« Je me suis résolu à ceci, que je ne veux être ni Hugo, ni Molière, ni Beaumarchais, ni Pliya, ni Apollinaire AGBAZAHOU, ni Charbel NOUTAÏ. Je veux être aussi grand et aussi petit que mon nom Noudjiwou Carlos. »
BL:Bonjour Monsieur Carlos ALOSSOU. Tout le plaisir est pour nous de vous recevoir sur notre blog pour cette interview. Veuillez vous présenter, s’il vous plait.
CA: Avant toute présentation, j’exprime ma profonde joie de me rendre disponible à cette interview. Tout l’honneur est pour moi. Je suis Noudjiwou Carlos ALLOSSOU. Etudiant au Grand Séminaire Saint Paul de Djimè. J’ai débuté ma formation depuis le Petit Séminaire Saint Joseph du Lac d’Adjatokpa et j’ai parcouru les séminaires Notre Dame de Fatima (où j’ai eu mon bac) et le Séminaire Propédeutique Saint Joseph de Missérété où j’ai fait une année de spiritualité. Actuellement, je suis en science profane comme on aime bien la nommer, la philosophie, où je prépare mon mémoire de fin de cycle.
BL: Depuis plus de dix ans, vous êtes au séminaire. Et, à ce que nous croyons, on ne vous y apprend que l’art de devenir prêtre. Comment se fait-il alors que vous vous frayiez ce chemin vers la littérature ?
CA: Je voudrais d’abord exprimer un point de vue différent par rapport à cette vue générale selon laquelle le séminaire est simplement le lieu d’une haute spiritualité où on apprend qu’à être religieux, liturgiste et prêtre. J’avoue qu’il est bien davantage. Il est lieu de la haute culture générale où on peut toucher à tout sans jamais se détourner de l’objectif. J’en veux pour preuve la riche bibliothèque des séminaires que j’ai parcourus jusque-là et qui conservent, en matière de littérature, les témoins et les œuvres des figures de proue et même celles des figures peu connues de toutes les époques de la littérature. Ainsi, dans un cadre comme celui-là, je n’ai eu que le temps de m’y abreuver à tire-larigot. Il est vrai que tous ceux qui ont fait le séminaire ne sont pas nécessairement portés vers la littérature et en cela, il y a une question de passion. En vrai, mes premières amours pour le monde littéraire me sont venues de la prestance linguistique de mon feu papa ALLOSSOU Guillaume. Je l’ai souvent admiré tout jeune. Il était directeur d’école et en même temps mon maitre de CM2. Les rudiments que j’ai reçus de lui, ajoutés au cadre que m’a offert le séminaire, ont fleuri et m’ont porté vers le monde prisé et très respecté de la littérature.
BL: Ceci relance bien évidemment la question de ce que représente la littérature pour vous et comment vous y êtes arrivé…
CA: La littérature représente pour moi, une partie de moi-même. En effet, je ne me serais mieux senti nulle part ailleurs que dans ce monde d’orateurs et d’écrivains. Il ne s’agit pas de verbiage. Il s’agit d’être éclaireur par recul du monde ambiant pour réfléchir, et, à bien des égards, repenser le vivre-ensemble et le vivre-bien. Ceci permet à tout point de vue de rechercher un sens à la vie et de s’en trouver un. C’est justement cela que représente la littérature pour moi , une quête perpétuelle du sens de la vie. J’y suis arrivé évidemment par éducation formelle mais surtout par une éducation de la vie, confronté à certaines péripéties et sinuosités qui lui sont liées.
BL: Est-ce encore vraiment nécessaire de continuer à écrire des livres quand internet a conquis tous les domaines et que la lecture ne semble plus être le centre des occupations des hommes de notre époque ?
CA: Écrire, c’est une passion. On ne refoule pas une passion face aux contingences extérieures. Alors écrire reste une nécessité. Mais il y a qu’on n’écrit pas pour soi. On écrit pour partager des idées, des points de vue, dénoncer des faits sociaux. Et alors on a besoin d’être lu. A ce niveau, il y a effectivement un grand handicap que crée le numérique. Et comme on le sait tous, face à l’expansion du numérique, il n’y a pas un grand remède. Mais de toutes les façons, à un moment donné, le retour aux livres s’impose. Les livres gardent ainsi toujours leur place de choix. Ceux qui en connaissent le délice ne s’en détourneront jamais. Et les autres y reviendront par sensibilisation. D’ailleurs, le retour au livres se fera incessamment car le monde évolue toujours par mouvement dialectique. Aujourd’hui, il y a assez de sensibilisation sur les méfaits de l’internet, sur son amenuisement des capacités de réflexion, et de plus en plus, il y a un retour progressif qui va se faire vers les livres.
