« Je suis une féministe raisonnable qui connait ses limites, ses faiblesses mais aussi ses forces. En tant que femmes, nous avons la plus douloureuse et  la plus noble tâche: celle d’enfanter et donner la vie. »

 


BL: Bonjour Amina SECK. Veuillez vous présenter s’il vous plaît.

AS: Je suis auteure, scénariste, réalisatrice sénégalaise mais à la base, j’ai fait une formation en Comptabilité, en Marketing et Communication des entreprises. J’ai servi pendant plus de 15 ans dans des entreprises commerciales et de communication mais aujourd’hui je suis une femme qui travaille et évolue dans le monde de la culture, entre la littérature et le cinéma. Mon premier roman est publié en novembre 2017 aux éditions « Diaspora Académie » et s’intitule « Mauvaise pente ».

BL: Le statut de la femme en Afrique subsaharienne a-t-il vraiment évolué selon vous quand on voit que subsistent encore les pesanteurs culturelles?

Quels sont les indices qui vous permettent de l’affirmer?

AS: La femme en Afrique a encore du chemin à faire. Le travail consiste à changer d’abord la mentalité des africains, Homme comme Femme, pour arriver à un résultat positif et ce changement commence dans les foyers. Il faut que les parents arrêtent de maintenir seulement les garçons à l’école et d’abonner les filles aux tâches ménagères et de leur faire croire que la réussite sociale d’une fille c’est le mariage.

Mais il est aussi important de faire une analyse sur le statut de la femme africaine d’avant, pendant et après la colonisation pour se rendre compte d’une amélioration, d’une évolution qui chaque jour monte encore d’une marche. Les femmes africaines deviennent présidentes de la république, chefs d’entreprise, écrivaines. Elles sont devant de la scène, elles s’expriment et s’imposent à la face du monde.

BL: Quelle est, d’après vous, la part qui revient à la femme africaine dans la situation qui lui est faite? Autrement dit, comment les femmes se rendent-elles la pente mauvaise et dangereuse sous nos cieux?

AS: La femme en Afrique est formatée dès le bas âge à être une personne faible, programmée pour le second rôle. Sa part de responsabilité dans cette situation qui lui est faite, c’est l’acceptation, la résignation, le silence, la peur et ce besoin permanent d’être protégée et soutenue par les hommes.

BL: Quand on sait que le taux d’analphabétisme des femmes reste encore élevé sous les tropiques, n’est-ce une utopie, du moins une gageure, que de s’adresser à ces dernières dans une langue qu’elles ne comprennent pas, puisque fondamentalement dans « Mauvaise pente » vous parlez des femmes aux femmes?

AS: « Mauvaise Pente » est un roman écrit par une femme qui raconte l’histoire d’une femme et qui a comme cible les femmes et aussi les hommes.

Pour répondre à la question, je puis vous confesser que plus de la majorité des exemplaires écoulés ont été achetés par des femmes. C’est encourageant. Mais il faut reconnaître que l’analphabétisme constitue l’un des facteurs, je dirais même, le plus important qui fait que la femme africaine n’arrive pas à se trouver un chemin de sortie face à sa condition. C’est plus fréquent dans les zones rurales où, toujours attachée à la tradition, les femmes de chez nous ont du mal à s’émanciper et à s’affirmer. Mais ce n’est pas toujours de leur faute si elles n’ont pas accès à l’éducation quand on sait que parfois au manque de motivation, s’ajoute aussi celui d’infrastructures ou de moyens pour envoyer ou maintenir les filles a l’école. Je suis consciente de ces pesanteurs sociales. C’est pourquoi, comme j’ai un message à passer, je joins à la littérature le cinéma. C’est ainsi qu’est né mon intérêt de me lancer dans le cinéma et faire des films qui parlent des femmes aux femmes.

BL: Dans ce cas,  pourquoi n’avoir pas écrit plutôt en Wolof, par exemple ou une autre langue du Sénégal?

AS: (Rires) Je ne peux pas écrire en wolof et je le lis difficilement.

BL: Ecrire, pour une femme en Afrique, de quoi cela relève principalement, pour vous? De la nécessité ou de la passion?

AS: La passion tout d’abord. L’écriture pour moi est une sorte de liberté, mon parloir. Un engagement personnel ou citoyen pour participer au changement. Jusqu’à présent, je n’écris que sur les femmes, c’est ma façon de lutter contre les violences faites au genre. Une femme qui écrit en Afrique est une femme qui s’affirme à travers ses écrits.

BL: N’est-ce pas s’engager sur une pente glissante, que de quitter « son pain » pour la plume et la planche?

