BL: Bonjour Natacha. Veuillez vous présenter à nos amis lecteurs.

ENF: Bonjour Biscottes Littéraires. Je me nomme Eve Natacha FANOU. Comptable de formation et écrivaine à mes heures perdues.

BL: Nos amis internautes seraient curieux de savoir comment s’est faite votre rencontre avec la littérature.

ENF: La littérature, je m’y suis mise surtout par besoin de distraction qu’autre chose. Besoin aussi de combler le vide créé par mon manque d’assurance dans mes rapports avec mes amis.  Une quête tout à fait égoïste mais souvent, les belles réalisations commencent ainsi : par la recherche de solutions à une difficulté personnelle. J’écrivais donc pour mieux me faire comprendre de mon cercle d’amis. L’imagination aidant, au fil des lignes, cette recherche s’est muée en un besoin d’information, de sensibilisation et plus souvent d’analyse de certains évènements de la vie. Des faits banaux, des « non-sens » (pour moi) auxquels la société a pourtant donné tant d’explications et de justifications. Je cherche mon explication et quand je la trouve, je l’expose.

BL: Qu’est ce que ça vous a fait d’avoir décroché le prix « Plumes Dorées ?

« Eve Fanou, la lauréate, recevant son trophée des mains de la Dnpl » crédit: Tribune Arts&Culture

ENF: La surprise. Une bien  grande surprise. Je ne m’y attendais pas d’autant plus que j’y avais participé pour apprendre. C’était mon seul objectif. Et j’ai d’ailleurs pris plaisir à le faire, parmi ces belles âmes. Un sourire me vient à chaque fois que je nous revois dans cette salle à échanger sur ce que devrait être une nouvelle. Ce fut une belle expérience et j’en profite pour remercier à nouveau les organisateurs et spécialement certaines personnes comme Hurcyle H, Sèminvo et Yves BIAOU.

BL: Qu’est devenue (sur le plan de la création littéraire) la lauréate de Plumes dorées 2015?

ENF: Toujours la même. A réfléchir et à écrire sur ce qui m’intéresse.

BL: Qu’est-ce qui a suscité l’écriture de « La Tranchée »?

 

ENF: Qu’est-ce qui a suscité la tranchée ? La curiosité. Celle de savoir ce que pouvaient être les sentiments et ressentiments dans de pareilles circonstances. La peur aussi, qui sait ? Une analyse de ce qui était et de ce que je réservais pour un futur, un temps potentiel sur lequel nous n’avons aucun pouvoir et à qui nous confions tellement.

BL: Quand on finit de lire cette nouvelle, on est comme habité par le sentiment que la mort est plus laide que la vie et que comme cette dernière, elle ne laisse que le goût de l’inaccompli, des regrets… Pourquoi tant de douleurs et de déceptions dans « La tranchée »?

ENF: Ah oui ? Vous avez eu un tel sentiment ? J’en suis étonnée d’autant plus que pour moi-même, la mort n’a rien de telle. Je ne la connais pas pour la qualifier de laide. Nous n’en savons que ce qu’on nous en a dit. La douleur et déception ? Oui. Parce que dans le cas d’espèce, la narratrice regrettait d’avoir beaucoup confié au ‘’futur’’. Elle regrettait son choix d’avoir cru que ce temps serait meilleur pour ses projets chers, pour aider une autre âme à connaître vie. Douleur parce que ces derniers moments de vie, n’ont été que ça. Douleurs aussi parce qu’elle restait attachée à ce qu’elle fut et se refusait encore une fois à s’ouvrir sur son nouveau présent : « l’après vie ».

BL: Inscriviez-vous cette nouvelle dans l’irréel? Puisqu’en définitive c’est à une femme décédée que vous donnez la parole. Prosopopée ou puissance de l’amour qui, même de l’au-delà, peut faire sentir ses effluves?