BL: N’y a-t-il pas une peur de ne pouvoir en faire autant que les grands auteurs ?
CA: L’œuvre des grands auteurs nous subjugue et nous tombons raides d’admiration devant l’immensité et la profondeur de leur production. C’est d’ailleurs ce pourquoi ils sont grands. Et justement oser écrire, c’est risquer. Risquer dans tous les sens. Je me souviens que, quand mon pépé, Apollinaire AGBAZAHOU, a appris que j’ai écrit, il m’a embrassé et m’a dit ceci « écrire, c’est oser se mettre nu devant les connaisseurs pour être critiqué ». Et au-delà des grands auteurs, le titre que l’écriture nous fait porter est tellement grand que je n’ose me l’attribuer. Je le récuse encore de loin : je ne suis pas encore écrivain.
BL: Comment avez-vous bravé cette peur ?
CA: Je peux dire que c’est une peur non encore bravée mais le désir de faire mon petit chemin l’emporte sur la tension intérieure non encore refoulée. Je me suis résolu à ce que je ne veux être ni Hugo, ni Molière, ni Beaumarchais, ni Pliya, ni Apollinaire AGBAZAHOU, ni Charbel NOUTAÏ. Je veux être aussi grand et aussi petit que mon nom Noudjiwou Carlos.
BL: Publier jeune, n’est-ce pas endosser une grande responsabilité ?
CA: (Sourire). J’ai l’impression de devancer quelques fois vos questions. Publier jeune, c’est assumer son immaturité dans la cour des matures. J’en ai sérieusement peur. Et c’est d’ailleurs ce qui me fait repousser au loin le titre d’écrivain. Je garde en mémoire simplement que jusque-là je désire l’être. Il est vrai qu’ « aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années » a signalé Corneille. Alors que moi je ne suis pas encore bien né. (sourire). J’assume mes pas mal assurés dans le monde littéraire.
BL: Vous venez de publier aux Editions Nouveautés de Hermann KOUASSI votre premier livre : « Une aile commune chue ». Un mot sur la genèse et l’accouchement de ce livre…
CA: Ce livre, je l’ai écrit en novembre 2018 et j’ai eu la forte envie de le publier avant tous ceux que j’ai entrepris et qui sont restés en jachère dans la mémoire de mon téléphone ou de mon ordinateur. Deux choses ont motivé son écriture. La première est que je m’étais promis être père d’une œuvre littéraire avant mes 20ans. Et j’ai passé largement le cap sans m’en rendre compte et sans avoir rien publié. Alors c’est une réponse à un but fixé. La seconde chose est que la thématique développée m’est venue d’une crise que j’ai traversée. Mais le livre lui-même n’est que simple fiction. Un autre facteur qui a contribué à son écriture est la philosophie. Elle s’en dégage d’ailleurs nettement.
BL: Qu’est-ce qui vous l’a inspiré ?
CA: Je peux dire que la philosophie a été un pion-phare. Mais en plus de la philosophie, je peux dire qu’aucun auteur n’écrit si, de loin ou de près, il n’a vécu l’histoire qu’il déforme, atténue ou grossit. C’est dans le fait de déformer, d’atténuer ou de grossir que se situe la fiction. Ainsi ce qui m’a inspiré c’est l’expression de la société et des tierces-personnes lorsque quelqu’un arrive à passer de vie à trépas. Et en me basant aussi sur cette phobie de finir un jour, il m’a plu de savoir ce que c’est que la mort. Mais l’interrogation m’a renvoyé rapidement à :« qu’est-ce que la vie ? ». Et « quel en est le sens ? ». Au terme je ne sais pas si je l’ai vraiment découvert. J’ai plutôt été confronté au mystère de la vie qui demande sérénité.
BL: Le titre de l’œuvre parait tout de même original…
CA: (sourire). Il fait plutôt fuir à première vue. C’est plutôt sa redondance à l’écoute qui obstrue sa nette compréhension. Sinon, il est le titre qui résume pour le mieux l’œuvre. « Une aile commune chue » ! L’aile renvoie à l’oiseau qui prend son envol en s’en servant. Elle est commune parce que ce n’est pas un seul oiseau qui s’en sert. Et comme on s’en aperçoit, c’est bien une caricature. Et c’est par ailleurs le verbe « choir » qui exprime l’idée de la déchéance. Du coup le titre est peut-être original mais pas aussi incompréhensible que beaucoup s’en plaignent.
