« Il ne faudrait pas réduire l’écrivaine africaine à ce simple rôle de féministe… »
BL: Bonjour Ndeye Fatou Dieng. Vous êtes écrivaine sénégalaise. Vous venez de publier chez Harmattan « Ces moments-là », votre deuxième roman. Veuillez vous présenter plus amplement, s’il vous plait.
NFD: Bonjour. Je m’appelle Ndeye Fatou Dieng, on m’appelle Falla ou Falia. J’ai 28 ans et je suis juriste et auteure.
BL: Vous avez étudié le droit, et vous voilà en littérature. Qu’est-ce qui n’a pas bien fonctionné entre temps? (rires)
NFD: (Rires) Tout a bien marché pourtant. Je suis juriste de formation et j’exerce une profession juridique. La littérature est une passion et un passe-temps.
BL: La littérature semble être un pôle d’attraction vers lequel convergent homme et femme. Mais que peut la littérature pour la femme dans une société réputée pour ses clivages de tout genre et surtout dans un contexte de plus en plus marqué par la question brûlante du genre?
NFD: Ce que peut la littérature, c’est déjà offrir une tribune égale à tous ceux qui ont une voix à faire entendre, en particulier, les femmes ici. Elle peut être un canal plus attrayant et plus efficace pour la propagation de leurs idées et également un moyen de rééquilibrer les choses.
BL: Inversement, l’on peut se demander : « qu’est-ce que la femme africaine a vraiment à apporter à la littérature sauf ses pleurs et ses cris, ses frustrations et ses réclamations, sur fond de féminisme ?..
NFD: Je pense que « ses pleurs et ses cris, ses frustrations et ses réclamations » méritent d’être entendus et c’est très bien que les femmes puissent utiliser ce canal pour s’exprimer. La littérature porte nécessairement un message qu’il soit militant ou non, et que ces femmes racontent leurs préoccupations en littérature ne fait qu’enrichir celle-ci, je pense. Par ailleurs, il ne faudrait pas réduire l’écrivaine africaine à ce simple rôle de féministe. Elles sont nombreuses dont les œuvres ne sont pas féministes et constituent des monuments.
BL: Pensez-vous que les femmes aient réussi à asseoir leur règne dans le milieu littéraire sénégalais même après de grands noms comme Mariama Bâ, Aminata Sow Fall?
NFD: C’est évident. Les grands noms féminins côtoient ceux masculins et les femmes font plus d’écho. Aminata Sow Fall, Mariama Ba, Ken Bigul, Fatou Diome… qui oserait parler de littérature sénégalaise sans citer leurs noms ?
BL: La femme, en Afrique, est la première éducatrice de l’homme. Mais pourquoi, selon vous, son éducation pose de plus en plus un problème majeur alors même que le contexte actuel de la mondialisation prône son émancipation ? Concrètement, il y en a qui pensent que les femmes ne savent plus s’occuper de leurs maris, ne savent plus préparer. Et pourtant, Mariama BA a dit que pour garder son foyer la femme ne doit pas négliger le ventre et le bas-ventre de son homme…
NFD: Je pense que tout est une question de perception, d’évolution et de contexte. La femme africaine a malheureusement toujours été considérée comme une vache à traire. Nos sociétés sont malheureusement très phallocrates et c’est triste, mais c’est la vérité. La femme a un rôle bien précis de tenancière du foyer, ce qui malheureusement circonscrit son rôle et tend à une méconnaissance ou une minimalisation de ses capacités. Qu’est-ce qu’une femme ? Une femme est un homme amélioré, un homme plus. Cela veut dire juste qu’au lieu des capacités intrinsèques d’être humain qu’elle possède et partage avec le sexe masculin, Dieu l’a également dotée de plusieurs autres facultés. C’est pour cela que je parlais de perception et d’évolution. La femme est circonscrite dans un rôle qui n’est pas forcément le sien mais qu’elle assure. Néanmoins, les temps ont changé, la femme a évolué, elle est devenue plus consciente, plus libre. En tant qu’être humain, la femme doit avant tout se réaliser, se réaliser en tant que personne en dehors de toute considération de genre. Le secret serait dont un essai d’harmonisation entre la vie de femme et ce qu’on a appelé abusivement parfois son « rôle » de femme. En dehors de cela, ce qu’il faut, c’est surtout une plus grande implication des hommes. Au stade où l’on en est, je pense que ce sont les hommes qu’on devrait éduquer. Les éduquer pour être de meilleurs partenaires de vie, de meilleurs humains.
Dans ce sens, ne pensez-vous pas que le conteste de la mondialisation en prônant l’émancipation de la femme africaine à travers l’éducation formelle, détourne plutôt celle-ci des grandes valeurs africaines qui faisaient la fierté de nos matriarches ?
Le problème ici pour le sort de ces « valeurs là » c’est que les choses évoluent. La femme, comme l’homme, éprouve le besoin de se réaliser, d’accomplir des choses, de réussir dans sa vie. Sauf qu’on a toujours pensé que la réussite d’une femme se limitait à la réussite de son foyer. Très heureusement, les choses ont évolué et au rythme où vont les choses, elles vont changer. Que les hommes s’adaptent donc et s’apprêtent à descendre de leur piédestal pour s’impliquer plus. Si en se choisissant elle-même, en faisant d’elle-même sa priorité, la femme africaine se détourne de ses valeurs, c’est qu’il y aurait donc beaucoup à dire sur ces prétendues valeurs. Si elles étaient bonnes, jamais elles ne devraient constituer de frein à l’épanouissement de la femme.
