Mon histoire, quand aujourd’hui avec un parfait recul je la regarde, je puis avouer qu’elle était vraiment idyllique. Je l’avais rencontré quand mon cœur cherchait vraiment à qui se confier. Jean-Marc était celui qui a pu fait trémousser mon cœur d’un amour intense. Il avait tout pour être ce digne élu de mon cœur : beau, charmant, taquin et coquin. Les femmes pourront aisément me comprendre. Nous nous sommes rencontrés en classe de quatrième vraiment. Quand je parle de vraiment c’est pour notifier que nous nous connaissions depuis le cours primaire, mais que nous ne nous sommes limités qu’à des salutation cordiales.

 

En quatrième il était le major de notre promotion et moi qui aimais l’excellence me retrouvais à mon insu à ainsi l’aimer. Dans notre nature de femme, aimer ne nous donne pas des ailes aussi aisément que les hommes se l’approprient. Dire nos sentiments, n’était pas aisé pour nous même, si les choses changent de nos jours. On aimait et rêvait en secret que l’élu fasse le premier pas. Pour hâter ce premier pas nous avions nos pratiques que je me permets de ne pas ici dévoiler afin de ne pas bloquer mes consœurs en humanité dans notre art de séduction. Par de petites minauderies donc, je me mis à l’attirer vers moi. Aimer pour ceux qui ont déjà franchi cette étape est une réelle maladie. Je n’étudiais même plus. Mon cahier, quand je l’ouvrais, ce n’était que son visage que j’y voyais. Mes efforts finirent tout de même par payer lorsque, aguiché, il commença à me faire des avances. Dans la déontologie féminine, lorsque vous êtes éprise profondément, il est de bon ton de jouer à la désintéressée. Je cachai donc mes sentiments en lui faisant croire que je ne partageais avec lui que les dignes et insignifiants sentiments amicaux. Malgré le rejet auquel il se confronta de ma part, il continua dans sa conquête. A un moment donné, je reconnus ma défaite et lui fit part de mon désir de lui trouver une place dans mon cœur. Il en était fou de joie. Lui offrir une grande richesse ne dessinerait pas une pareille joie dans ses yeux. Il frétillait en me serrant contre lui tout en me promettant de me rendre la plus heureuse des femmes en m’aimant jusqu’à son dernier jour.

 

 

Ainsi débuta l’histoire de mon amour qui aurait abouti à une vie réussie si la jalousie de mon fiancé n’avait pris des proportions inquiétantes. Je ne l’avais pas remarqué dès les débuts de notre aventure. Je me rends compte à présent de l’effectivité de cette citation populaire qui affirme que « l’amour rend aveugle ». Je dois avouer que depuis que je lui ai confirmé le choix que j’ai fait de sa personne, il était devenu vraiment ‘‘collant ’’ comme on le dit en jargon populaire. Durant mes moindres sorties, il se faisait toujours présent. Je n’avais plus une vie privée. Devrais-je sortir avec les amis ? Une fois qu’il en est informé, il s’invitait lui-même. Mes amies avec qui je sortais souvent pour les achats entres filles, se sont progressivement éloignées de moi, du moins, de nous. Je mettais cela sur le compte d’un amour passionné, en fermant les yeux sur les éventuelles déconvenues que cela susciterait et que je ne pouvais prévoir. Aimer jusqu’à l’impossible, était devenu le leitmotiv qui me permettait de le supporter. Les amies me conseillaient de rebrousser chemin, car un homme qui ressent toujours le besoin d’être derrière sa femme, est un jaloux à fuir. Je balayais du revers des mains ces propos déconcertants. Je m’obstinais à ne voir en lui que des qualités que j’amplifiais exagérément afin de ne laisser aucune place possible au doute.