BL: Comment si jeune, avez-vous pu camper votre livre sur la mort ? Quelle expérience en avez-vous ?
CA: (Sourire). Vous ne me laissez pas de répit sur le dévoilement de ce que je suis et de mon histoire. (Sérieux) Franchement j’aurais voulu esquiver la question mais puisqu’elle est posée !…. Ce livre est une dédicace à mes feux parents. Il est davantage une dédicace à ma maman AGBAZAHOU Nathalie à l’occasion de la commémoration du cinquième anniversaire de son décès. Mais par la suite, alors que j’avais fini et envoyé pour les travaux d’édition j’ai été marqué par la mort de certaines personnes à qui je l’ai dédié directement avant de faire la publication. Et aujourd’hui, si je ne l’avais déjà publié, j’ajouterais encore mon frère Christian FANOUDAN pour que sa mémoire reste à jamais gravée dans ce livre.
BL: Dans ce livre, à travers Ben et Cara, nous sommes en face de la problématique de la destinée, de la fatalité ou encore de la prédestination. Ce sont tout de même des thèmes philosophiques et métaphysiques. Pensez-vous que l’homme puisse vraiment échapper à son destin ?
CA: La réponse à cette question est relative. Toutefois le rapport avec le destin doit être dialogique et dialectique. Il n’y a pas d’épochê en la matière. L’épochê est la suspension du jugement chez les philosophes sceptiques. Pour eux l’esprit humain ne peut atteindre la vérité alors il faut tout suspendre. Cette analogie à l’épochê, que je récuse, nous met dans le champ de l’activité par opposition à la passivité. Il ne s’agit donc pas de se laisser au destin. Cependant, la grande difficulté est que le destin n’est pas une donnée physique, palpable qu’on voit et face à laquelle on peut se positionner. Ce n’est donc pas un fait connu d’avance. Mais c’est un fait progressivement dévoilé, et des fois à l’insu et à la surprise du sujet. De fait, changer le cours du destin comme on aime le dire, n’est-ce peut-être pas là le destin du sujet actant ?
BL: Et pourtant il s’en trouve qui fassent tout ce qui est de leur pouvoir, mais ne réussissent pratiquement jamais, comparés à d’autres à qui tout sourit. Comment l’expliquez-vous ?
CA: Je voudrais être réaliste. Un recul dans la vie pour se repenser est très important en dehors de la question du destin. Puisque très tôt, cette question introduit une léthargie et un abandon ou encore un simulacre de travail tout en laissant une large part au destin. Je voudrais convoquer ici la discussion philosophique issue d’une citation d’Anaxagore selon qui « l’homme est le plus intelligent des êtres parce qu’il a des mains. ». Mais pour Aristote, l’homme, « parce qu’il est le plus intelligent des êtres, a des mains ». On en déduit que les mains sont le prolongement de l’esprit. Ainsi, il ne s’agit pas de faire tout ce qu’on peut pour réussir mais il s’agit de penser tout ce qu’on peut pour réussir. Or la vie tangue toujours. Ainsi la nature de la vie c’est qu’elle tangue. C’est désormais un destin connu qu’on doit s’apprêter à affronter. Il est vrai qu’il a ses rouages auxquels on ne s’attend que très peu. Et donc en me résumant, je dirai simplement qu’il faut penser l’issue, travailler à la faire advenir et laisser le reste à ce qu’on appelle « destin ». Et sans donner l’air de déposer le tablier, je me demande à moi-même: « est-ce qu’on y échappe ? »
BL: Vous avez certainement un message à véhiculer à travers le prisme du personnage Lily.
CA: Lily est l’image de la plus grande sérénité et de la plus grande sagesse. Au seuil de la mort, on est à la réalisation de sa vie et au moment du bilan. Alors on comprend beaucoup de choses et on pose les actes les plus significatifs. A partir de Lily, je me suis rendu compte qu’effectivement, si chaque jour on se met dans la peau de quelqu’un qui en est à la réalisation finale ou qui se rend compte que le geste qu’il pose est le tout dernier, nos actes seront toujours nobles.