ENF: Y a-t-il vraiment une barrière entre ce que nous qualifions de réel et d’irréel? Si oui, est-elle assez rigide et universelle… Personnellement, je ne pense pas. De la beauté que je découvre d’une chose à mes sentiments, tout est comme on veut le prendre. Ils n’ont de valeurs que l’importance et le temps qu’on leur accorde, la représentation qu’on en fait. Dans cette nouvelle, la narratrice décédée continuait sa vie, exprimait les sentiments dont elle ne s’était pas encore démunie, ses doutes et interrogations mais surtout l’amour qu’elle ressentait toujours pour son homme. Parce qu’elle le pouvait encore quand bien même d’une manière qui n’est plus propre à la vie. Et c’est du réel ce qu’elle nous fait vivre par ces mots. A moins que vous n’ayez rien ressenti vous à la lecture de ces passages (sourire).

BL: Vous avez certainement un mot à dire sur la littérature béninoise au féminin de ces quinze dernières années….

ENF: Je la constate bien engagée et plein d’avenir. Et j’en suis heureuse. Les prochaines années nous feront découvrir plus de merveilles sûrement.

BL: Être écrivaine dans cette Afrique encore jalouse de ses traditions où l’homme a presque toujours la première place, cela relève-t-il de la Fierté ou de la Nécessité?

ENF: Je parlerai plutôt de nécessité. Celle d’éduquer (éternel rôle de la femme) ; ‘’d’aider cette tradition à s’adapter’’, se refaire par rapport à cette évolution qu’est appelée à connaître toute société humaine dans le temps et qu’elle connait d’ailleurs déjà. Volonté aussi de faire découvrir le monde sous d’autre angle qui n’a pas forcément été abordé jusque-là, de révéler des vérités qui ont été omises, laissées de côté.

BL: Quelle est votre position dans le débat du féminisme aujourd’hui?

ENF: J’avoue que j’ai un problème avec le mot. Parce que l’exploitation qu’on en fait ne m’agréé pas. Péjoratif en un mot. Et j’en suis navrée. Nous avons hérité d’une organisation sociale répondant aux réalités d’une certaine époque. Ces dernières ont changé à plusieurs points aujourd’hui. Et il convient de procéder à une adaptation de cette organisation pour une justice sociale et une meilleure équité. Il y a un travail à faire mais il ne saurait être fait sans tenir compte de l’histoire propre à chaque société. Ce travail aussi ne se fera pas seulement par les femmes qui se trouvent lésées mais par tous, Car ce que nous avons en commun aussi, ne l’oublions pas, c’est encore cette société. Travailler pour une société plus juste et plus équitable est nécessaire pour le bien-être de tous.

BL: Du féminisme au « gender » en passant par la parité, c’est de la femme qu’il est toujours question. Qu’est-ce que la société lui a arraché et qu’elle doit lui rétrocéder ?

ENF: Les sociétés évoluent avec le temps et avec elles, les habitudes, les réalités. L’intelligence sociale doit permettre une organisation juste pour tout être en fonction de ces dernières. Dire que la société a arraché quelque chose à la femme reviendrait à faire un procès aux sociétés d’hier pour qui cette chose n’avait pas forcément la même place et la même importance. Il me parait plus juste de demander ce qu’il faut à la femme dans la société actuelle. Et je vous répondrai plus de place dans l’arène de la prise de décision.

BL: Vous qui êtes écrivaine, que vous inspire la situation des filles-mères?

ENF: L’insuffisance voir même l’absence d’une éducation sexuelle, d’un accompagnement de nos enfants (filles comme garçons). Ne demandez pas à une fille qui ignore tout du fonctionnement de son corps, en pleine puberté (avec la curiosité qui accompagne ces années) de s’abstenir de faire ci ou de  faire ça, alors que vous ne lui donnez pas de raisons ou d’explications judicieuses et claires… Encore moins à un garçon à coté de qui des camarades susurrent leurs exploits.  Il est nécessaire que les parents se donnent la peine et le temps de discuter avec les enfants (filles comme garçons), de briser le tabou dont on entoure le sexe, d’accompagner ces enfants vers leur inévitable premier pas. Ceci réduirait les grossesses non désirées, son cortège de désagréments et par ricochet, la pauvreté.

