BL: Bonjour Monsieur Enock Guidjimè. Un mot en guise de présentation, s’il vous plait.

E.G: Je suis Enock Jean-Claude Guidjimè, journaliste à Educ’Action, une presse spécialisée dans des questions éducatives. Je suis aussi membre du département de correction de Milca Éditions. Je viens de publier mon premier roman.

BL: Dites- nous Enock, comment arrivez- vous à concilier votre métier et l’écriture?

EG: Cela n’est pas chose facile parce que, à vrai dire, on sacrifie la journée pour la rédaction et c’est dans la nuit opaque qu’on se met à converser avec les muses. Ce n’est pas facile, mais quand il y a la passion, on peut y arriver. Rien de grand ne se fait sans la passion.

BL: Qu’est ce qui vous inspire?

EG: Il faut comprendre que le journal pour lequel je travaille est spécialisé dans les questions éducatives. Toutes les investigations dans ce sens, sont pour moi des sources d’inspiration. En plus, les diverses rencontres, ceux qui vivent autour de moi, la nature, la société, c’est en réalité tout cela qui m’inspire.

BL: Être écrivain pour vous, c’est plus qu’un métier ou juste une passion, un passe-temps?

EG: Le journalisme et l’écriture sont pour moi, une passion. Je ne fais pas pour m’enrichir mais pour le plaisir.

BL: Vous êtes jeune, que pensez-vous de la jeunesse béninoise?

EG: La jeunesse béninoise est sous perfusion, elle est grabataire et je pense que la meilleure manière de corriger le tir, c’est de commencer par organiser, entre autres initiatives salutaires, des séances de littérature. Il faut conscientiser cette jeunesse à travers les livres, même si certains pensent qu’il faut trouver à manger avant de s’offrir le luxe de se payer des livres. Et, c’est conscient de la question que j’ai publié récemment mon premier roman que j’ai intitulé « Les délires de l’inconscience »

 

BL: Justement, pourquoi ce titre?

EG: D’abord je tiens à vous remercier pour l’intérêt que vous portez au roman « Les Délires de l’Inconscience« . Il faut noter que ce n’est pas le premier titre que j’ai proposé au roman. Le premier était ‘‘Une Lutte Coriace’’. Mais avec l’évolution des idées, j’ai vu que ce titre n’englobe pas le contenu du roman d’une part et n’est par accrocheur d’autre part. C’est ainsi que j’ai proposé le titre ‘‘Les Délires de l’Inconscience’’ parce que la quasi-totalité des personnages principaux du livre ont agi dans l’inconscience ignorant, par ricochet, les inconvénients négatifs que cela pourrait engendrer. De Akonam à Badessi en passant par le vieux Konaboué, l’inconscience a été leur tasse de thé qui a éconduit tout le reste du personnage dans le gouffre. Badessi n’arrivait pas à éduquer ses enfants et faisait toujours confiance à la promesse que Konaboué avait faite au début de leur relation. Laquelle était de ne point épouser une femme mais avec le temps Konaboué a changé le fusil d’épaule. Les deux enfants Ayissè et Gbédjigan faisaient ce qui leur passait par la tête et voilà les résultats. Sessi étant née dans l’inconscience se laissa à son frère consanguin par amour. Akonam a été le fer de lance qui m’a conduit à proposer ce titre au roman. Bref, l’inconscience a été au cœur des faits et gestes des personnages du livre; c’est ce qui justifie le titre ‘‘Les Délires de l’Inconscience’’.

BL: Que retenir, Monsieur Enock GUIDJIME, de la première de couverture de votre œuvre?

EG: La première couverture met en exergue des images de regrets. On y voit deux jeunes et un vieux. L’homme à genou avec un paquet de cigarette à côté et une bouteille de Jack Daniel n’est personne d’autre que Ayissè qui explose de regrets après ses délires. De l’autre côté, une femme. C’est bien-sûr Akonam qui ne s’en revient pas du fait qu’elle soit éperdument perdue pour avoir, sans ambages, foulé aux pieds les désidératas de ces parents. Le vieux sur l’image est un sage pétri d’expérience qui voyait dans l’ombre cette jouvence qui regrette ses erreurs.

BL: À la page 09 de votre œuvre, on peut lire « Il prenait toujours son temps à laisser un patrimoine pour cette génération qu’il trouvait dangereuse comme le drame de Tori-Avamè » pourquoi avoir fait allusion à une telle tragédie? Pourquoi comparer la jeune génération à un drame?