BL: Il y a une certaine complicité onomastique entre Ben, « fils » en Hébreux, Cara, « chéri, cher, gentil » en italien et Lily, provenant de la pureté du Lys. Et au cœur de cette complicité onomastique tendue vers la candeur et l’innocence, on voit agir la main du destin. Comment le chaos peut-il intervenir dans un univers aussi angélique que celui formé par le trio Ben, Cara et Lily?
CA: J’avoue d’abord que je suis sidéré quant au sens étymologique que vous avez si bien fait advenir pour créer le lien entre ces noms des personnages qui sont les figures de proue de l’œuvre théâtrale en question. Et pour en venir à la question du « Chaos » dans l’atmosphère candide que crée le cercle de ces noms, je dirai plutôt que c’est un chaos apparent. Apparent pour deux causes. La première est qu’il ne touche en rien et donc n’altère guère la nature profonde du sens de ces noms. Et pour preuve, Cara reste l’homme serein des situations, Ben commet un meurtre que lui-même redoute et refoule dans toute l’histoire. Il le fait donc innocemment en voulant l’éviter par ailleurs. Quant à Lily, elle est restée l’expression parfaite de la candeur. Ainsi, le chaos est externe et non interne. La seconde raison vient de la nature du chaos. Ce que nous appelons « Chaos » l’est-il vraiment ? Il ne faudrait pas que nous oubliions que nous sommes dans le champ du déterminisme communément appelé « Destin ». Et dans cet univers, certaines choses dépassent notre entendement. Nous les nommons « Chaos » parce que nous ne trouvons pas leur logique interne. On aurait voulu qu’une situation se présente de telle manière plutôt que de telle autre. Et si ce n’est le cas, si elle n’advient selon notre souhait, est-ce un chaos ? C’est juste apparent.
BL: Ne retombe-t-on pas alors dans le défaitisme et l’absurde puis qu’à la fin, il n’est vraiment pas de solutions fiables et tangibles aux questions existentielles et que l’aile commune est brisée?
CA: J’avouais au début de cette interview ma perplexité quant à la question que je me pose de savoir si vraiment je suis parvenu à une réponse. Mais en vrai j’en suis parvenu à une. Celle-ci est effectivement qu’il ne s’agit ni de défaitisme, ni d’absurdité. L’absurdité serait que l’aile revive. En effet comme j’ai pris la peine de le notifier dans la note introductive de l’œuvre, la vie est l’irréel de la mort. La vie est ce qui est effectif. Mais seule la mort est ce qui est évident. La vie est incertaine parce qu’on est sûr que de la seconde que nous vivons. Tandis que la mort est partout à la porte et on sait qu’elle est là. Du moins on fait semblant de la fuir. Et c’est là l’absurdité. La solution fiable serait-elle que l’aile revive à tout prix alors qu’on sait pertinemment que l’homme est un être-pour-la-mort ? la solution fiable et tangible est tout donnée avant même que le problème ne se pose. Il ne s’agit pas de se laisser à un fatalisme suicidaire. Mais si après toutes les cartes jouées, l’aile est brisée, il faut voir là le sens même de la vie.
BL: Pourquoi doit-on voir une main derrière la chute de l’aile, puisque le « chue » du titre est au passif. L’aile ne peut-elle pas choir d’elle-même ?
CA: Je ne me situe pas ici dans une relation de cause à effet. Mais j’assume le passif parce que si jamais l’aile décide de choir et se fait sujet de sa chute, il y a suicide. Et ce n’est alors pas ma perspective ici. Tous savent que l’aile finira de battre et doit choir. Et ceci, même l’aile en est consciente. Toutefois elle ne peut décider sa fin. Sinon, il y a un problème moral qui se pose. L’aile choit sans sa volonté mais en sachant qu’elle doit choir.
BL: A quoi devons-nous attendre après » une aile commune chue » ?
CA: (rire)… Le secret des dieux est insondable et la plume est bien, des fois, simplement impulsive. Mais à côté, je me ferai le devoir d’être dans un lointain très proche.
BL: Votre mot de la fin
CA: Je dirai de tout cœur, un sincère merci à Biscottes littéraires. C’est un espace de découverte de la littérature béninoise, un monde dans lequel moi qui sors de nulle part, je pose les pieds. Je dis merci et j’encourage tous les férus de la lecture. Et à la fin j’exhorte tous et chacun à une redécouverte de l’environnement des livres.
Magnifique. Simplement magnifique.