 

 

BL: Pensez-vous consacrer un jour une œuvre entière à l’épineuse problématique du harcèlement sexuel dont sont victimes les femmes aussi bien en milieu scolaire, estudiantin que professionnel?

ENF: Je ne saurais le dire. Tout est possible.

BL: De la déshumanisation des migrants noirs en Libye aux derniers propos de Macron dans l’amphithéâtre Kadhafi de l’Université de Ouagadougou, quel regard l’écrivaine que vous êtes, porte-t-elle sur l’Afrique dans le monde de ce temps?

ENF: De tout temps, les migrations ont existé. L’Afrique est le berceau de l’humanité. Et si aujourd’hui, il y a la présence humaine sur d’autres continents, c’est de toute évidence que les autres Hommes  ont migré à un moment où les conditions de vie n’étaient pas favorables. Ces migrations de masse ont toujours donné lieu à des situations de conflit (« déshumanisation ») entre migrants et hôtes.  S’il est vrai que les occidentaux viennent en Afrique pour chercher les matières premières qui leur permettent de construire leur société, il revient aux dirigeants africains de créer les conditions pour que les jeunes qui prennent le risque d’une aventure en barque puissent percevoir que l’Eldorado qu’ils recherchent ailleurs est plutôt ici. Les populations des pays d’accueil ne se sentiront plus menacées au point d’en arriver à des actes d’une telle vilenie… Dans ce sens, Macron n’a aucune leçon à donner à l’Afrique.

BL: Pour vous qui êtes écrivaine, quelle serait la première tâche à accomplir dans le processus du développement de nos pays?

Le changement de comportement par rapport à la gestion de ce qu’il convient d’appeler bien de tout le monde. Il s’agit de la lutte contre la corruption sous toutes ses formes et une redevabilité plus accrue des dirigeants par rapport aux citoyens.

BL: L’individu est déterminé par sa culture. Et la culture, c’est aussi la langue maternelle. Et tant que nous n’allons pas nous réapproprier nos langues, nous ne serons jamais épanouis. Que vous inspire une telle théorie?

Bien que cette théorie soit tout à fait vraie, il convient de rappeler qu’aucun peuple ne pourrait plus vivre en vase clos. Ainsi dit, la réappropriation de nos langues n’est pas la panacée pour notre épanouissement. L’ouverture consciente et mesurée sur la langue et donc la culture des autres dans un monde de plus en plus globalisant concourt aussi à un épanouissement.

BL: Le monde littéraire béninois foisonne de plus en plus de nouveaux talents, jeunes et ambitieux. Qu’en pensez-vous?

Ce fait est tout à fait louable mais nous n’avons pas encore atteint la masse critique de jeunes qui s’investit dans la littérature. Les écoles de formation, les maisons d’édition manquent encore chez nous. Cette situation n’est pas de nature à rendre le métier d’écrivain attractif.

 

 

BL: Si ce mois était dédié aux femmes, quel serait votre message à l’endroit des femmes en général, et des jeunes filles béninoises en particulier?

Les femmes et surtout les jeunes filles doivent comprendre que pour faire évoluer la société, il ne s’agit pas de revendiquer une situation mais plutôt de la conquérir avec les moyens aussi petits qu’ils paraissent.

BL: Quels sont vos projets en littérature?

Dans un avenir proche, j’ambitionne éditer un recueil de nouvelles.

BL: Votre mot de la fin.

Merci à Biscottes Littéraires pour l’opportunité!  Et que la littérature participe à l’émancipation de la femme pour une société plus juste.

 

    • Merci, Mimosette Kodjo. La littérature béninoise au féminin n’a pas encore dit son dernier mot

  1. Juste de l’admiration à la lecture de cette interview…. Il me tarde de me plonger dans  »la tranchée » de où l’artiste partage ses sentiments et sa vision sur la société….. Bravo…