BL: Bonjour monsieur Edmond Yetongnon. Bienvenue sur cet espace littéraire où nous lisons et découvrons des écrivains béninois et africains en l’occurrence. Présentez-vous à nos lecteurs.

EY: Je m’appelle Edmond YETONGNON et suis né le 26 décembre 1990 à Ologo dans la commune d’Adja-Ouèrè. Je suis Socio-Anthropologue et Agro-Economiste de formation. Je poursuis actuellement mes études en master professionnel ès Économie, Socio-anthropologie et Communication pour le développement rural à la Faculté des Sciences Agronomiques (FSA).

BL: Vous êtes le Grand Prix Venus d’ébène 2019, un prix littéraire qui consacre la meilleure qualité de manuscrit de roman. Vous attendiez-vous à cette consécration ? Quel était votre état d’âme à l’annonce des résultats ?

EY : Toute ma gratitude à l’endroit de Madame Carmen Toudonou, initiatrice du prix. Je ne m’y attendais du tout pas. J’avoue que je n’avais pas participé à ce concours dans l’intention de remporter forcement le prix. J’ai voulu essayer, je voulais juste faire évaluer mon texte. Du coup c’était une grande surprise pour moi.

 J’étais en classe avec mes collègues quand cette bonne nouvelle m’est parvenue. Je n’avais pas pu contenir cet océan de joie qui m’avait envahi. Alors, j’ai sauté et m’étais mis à crier « Waouh !!! ». J’étais un peu chanceux. Puisqu’à entendre les membres du jury, tous les textes en compétition étaient très bonne facture. Merci aux membres du jury d’avoir porté leur choix sur mon texte.

BL: Le roman qui vous fait connaitre au public béninois est « La rose empestée« . Comment vous est venue cette inspiration ?

EY : Ah ! Merci pour cette belle question Madame. Depuis le collège, j’étais très passionné pour la littérature africaine, je consacrais la grande partie de mes heures libres à la lecture des romans surtout. C’était l’unique moyen pour moi de m’évader de temps à autre. Cette passion m’a suivi jusqu’à l’université où j’appris à connaître un nouveau monde.

Le milieu rural qui m’a vu grandir regorge beaucoup de culture et valeurs à partager, mais aussi des tares à dénoncer. Mon monde urbain actuel offre chaque jour des spectacles désolants sur lesquels il est difficile de se taire, au risque d’en être complice plus tard. C’est alors qu’écrire m’apparut comme la seule solution pour donner ma désapprobation par rapport à certains phénomènes de notre société : la violence aux femmes, la dépravation des mœurs, l’influence des réseaux sociaux sur les relations humaines, la perte de nos valeurs…  

En 2017, poussé par l’envie de dénoncer les violences liées au genre, je décidai d’écrire un roman. Elle fut, au fil du temps, requinquée par une ardente envie faire connaître cette riche culture qui a bercé mon enfance et une partie de ma jeunesse. Dans le pessimisme et le doute, mon roman commence petitement à prendre corps. Certes, j’avais une histoire à raconter. J’ai une source intarissable d’inspiration qu’est ma culture. Mais, comment aller jusqu’au bout de ce rêve de passer du titre de lecteur à celui d’auteur ? Je n’en savais presque rien.

 « Non, ce ne serait pas possible. Je suis un scientifique et n’ai jamais suivi une formation en techniques d’écriture ». Des doutes à ne point finir, tant de prétextes pour me voir abandonner de temps en temps ce projet.

Je vécus dans ce doute jusqu’au jour où je me souvins de certains célèbres auteurs comme Camara Laye, qui malgré le caractère scientifique de leur formation académique, ont su briller par leurs œuvres littéraires.

« Si lui ingénieur en mécanique a pu écrire un tel ouvrage, alors je le peux aussi », m’entendis-je murmurer. Ces mots qui ne cessaient de retentir dans ma tête me firent prendre de l’assurance au fil du temps améliorant au fur et à mesure la qualité du mon tapuscrit. C’est ainsi qu’après deux ans environ, je réussis à donner vie à mon rêve à travers le roman que j’ai intitulé : La rose empestée, et pour lequel je suis aujourd’hui sacré Grand Prix Vénus d’Ebène 2019.  L’histoire racontée et les thématiques abordées sont inspirées du quotidien des femmes victimes de la violence, de la confrontation du milieu rural qui m’a vu naître et grandir avec mon Nouveau Monde qu’est Cotonou.  Ce roman est un fruit de mes réflexions sur les maux qui gangrènent notre société, mais aussi de l’imagination.

BL: Avez-vous toujours écrit durant votre parcours ou ce fût une tentative spontanée ?

EY : Beaucoup plus une tentative spontanée. Certes j’y pensais depuis ma première année d’université, mais la décision d’écrire n’est prise qu’en 2017 où j’ai commencé par accoucher les premiers mots de mon ouvrage.

BL: Ce roman qui décrit un amour profond mais aussi les revers des secrets mal gardés dans un couple est-il le miroir actuel de notre société ?

EY : Je crois que oui. Ce roman peint les tares de notre société actuelle. Et pour vous en convaincre, il suffit de voir ce qui se passe autour. Aujourd’hui, c’est très facile pour des couples amoureux de basculer dans la haine comme s’ils ne s’étaient jamais aimés. Voyez-vous comment divorcer ou se séparer devient plus faciles de nos jours aux jeunes couples qui jadis s’aimaient à la « Roméo et Juliette ». Combien de familles monoparentales, des femmes célibataires avec un ou deux enfants sous les bras… ne compte pas notre société actuelle. Pourtant, ces dernières ont vécu un amour passionnant dans un passé récent.