EG: La jeunesse est le miroir de demain. Quand l’éducation de la jeunesse est mal reçue ou biaisée, l’avenir du pays s’en trouve hypothéqué. La jeunesse comme l’a si bien dit Marc Bonnant est ‘‘la promesse de l’aurore’’. Et si cette jeunesse a cultive des vices, la postérité n’est pas rassurée. En réalité, nous savons tous les désagréments que le drame de Tori-Avamè a créés dans ce village en 2016. Cette comparaison s’explique par le fait que le vieux Noundé lisait dans le comportement des jeunes les prémices des erreurs qu’il avait faites en son temps. C’est pour dire que s’il n’y a pas de changements au niveau de cette jeunesse, les déboires qu’elle connaîtra vont ressembler à ceux de Tori-Avamè.

La jeunesse aujourd’hui est en perte de repères. Et pour ne pas jouer au sage, je dirai ‘‘notre jeunesse’’ est dans une léthargie atypique qui n’augure pas d’un lendemain meilleur. Si nous ne faisons rien pour corriger le tir maintenant, j’ai peur qu’il ne soit trop tard d’agir.

BL: Dans votre roman, Ekonam n’avait pas respecté l’interdiction de ses défunts parents. Mais elle aimait son homme. Choisir entre ses parents et l’amour de sa vie n’est souvent pas aisé. Pensez-vous qu’il faut faire un trait sur l’amour quand on est face à des obstacles?

EG: Vous savez, nos parents sont comme notre lumière sur la terre. Notre jeunesse est dans la cécité. Nos parents, a priori, nous veulent assurément du bien. Et c’est au nom de leurs expériences et de leur sagesse, sans doute, qu’ils prennent certaines décisions pour protéger leur progéniture et leur assurer un radieux avenir. Si, avant de mourir, les parents de Akonam ont interdit à celle-ci et à son frère Sègnidé de s’unir avec un homme marié ou une femme au foyer, c’est probablement parce qu’ils ont déduit que ce n’était pas la meilleure option à envisager dans pour une vie matrimoniale heureuse.

Il est certes difficile à celui ou celle qui aime de faire un trait sur l’amour devant un obstacle. Et il faut se battre pour protéger son amour. Mais il faut aussi comprendre que les parents sont là pour nous aider et nous accompagner dans le choix que nous faisons. S’il y a un climat de confiance qui facilite le dialogue entre parents et enfants, je crois que beaucoup d’obstacles se dissiperont d’eux-mêmes. Mais comme vous le savez, l’amour nous rend aveugles et sourds quand il nous tient. Et ce n’est après les déboires qu’on se rend compte de ses erreurs…

 

BL: Konaboué, dans votre roman, est un personnage spécial. Sa richesse intrigue. Il cultivait seul sa terre, sans l’aide de personne, pas même de ses fils. Et vous faites de lui un homme très riche. Comment est- ce possible qu’il soit si riche ?

EG: Napoléon Hill disait « N’attendez plus, le moment idéal ne se présentera jamais. Commencez là où vous êtes, et travaillez avec tous les outils qui vous tomberont sous la main. De meilleurs outils apparaîtront en chemin » et  à la page 22 de du roman j’ai dit : « sache que le travail est libérateur et salvateur, surtout quand tu y ajoutes la passion et la sincérité  ». C’est pour dire en termes clairs que la richesse de Konaboué se cache dans la passion, la sincérité. Quand ces deux thèmes dirigent un travail que nous faisons, nous pouvons facilement rejoindre la pensée de Napoléon Hill qui allume les projecteurs sur l’alacrité que doit avoir l’homme qui entend réussir. C’est-à-dire que, nonobstant ses maigres moyens matériels, Konaboué a fait preuve de passion pour en arriver là. C’est pour montrer qu’il n’y a pas de sot métier et que l’homme est capable de devenir riche avec son gagne-pain pourvu qu’il y ait un brin de passion.

BL: Quand on lit bien le roman, on arrive à comprendre que le vieux Noundé était en fait Gbédjigan. Comment s’explique le fait qu’en son temps, les télévisions écran plasma, les boissons Jack Daniel fussent déjà à la mode alors que vous peignez un monde, une époque bien éloignée de la nôtre?

EG: En réalité, c’est pour exprimer l’opulence dans laquelle végète la famille Konaboué que j’ai évoqué ces éléments. Et justement tous ces éléments sus cités dans votre question ne sont rien que les odeurs voire les traces de la richesse du vieux Konaboué. C’est une actualité -celle des les jouvenceaux d’être au contact de la piscine, des télévisions plasmas- que nous avons essayé d’aborder dans le roman. Dans quelques années, d’autres éléments ou produits sortiront et seront sur le marché pour occuper les esprits de notre jeunesse. De façon explicite, c’est pour être en phase avec les outils, les produits que la jouvence embrasse de nos jours que nous avions parlé de Jack Daniel, de télévision plasma…

BL: L’amour, la jalousie, la haine, la persévérance, la médisance, l’infidélité, la tristesse et la dipsomanie sont, entre autres, les thématiques abordées dans le roman. Rencontre-t-on tous ces vices au sein de la jeunesse?

