vraiment des goûts de luxe ; un luxe ostentatoire, un peu trop tape à l’œil pensa Yaëlle. Elle frissonna. Malgré le chauffage et son lourd manteau de laine.

La jeune femme avait très peu dormi depuis quelques jours. Cette dernière semaine elle l’avait passée entre deux avions. Des Emirats Arabes à Luxembourg et de Luxembourg au Canada.

Ben… Elle sourit à la pensée de cet homme… Son mari était resté à Dabi avec leurs deux enfants. Cela faisait plus de deux ans que Yaëlle et sa petite famille vivait à Abou Dabi depuis qu’elle avait été nommée ambassadrice du Bénin près les Emirats arabes unis.

Son mari n’avait pas hésité à tout laisser en plan à Cotonou pour la suivre dans sa nouvelle fonction. Il avait laissé son cabinet d’expert-comptable aux bons soins de son associé et meilleur ami Samuel. La première année, Ben faisait souvent des allées-venues entre le Bénin et les Emirats pour s’assurer que ses affaires fonctionnaient bien. Depuis quelques mois ; il suivait ses affaires depuis Dabi ; essentiellement via internet.

Yaëlle n’avait de cesse de remercier Dieu d’avoir trouvé un mari aussi généreux ; aussi attentionné et aussi fou amoureux d’elle malgré les années qui passaient. Ben et Yaëlle s’étaient connus à l’université et depuis n’ont jamais songé à se séparer. Ils avaient deux charmants garçons.

Ben disait souvent que le dernier ressemblait plus à son grand-père maternel qu’à eux d’eux réunis…. Yaëlle regardait souvent son fils et réalisait à son grande damne que c’était la pure vérité.

Cette sensation de défaillir, de manquer d’air, ces frémissements et les battements effrénés de son cœur avaient commencé depuis l’annonce du décès de Yassir.

Cela faisait une semaine que sa tante l’avait appelée ; un de ses rares appels qui sont toujours porteurs d’une nouvelle, bonne ou mauvaise.

-Allô…Salut Yaëlle.

-Salut « tanti » répondit la jeune dame surprise de cet appel ; nocturne de surcroît.

-Je m’excuse de te déranger aussi tard ma chérie. Ton mari va bien j’espère et mes petits fils ?

-Ils vont tous bien. Qu’y a-t-il ?

-Ton pè…enfin…Yassir est mort tout à l’heure des suites d’un accident de voiture. Le choc était tellement violent qu’il en est mort sur le coup.

-……………………..

-Yaëlle es tu là ?

-Oui « tanti ». Je… C’est…. Je ne… Mais…Pourquoi maintenant ?

-Je ne sais pas chérie. On dira que Dieu en a ainsi décidé…

-…..

-Yaëlle…Mes condoléances.

-Merci…A toi aussi… Qu’est ce qui va se passer maintenant ? demanda la jeune femme après avoir rassemblé ses esprits ;

-Je ne sais pas trop…Je suppose que tu devras rejoindre tes frères au Canada puisqu’il a souhaité être enterré là-bas.

Cela n’étonna guère Yaëlle ; son père avait tout construit en occident. Il avait quitté le Bénin à l’âge de 25ans. Parti en aventurier, il est très tôt devenu un homme d’affaire influent qui a construit un empire digne de ses ambitions. Yassir avait toujours eu le flair pour les affaires ; les affaires qui demandaient de gros risques mais qui rapportaient tout aussi gros. L’or, le cacao, le coton et récemment les armes…

Les armes à feux…Son père avait-il trempé dans une affaire louche qui avait fini par avoir raison de lui ?  Ce commerce était illicite et il le savait mais tant que personne ne savait qu’il investissait dans ce domaine ; il était à l’abri de toute déconvenue. Yaëlle avait découvert cela il y a cinq ans ; lors de son seul et unique séjour dans la maison de son oncle à Luxembourg.

David l’avait appelée personnellement quand il avait su qu’elle était de passage à Luxembourg pour une mission diplomatique. Il voulait la connaître et surtout il voulait s’excuser de l’absence dans sa vie de sa famille paternelle. Yaëlle avait accepté sans vraiment savoir pour quoi mais au bout du rouleau, elle avait compris que son père était derrière tout ça. Il voulait la voir et donc il fallait un intermédiaire qu’elle ne redouterait pas.

La dernière image que Yaëlle avait gardé de Yassir était celle-là : Debout dans le salon de son oncle, la dévisageant presque craintif. Yaëlle l’avait salué du bout des lèvres avant de se tourner vers son oncle comme s’il n’y avait personne d’autres dans la pièce. Puis le soir ; errant dans les couloirs ; elle avait surpris une conversation entre David et Yassir.

-La cargaison vient demain par voix aérienne. Le code de déchargement est « friandise ». Nous devrions envoyer tes hommes sur le quai à 4 heures.

-4heures…Reçu…J’appelle Akim pour les instructions.

Son père avait composé un numéro et sans autres formes de procès avait entamé une conversation avec son interlocuteur invisible :

-Sois demain sur le quai avec tes hommes.  Nom de code « Friandise » Chargement de 5000 BARRETT M82. Soyez vigilants et proactifs. BONNE CHANCE comme d’habitude. Et il raccrocha.

Cela était suffisant pour que Yaëlle comprenne la nature du travail qui se fera demain pour le compte des deux cousins KPODEGBE.

C’était donc ; l’une des sources de toutes cette richesse intarissable. Yaëlle retourna vers sa chambre à pas de loups et s’y enferma jusqu’au petit matin. Jamais ; elle n’en avait parlé à qui que ce soit. Même pas à sa mère. Encore moins à son mari…

 

 Lhys DEGLA

  1. J’apprécie ton style. Du courage et j’ai hâte de lire ta prochaine oeuvre.