BL: Pourquoi avoir voulu faire de Fred l’un des personnages principaux de ce roman, un homme violent et meurtrier suite à sa découverte du passé de sa femme?

EY : C’était pour présenter l’ampleur du phénomène (la violence faite aux femmes). La semaine passée j’étais reçu sur une chaîne où, peut-être que j’exagère un peu, j’ai montré comment un mari est capable de battre pendant des heures son épouse juste parce que la sauce que celle-ci lui aurait servi est trop salée ou cubée. C’est une triste réalité que les hommes comme Fred existent en grand nombre dans nos sociétés. Je voulais montrer jusqu’où l’intolérance et la colère pourront conduire une personne.

BL: Quand on lit des scènes de violence extrême narrées dans ce roman on a du mal à croire que vous n’ayez pas été au moins spectateur de ce drame. Est-ce le cas? Ce roman est-il un travail psychologique effectué sur l’être humain pour en extraire les pires maux?

EY : A plusieurs reprises, j’ai vu quelqu’un battre sa femme, j’ai entendu quelqu’un proférer sa femme d’injures, j’ai appris qu’un mari a violenté sa femme parce que celle-ci lui aurait refusé le lit… A un moment donné je me suis trouvé incapable de rester indifférent à cela. C’est donc plutôt un travail pour faire prendre conscience à l’homme les conséquences de ses actes sur lui-même et sur son entourage.

BL: Dans  » Un piège sans fin » d’Olympe Bhêly-Quenum, L’amour d’Ahouna pour Anatou n’a pas pu éviter le mal dans lequel il s’est engouffré. Fred dans votre roman « La rose empestée » n’en fait pas moins. Comment décrirez-vous l’amour ?

EY : L’amour pour moi est la capacité des partenaires à surmonter les difficultés qui surgissent dans le couple ou la relation. C’est l’acceptation de la différence de l’autre avec qui on compte cheminer, le fruit de sacrifice mutuel et de compromis de tous les jours. Aimer donc c’est apprendre à voir au-delà des défauts de sa ou son partenaire pour ne contempler désormais que ses qualités.

BL: A lire le livre, on réalise qu’il n’y a aucune place pour le pardon. L’amour sans pardon en est-il vraiment un?

EY : Il est évident que l’amour sans pardon est un amour sans lendemain. Il vacillera devant la moindre épreuve ; face à certaines situations de la vie il ne tardera pas à se métamorphoser en haine précipitant ces sujets soit, à la séparation ou à la violence, soit l’un des partenaires à la tombe.

BL: La découverte du passé peu glorieux de l’autre via internet bouleverse la vie de tout un couple. Pensez-vous qu’on doive juger l’autre sur son passé surtout qu’on ignore les motifs qui ont caractérisé tel ou tel autre acte à un moment donné?

EY : Dans un couple chacun a son jardin secret qu’il n’est pas nécessaire à mon avis d’aller fouiller. Et si un jour le passé sombre de l’un se révèle au grand jour, il n’est pas question de chercher le fautif. Cela ne fera qu’aggraver la situation. En ce moment, la voie la mieux indiquée est celle du dialogue. Il faut beaucoup échanger avec son ou sa partenaire et vite trouver un compromis. Si cette voie nous paraît parfois difficile à emprunter, alors optons pour le silence momentané, un silence de prière et de méditation, jusqu’à ce que le calme revienne.

BL: La rose empestée, c’est aussi un clin d’œil à l’usage des réseaux sociaux. Quel message concret vouliez-vous faire passer ?

EY: Mon message est d’abord de faire prendre conscience aux jeunes qui font l’usage abusif des réseaux sociaux. On y publie tout ce qui passe par la tête. Certaines personnes vont jusqu’à publier les images de leur nudité sur ces réseaux. Cela pourra les rattraper demain et s’avérer compromettant pour leur avenir. Ensuite, je voulais attirer l’attention des jeunes couples sur les effets néfastes des réseaux sociaux sur leur couple. Un simple message Whatsapp peut conduire au divorce ou à la violence.

BL: Fred et Paméla, symbole des jeunes au sang chaud qui peinent à construire une vie de couple malgré les différences et les différends ?

EY : Exactement. Et Dieu seul sait combien sont ces jeunes couples qui, à l’instant même où je vous parle, passent leur quotidien à se disputer, à se violenter, se violer… faute de dialogue sincère. Les enfants en gardent le souvenir, sinon les séquelles pour toujours.

BL: On note en vous lisant un souffle régulier et alerte dans l’écriture. Selon vous, est-ce important pour écrire un roman?

EY: Oh non, pas du tout. Chaque auteur avec son style. Je n’ai pas encore un style propre. J’essaie pour l’instant de glaner ici et là dans les styles des auteurs que j’ai eu à lire et qui m’ont plu. Mais avec le temps je compte en créer aussi un et qui sera ma marque de fabrique. J’inventerai une manière propre d’écrire, par laquelle mon lectorat me reconnaitra sans forcément avoir besoin d’aller lire d’abord mon nom sur les couvertures.

BL: Quels sont les écrivains que vous lisez et qui vous inspirent le plus?

EY : Je vais vous en citer quelques-uns. Il y a Alain Mabamkou, Florent Couao-Zotti, Adelaïde Fassinou, Abdel Hakim Laleye, Sèna Agbofoun, Olympe Bhêly-Quénum…

BL: Votre mot de fin

EY : Mon mot de fin, c’est de vous dire merci pour tout ce que vous faites pour l’émergence de la jeune plume béninoise. J’invite ensuite vos lecteurs à aller à la découverte de « La rose empestée », un roman très édifiant. Je finis en souhaitant longue vie au blog « Biscottes littéraires ».

Merci !