AS: Il faut reconnaitre que ce n’est pas chose facile mais c’est une décision qui n’est pas prise sur un coup de tête. J’étouffais dans les bureaux pendant toutes ces années, or je suis une femme de terrain. J’aime aller à la rencontre d’autres personnes pour échanger, apprendre, rire et me sentir libre. Nous avons tous un chemin à suivre, un destin à vivre. Et la petite histoire c’est que le monde artistique me fascine, j’adore être avec les artistes, ils sont créatifs, beaux, libres et ils sourient à la vie. Heureux celui qui ose souffrir pour se refaire.

BL: Votre premier roman s’intitule « Mauvaise pente ». Qu’est-ce qui en a motivé l’écriture?

AS: « Mauvaise Pente » est le cinquième à être écrit et le premier à être publié.

Au début je voulais juste mettre l’accent sur la solitude des femmes. Et ce roman connu aujourd’hui sous le vocable de « Mauvaise Pente »  s’intitulait « Seules » mais après l’histoire d’Alimatou Ly s’est imposée à moi et je me suis laissée aller sur cette pente.

BL: Pourquoi avoir commencé les publications par « Mauvaise pente »?

AS:J’étais très sensible à cette histoire et les autres manuscrits avaient vraiment besoin de plus de recherches pour être parfaits.

BL: Parlez-nous un peu du processus et de toutes les péripéties qui ont conduit à l’édition et à la publication de votre premier roman.

AS: Mon premier souci c’était l’argent pour supporter le coût de publication. Alors je me suis mise à envoyer des demandes de subvention dont je n’ai reçu aucune réponse, même pas de ma commune d’arrondissement (rires). Ce n’était peut-être pas important pour eux mais pour moi c’était une nécessité. Je m’accrochais à ce livre, à sa publication, je ne lâchais pas, je ne voulais pas abandonner. Je rencontre mon éditeur une année après avoir terminé le manuscrit qui accepte de m’éditer et le roman voit le jour encore une année après, ce qui fait deux ans.

BL: On entend dire que Gustave Flaubert aurait affirmé : « Madame Bovary, c’est moi. ». Amina Seck pourrait-elle confesser : « Alimatou Ly, c’est moi »?

AS: Alimatou Ly ce n’est pas Amina Seck.

BL: Quand on se confie à son journal intime et qu’à la fin on le publie, n’est-ce pas se trahir soi-même ou divulguer un secret qu’on aurait bien voulu garder pour soi?

AS: Certainement, mais pour le cas d’Alimatou ce n’était point un secret, tout ce qu’elle a écrit dans son journal était des choses qu’elle a vécu au sein de sa propre famille. Parler à son journal était une façon de s’exorciser, d’éteindre le feu qui consumait son intérieur et d’entendre sa propre voix pour ne pas disparaitre dans son malheur.

BL: A la fin, aurait-on tort de dire qu’Alimatou Ly n’a récolté que ce qu’elle a semé, quand on la voit coucher, à 18 ans, avec le copain de sa meilleure amie?

AS: Elle a eu tort, oui, mais, loin de défendre mon héroïne envers qui j’ai beaucoup de compassion (rires), 18 ans, c’est un âge méchant ; l’adolescence est une période méchante, menteuse, égoïste et hypocrite qui te fait croire que tout ce que tu fais est mieux que tout ce que tu ne fais pas. Sa faute, c’est qu’elle a eu confiance au désir, à la passion, à la curiosité et à l’amour.

BL: Aurait-elle tort de croire à l’amour et d’y mettre toute sa confiance?

AS: Non. Nous croyons tous au premier Amour jusqu’à ce qu’il devienne notre pire cauchemar.

BL: C’est-à-dire?…

AS: Alimatou est comme toutes ces jeunes filles inconscientes livrées à elles-mêmes dans leur besoin et recherche d’amour et de compassion qu’elles ne reçoivent pas toujours à côté d’une mère dure et insensible.

BL: Vous peignez le portrait d’un personnage sans religion. Que voulez-vous traduire concrètement?

AS: Concrètement, nous n’avons pas de religion à la naissance. On devient chrétien, musulman, juif ou autres en suivant la religion de nos parents.

BL: Être célibataire jusqu’à 46 ans, comment peut-on se sentir? A cet âge, peut-on encore remonter la pente?

AS: On peut toujours remonter la pente, quel que soit son statut, son âge ou son environnement. Il suffit juste de se battre et de vouloir revoir la lumière.

BL: Quelle est la ligne de démarcation entre féminisme et féminité? Pourquoi selon vous, certaines personnes sont réticentes face au féminisme?

AS: Selon moi, le féminisme est la continuité de la féminité. Il est clair qu’avant d’être féministes, nous sommes d’abord des femmes qui s’acceptent. Nous n’avons pas besoin de ressembler à autre chose pour réclamer des droits et lutter pour l’égalité ou contre la violence.

