Le lendemain, il prit des vermifuges de toutes sortes. Il fit trois jours de diarrhée qui lui fit perdre sa bedaine. Le septième jour, il ravala sa colère et se présenta de nouveau chez El Hadj. Le saint homme le reçut comme un ange d’Allah. Il lui fit ses excuses. Le marabout réitéra ses propos. Sènablo sourit et avoua au marabout s’être déparasité déjà et qu’il n’y avait plus rien dans le ventre. Bien plus, il avait jeûné depuis une semaine. Et puis à y voir de près, il n’y avait rien de suspect dans ses fèces. J’ai même pris des vomitifs. J’ai déjà tout sorti.
Le marabout ne se laissa pas distraire par les propos de Sènablo. Celui-ci, gêné par le silence du guérisseur lui demanda ce qu’il faut pour sa guérison :
– El Hadj, combien dois-je verser pour recouvrer mon « affaire »? Quels sacrifices me prescris-tu? Je suis prêt à tout pourvoir. Je pourrais même te léguer une de mes maisons en Europe, te faire voyager à travers le monde, te rendre heureux. Voilà.
– Vous êtes de ce monde, frère Sénablo. Vous êtes du monde moderne qui, avec ses vues étriquées, ne pense qu’accumulation des biens matériels, et continue d’engendrer une société encline au consumérisme.
– C’est trop peu pour toi, c’est ça hein? Alors j’augmente. Je te fais propriétaire aussi propriétaire de l’une de mes entreprises.
– Vous écoutez-vous parler? Je ne suis pas adepte de la mégalomanie, qui se décline en termes rugueux et nocifs de boulimie de l’avoir, cupidité aveuglante et rapacité ahurissante. Cette course folle et effrénée derrière ces biens qui ne franchissent même pas le seuil de la dernière demeure, s’affiche aux linteaux de nos consciences contemporaines comme les panneaux indiquant les grands dangers dont sont hérissés les différents boulevards du monde actuel. Monde immonde. C’est cela votre monde. Quand vous serez prêt à parler, je vous écouterai.
– Que veulent-ils savoir au juste hein, tes esprits? J’ai parlé, ils ne sont pas satisfaits; je me suis déparasité. Rien. J’ai jeûné, j’ai fondu, et pourtant, ils insistent. S’ils ne veulent pas me guérir, qu’ils me le disent, hein. Pourquoi me faire marcher comme ça? Savaient-ils au moins le nombre de femmes qui me chansonnent à cause de mon appareil en panne je ne sais depuis combien d’années ?
Il se mit à pleurer. « Si tes dieux savaient qui j’étais moi, ils ne me nargueraient pas. Ont-ils une idée de toutes mes conquêtes antérieures? Non je ne crois pas. »
– Continue, dis El Hadj. Vous voilà miraculeusement sur le bon chemin.
– De quoi est-il question? De mes aventures avec les femmes?
– Evidemment
– Les femmes me connaissent autant que je les connais. J’ai eu l’argent très tôt. Héritier et garçon unique. Les filles défilaient chez moi comme les mouches attirées par le miel. Je me souviens aussi avoir conduit dans la brousse de l’adultère la femme de mon cousin Ekanyé, et celle de mon oncle Eblawou. Elle avait des problèmes d’argent et plein de créanciers à ses trousses. Je l’ai aidée avec contrepartie assurée. Quant à la femme de mon cousin Ekanyé, c’était parce que la police la cherchait. Elle n’avait pas encore soldé tout l’argent que des structures de crédit lui avaient alloué pour son commerce. Je l’ai aidée à échapper à la police. Il y a aussi que sa fille aînée avait besoin d’aide pour payer des documents, et on s’y est mis ensemble. Les mineures que j’ai dévoyées dépassent certainement nombre des orteils et des doigts.
– C’est cela, vous y êtes presque. Continuez…
– Les jeunes filles ont besoin d’argent. Si tu leur en donnes, elles seront là pour toi. Pour tout. Or moi j’ai de l’argent. Donc… elles passaient régulièrement. Je sais que des élèves passaient la journée entière avec moi, tandis que leurs parents les croyaient en classe. Je ne sais si je dois parler de ma secrétaire, mais si ça peut faire plaisir aux dieux, je le fais volontiers. Ma première secrétaire est tombée enceinte de moi. Et comme le mari a eu quelques soupçons, quelques jours plus tard, nous assistâmes à ses obsèques. La jeune veuve avait sa consolation en moi, jusqu’au jour où je l’obligeai à avorter. Elle y perdit la vie. Ma deuxième secrétaire était pour moi source d’accroissement de richesse. Je devais mettre ses pieds dans la brousse pour accroître ma cote dans ma corporation. De même que j’ai eu à m’amuser un soir avec une folle qui se promène souvent devant ma société. Je ne vous dis pas combien cela m’a généré. Et puis, si cela peut plaire aux dieux, je vois avouer que la condition pour travailler dans mon entreprise, c’est d’honorer mon lit. Vous imaginez le nombre de femmes embauchées chez moi. Il y a aussi que je joue d’intermédiaire entre certains corps de métiers et des postulants. J’ai un quota de personnes à placer dans l’administration. J’offre souvent mes faveurs aux filles qui réussissent même avant d’avoir composé. Vous savez la condition: honorer mon…
– Oui, je vois, fit El Hadj, les dieux vous écoutent.
– Ceci, si les gens le savent, je suis mort. Dans ma corporation, pour gravir les échelons, il faut faire la chose avec les hommes aussi.
– Et vous avez refusé, n’est-ce pas?
– El Hadj, quand on veut la gloire, on est prêt à tout. Il y a pire. Des animaux aussi ont aussi honoré mon lit. Et c’est ce qui m’a rendu le plus célèbre. Mais depuis ces trois dernières années, je suis comme un lion édenté et dépourvu de ses griffes. Je ne sais qui m’a rendu inoffensif comme le lombric. Ça doit être mes concurrents, n’est-ce pas? En tout cas, j’ai fini.
– Non, pas encore. Le cauris blanc que j’ai lancé est tombé face contre le ciel. De même que l’eau déposée à même le sol dans la calebasse bouillonne encore. Quand vous aurez tout dit, le cauris tombera face contre terre, et l’eau refroidira.
A suivre …
Destin Mahulolo
hummm pour l’argent!!!
il a fait tout cela a cause de l’argent. d’ailleurs c’est bien fait pour lui
Les gens sont prêts à tous pour l’argent. Quelle bassesse!
Intéressant… Je manque de patience pour la suite.. Perdre son âme pour la gloire ..