EG: La polygamie est fastidieuse selon moi. Et l’homme arrive à la polygamie pour deux raisons. Soit il nourrissait cette envie depuis son enfance ou il s’est senti obligé au détour de sa vie conjugale d’y faire recours parce que cette vie est versée dans la routine. La flamme de l’amour n’est pas ravivée à tous moments ou il n’a pas ce qu’il espèrait dans sa vie conjugale, d’où il va se rabattre sur une autre femme pour espérer mieux. C’est le cas de Konaboué avec Badessi où il a pris une nouvelle femme ‘‘Akonam’’.

La jalousie s’est plus accentuée au niveau de Badessi parce qu’elle n’imaginait guère avoir échoué là où Akonam a réussi par le truchement de son frère Sègnidé. Il faut noter notre que les enfants aussi s’auto éduquent et que l’éducation de ces enfants n’est pas seulement l’apanage des parents ni de l’entourage mais de l’enfant lui-même, en tant que don de Dieu. C’est le cas de, Kpètindé dans le roman.

BL: En définitive, « Les délires de l’inconscience » est-ce une flèche dans le monde de la jeunesse béninoise actuelle?

EG: C’en est une, puisque le constat est effarant. La jeunesse fait ce qu’elle veut, ce qu’elle entend, et l’on a comme l’impression n’y a pas de suivi pour conscientiser et réveiller cette jeunesse qui est pourtant l’avenir du monde.

BL: Parlez-nous un peu du processus et de toutes les péripéties qui ont conduit à l’édition et à la publication de votre premier roman.

EG: Je puis vous dire que c’était la croix et la bannière. En ce qui concerne l’édition, il fallait revoir l’armature du livre chaque fois que j’en avais l’occasion parce que je faisais également partie de l’équipe de correction de la maison d’Editions MILCA qui a édité mon livre. Il faut fallait travailler de jour comme de nuit pour que le livre soit présentable. Pour la publication, c’était un autre calvaire. Il fallait une communication à tambours battants pour drainer un monde de jeunes le jour du lancement, étant donné que la jeunesse est le plat de résistance du livre. Mais, c’étaient les ripailles, les sorties balnéaires et autres qu’ils ont préféré au du livre. La jeunesse a brillé par son absence cédant ainsi sa place aux personnes âgées qui ont répondu présents.

 

BL: Qu’est-ce que les jeunes peuvent faire à leur niveau pour redonner souffle et vie à la littérature béninoise?

EG: Il faut que les jeunes, à cette ère des réseaux sociaux, fassent la publicité des livres à l’instar des musiques et des vidéos. Il faudrait qu’ils donnent les mêmes place aux livres en faisant diffusez le titre de ces livres partout.

BL: Quels sont vos projets en matière de littérature?

EG: Mon projet est de continuer de pondre d’autres bouquins pour que la littérature africaine, notamment celle béninoise, ne perde pas ses lettres de noblesse.

BL: Quel écrivain africain ou béninois lisez- vous en particulier ?

EG: Je suis admiratif de Florent Couao Zotti.

BL: Votre mot de la fin

EG: Je tiens à remercier tous ceux qui ont fait le déplacement le jour du lancement de mon roman « Les Délires de l’Inconscience« . Je remercie Biscottes Littéraires pour tout ce qu’il fait pour la jeunesse en matière de littérature. Pour finir, je demanderais à notre jeunesse d’éviter d’avoir l’idée campée sur les œuvres au programme qui restent une nébuleuse affaire. Il faut que nous, jeunes, nous nous ouvrions à d’autres œuvres aux fins d’embrasser d’autres mondes, d’autres idées, d’autres réflexions.

BL: Biscottes littéraires vous remercie et vous souhaite plein de succès.

EG:  Merci.

  1. Bonsoir monsieur GUIDJIME. Je vous ai lu de long en large. Cependant ;J’ai une petite question ‘ que trouver vous a l’écrivain’ Félix couao zotti’ ?

    • Christian
      En espérant que c’est un lapsus clavis ou calami parce que c’est Florent Couao Zotti et non Félix Couao Zotti. C’est un écrivain que je lis bien et qui me fascine avec sa plume simplement. J’admire sa manière de véhiculer le message pour faire court. Merci Christian.