Il n’y a peut-être pas de réticence mais plutôt une incompréhension. Elle est très répandue l’habitude de voir les femmes au second plan toutes silencieuses et soumises. Et voir du coup des femmes qui osent parler et réclamer des droits, cela peut laisser des hommes pantois ou stupéfaits. Mais, on n’a pas le choix, on ne peut plus se laisser faire, on ne peut plus continuer de vivre en fermant les yeux sur certaines injustices. Les temps ont changé et tout changement, en Afrique ou partout ailleurs, fait peur.

BL: Alors, de quel féminisme vous revendiquez-vous? Celui qui pense que la garde de l’enfant, la cuisine et le ménage doivent revenir à l’homme ou celui qui croit que la parité dans l’administration, c’est 50% de femmes et 50% d’hommes, faisant fi des compétences et des aptitudes? Quel est votre féminisme en réalité?

AS: A l’âge de cinq ans déjà, je gardais et gérais mes petits cousins et plus tard avant mes dix ans et malgré mon statut d’écolière, j’avais rejoint la cuisine et savais faire toutes les tâches ménagères. C’est quelque chose qu’on ne perd jamais, donc, je n’ai aucun problème pour ça. Ce n’est un secret pour personne qu’une femme qui ne s’occupe pas bien de son foyer l’expose à la dislocation.

Mon féminisme prône le maintien des filles à l’école, qu’elles aient accès à l’éducation, à la formation. Qu’elles puissent être autonomes et libres professionnellement, qu’elles aient le droit à la parole et arrivent au sommet par leurs compétences.

Je suis une féministe raisonnable qui connait ses limites, ses faiblesses mais aussi ses forces. En tant que femmes, nous avons la plus douloureuse et noble tâche, celle d’enfanter et donner la vie. A part diriger une prière quelles que soient nos religions respectives, nous pouvons être devant et gérer comme les hommes sinon mieux.

BL: Incarner deux personnages en soi n’est pas aisé. Vous êtes à la fois écrivaine et cinéaste. Comment modérez-vous en vous les ardeurs de l’un et de l’autre? Quelles relations ces deux facettes entretiennent-elles et quelles sont leurs influences sur votre plume?

AS: Tous les deux débutent par l’inspiration et l’écriture. Le cinéma est aussi une passion pour moi depuis mon enfance comme la littérature. L’une n’empêche pas l’autre bien que différentes parce que le scenario est beaucoup plus difficile que le roman. C’est plutôt compliqué quand je dois jouer ou réaliser. Mais, je m’organise en fonction de mes priorités, et pour dire vrai, il y a plus d’actions et d’activités dans le cinéma (ateliers, festivals, tournages et rencontres) contrairement à la littérature.

BL: Parlez-nous de vos projets en matière de littérature.

AS: « Mauvaise Pente » est toujours en promotion après un an. Je participe aux salons et fais une tournée dans les lycées du pays. Un deuxième roman est en chantier et sera disponible peut-être début 2020, incha Allah.

BL: Votre mot de fin

AS: Mon mot de la fin, c’est un cri de cœur à l’endroit des jeunes filles .  » Prenez votre vie en main. Le mariage seul ne constitue pas une réussite sociale. Prenez le temps de vous aimer, de vous connaitre, de vous comprendre. Étudier, se former, travailler, se surpasser, c’est beaucoup plus important et payant que de s’accrocher à la bourse d’un homme.  »

Je tiens aussi à remercier Biscottes littéraires, ainsi que ma famille, mes amis et toutes les personnes qui m’ont soutenue et m’ont accompagnée dans la réalisation de ce roman. Un grand merci à mon éditeur, mon ami et oncle, Mr Mamadou Kandji, qui dès le début a cru en moi. Merci à tous les lecteurs et à tous ceux qui se procureront mon livre. Que Dieu vous bénisse et vous donne la santé et la joie de toujours soutenir les auteurs.

 

© www.biscotteslitteraires.com, 07 janvier 2019

  1. Je suis sidéré par votre façon de penser la femme, Amina ! Cela me fait confirmer l’idée que j’ai sur certaines femmes comme qui, au lieu de s’attarder sur un concept de féminisme carré, vont au devant des scènes avec ce qu’elles savent faire et ce qu’elles ont comme passion. Sans le dire, vous êtes une Femme qui sait qu’elle ne doit pas perdre son temps à se comparer à l’homme mais doit faire ce que l’homme fait et pourquoi pas le dépasser. Sur le gril de lire Mauvaise Pente. Envie de plus vous lire également. Belle interview Bravo pour la suite.

    • Merci à vous, cher Y. Fabroni pour votre beau commentaire. « Le féminisme carré », voilà un concept à creuser davantage.

  2. Bien dit! Du courage, vous avez choisi une voie, allez-y, la réussite est bout de l’effort. Que cette pente douce vers la liberté enivrante du féminisme, ne vous enlève votre féminité.

  3. Bonjour,
    Les femmes portent le monde avec respect et dignité.
    Merci pour votre contribution Oboé
    Très bonne journée