BL: Des pays africains, en l’occurrence le Liberia et l’Éthiopie ont récemment enregistré une impressionnante prise de pouvoir par les femmes? Les femmes auraient-elles finalement réussi à s’imposer ou ne serait-ce pas là qu’une simple mascarade orchestrée par les hommes pour distraire et bâillonner la communauté internationale clairement favorable à l’émancipation des femmes ?
NFD: Il arrive qu’on voie parfois des nominations fallacieuses, œuvres d’hommes pour servir des fins inavouées, cela est vrai. Toutefois, maintenant les femmes se frayent un chemin vers le sommet, elles s’installent et prennent le pouvoir et ça c’est une réalité et c’est juste magnifique. Il n’y a pas toujours forcément la main d’un homme.
BL: » Le Sanctuaire Violé » est le titre de votre premier roman. Quelle réalité cachez-vous derrière la métaphore de « Sanctuaire »?
NFD: Dans mon esprit, « sanctuaire » ici renvoie à un « refuge » ou à des secrets. L’héroïne de ce roman a un passé tragique et trouble et son sanctuaire était son refuge, ses secrets inviolés. Dans le silence du passé, elle parvenait à trouver un semblant de bonheur.
BL: Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce roman ?
NFD: La mort d’un être très cher, mon meilleur ami du lycée. Alors qu’avant j’écrivais des nouvelles, je ne parvenais jamais à avoir assez de discipline pour essayer autre chose, cet événement malheureux m’a permis de le faire. M’inscrire dans la durée d’un roman a été une échappatoire, un moyen de ne pas m’installer dans la douleur.
BL: Avez-vous aimé écrire ce roman ?
NFD: Oui et non. Oui parce que c’était ma première œuvre et c’était assez exaltant. Non, parce qu’en même temps, l’écriture était empreinte de douleur, comme si j’y avais jetée toute ma peine.
BL: Qu’avez-vous ressenti quand vous avez écrit la dernière phrase ?
NFD: Un profond soulagement, le sentiment d’enfin lâcher prise. C’était vraiment gratifiant et à plusieurs niveaux.
BL: Pourquoi cette fin ? Est-ce à dire que les amours sur les bancs n’ont pas d’avenir?
NFD: Cette fin, parce qu’il peut arriver ce genre de chose. Dans la vraie vie, tout n’est pas toujours prédéfini et les romans racontent la vie. Cette fin ou une autre, le triomphe de l’amour au final, les amants qui se retrouvent, ou ne se retrouvent pas… ce sont juste des choses qui arrivent.
BL: Coïncidence ou ironie du sort? Tous vos deux romans ont pour cadre l’université Gaston-Berger de Saint Louis où vous avez fait vos études universitaires. Que s’est-il donc passé en ces moments-là en ce lieu précis?
NFD: Je dirai plutôt une conséquence naturelle. J’ai fait mes études à Gaston Berger, j’y ai passé énormément de temps et naturellement j’y ai vécu des choses extraordinaires. De belles rencontres. De bons moments, des moments forts et très beaux. Ça vous marque et ça vous inspire. C’était donc tout à fait naturel pour moi d’en faire le cadre de mes deux premiers romans.
BL: « Ces moments-là » contient-il une part de réalité ou est-il totalement de la fiction ?
NFD: Je pense que la fiction ne peut jamais se détacher totalement de la réalité. La réalité soutient la fiction. Bien que l’histoire soit fictive, je me suis amusé à y glisser des parts de vie, des moments vrais en hommage à ceux qui ont compté dans ce lieu.
BL: Lequel de vos deux romans a été le plus difficile à écrire ?
NFD: Incontestablement le deuxième : « Ces moments là ». « Le Sanctuaire Violé était circonscrit dans un lieu et parlait d’une vie. « Ces moments-là » englobe un cadre plus large et des situations plus complexes et parfois inconnues qu’il me fallait d’abord maîtriser avant de pouvoir les raconter.
BL: Si vous aviez été à la place d’Alia, auriez-vous pris les mêmes décisions qu’elle ?
NFD: Aurais-je pris les mêmes décisions ? Alia est une adepte de l’amour. Dans un passage, elle dit « L’aimer m’était devenu douloureux mais je m’étais obstinée quand même, malgré tout. Car voyez-vous, l’amour est le seul poison qu’on consomme de son plein gré ». Alors non. Pour la simple raison que je pense que quand l’amour devient un poison, c’est le signe qu’il est temps d’y renoncer.
BL: Qu’este-ce que cela vous fait que d’écrire alors que ce qui se dit de plus en plus est que les gens lisent moins?
NFD: Eh bien, je n’y crois pas trop en fait. Oui, avec la technologie, les réseaux sociaux, les gens ont maintenant plus de sources de distraction, néanmoins, ces outils ont également favorisé la propagation des livres. Il y a plus de blogs littéraires, plus de groupes de lecteurs et c’est magnifique. On n’y croit pas mais les gens lisent.
BL: Vous avez certainement d’autres projets littéraires….
NFD: Oui, un troisième roman, un petit roman en fait écrit juste après « Ces moments là » et qui devait clore le cycle des trois romans consacrés à Gaston-Berger. C’est une sorte de « suite » au premier « Le Sanctuaire Violé«
BL: Votre mot de la fin
NFD: Ce sera d’abord un mot de remerciement pour votre intérêt et également des félicitations et des encouragements. Vous participez au rayonnement de la littérature et en ce sens, vous œuvrez pour nous tous. Un mot également à l’endroit de ces amoureux de la lecture qui voudraient bien écrire mais qui parfois, pour plusieurs raisons, hésitent. Juste leur dire de le faire, de sauter le pas. Il n’y a rien de plus beau que de vivre sa passion. Merci à vous.