 

 

En une journée il m’appelait autant de fois qu’il pouvait. Nous discutions sans cesse de tout et de rien et il ne terminait que par sa traditionnelle question : Où tu te trouves en cet instant ? A un moment je ne savais plus comment agir pour mettre un terme à cet asservissement volontaire auquel je ne puis me soustraire avec courage. J’avais peur de mes sentiments, de cette vie qui devenait ma seconde nature, de ce qu’en diront les gens. Je reconnus bien trop tard que ce que les autres pensent ou penseraient de nous ne, devrait pas être une aune à laquelle nous mesurerions nos actes. Agir en toute liberté et vérité sans aucune complaisance est le chemin par excellence de la réussite dans la vie. Je me suis laissée aller au mariage en escomptant que le fait que nous soyons unis, réduirait, voire supprimer chez lui cet acte de possession excessive.

Je reconnais que pour ce mariage, il dépensa extrêmement afin de m’offrir, à moi sa dulcinée, une cérémonie prestigieuse digne d’une reine. Cette cérémonie organisée avec faste ne faisait qu’occulter mes ressentiments. Il était devenu un ange adorable et attentionné. Je me reprenais parfois en me disant que c’était moi qui étais dans l’erreur. Nous avons effectué un voyage à l’étranger pour notre nuit de noces. Ce qui devait être un moment de joie et de passion se mua très rapidement en un tragique cauchemar. Dès notre arrivée à l’hôtel, le concierge pour nous accueillir, m’adressa un joli sourire auquel je me vis dans l’obligation de répondre. Jean-Marc qui, il y a un instant, était tout souriant devint blême d’un coup. Je ne le reconnus plus. Il me tira par la main en marmonnant. Arrivés dans notre suite, il se mit à crier sur moi:

 

– Nous venons tout juste d’arriver et tu reçois devant moi les avances à peine voilées d’un quidam! Mais un peu de respect pour cette étape importante du mariage dans notre vie, quand même.

– Jean-Marc, que dis-tu là ? Je ne le connais point et ce n’est que par pure politesse que je lui ai rendu son sourire.

– Je ne le pense pas. Sûrement que c’est en connaissance de cause que tu as choisi ce lieu qui, d’ailleurs, commence pas me dégoûter.

– C’est injuste de ta part…

Enervée, je me dirigeai directement au lit sans aucune autre parole à son égard. Les premiers jours déjà et je me retrouvai confrontée à cet amour captatif qui me poussait à remettre en cause mes certitudes. « Qu’est-ce qui cloche ? Et pourtant il n’y avait que quelques heures où devant le parterre d’homme réuni, nous nous promettions d’être toujours unis dans le meilleur et le pire. M’aime-t-il vraiment ?  Ne me suis-je pas laissé emporter par un amour aveuglant dont je ne fais que découvrir les arpents destructeurs avec un arrière fond de jalousie ? » L’atmosphère devint invivable pour moi. Il était tout le temps derrière moi dans le but de découvrir quelque relation suspecte, notamment avec le concierge. Je ne pouvais plus sortir en son absence. Je précipitais alors notre retour en avançant des arguties fabriquées de toutes pièces.

 

 

 

Dès notre retour, nous nous sommes installés dans la villa qu’il avait construite au cœur de la ville. Ayant opté pour l’enseignement, je pensais oublier mon amère déconvenue, au contact de mes élèves. Mon époux quant à lui, continuait de s’imposer dans l’immobilier.

La vie pour moi se construisait essentiellement autour de mon cadre professionnel. Je me rendais tous les jours au lycée où j’avais la joie d’introduire mes apprenants aux mystères de la langue de Shakespeare. Ma manière de dispenser le cours ainsi que ma proximité avec les élèves me firent gagner la sympathie de mes élèves. Il y avait entre nous une familiarité saine et bienfaisante. Mais cette proximité, qui était loin d’être une promiscuité, n’était pas bien vue des autres collègues.

 

 

Mon mari non plus ne la tolérait. Lui qui n’aimait en aucun cas me voir avec des amies se mettait en colère quand ses élèves passaient me voir à la maison. Cela le mettait vraiment hors de lui. Il me fit ce reproche un jour.

– Une femme mariée, fût-t-elle érudite, ne doit pas attirer vers lui de jeunes gens quelles que soient leurs intentions.

– Ce ne sont que des élèves en quête de savoir…

– Je le sais et c’est évidemment en connaissance de cause que je t’avertis.

– Pourquoi un avertissement si tu m’as promis une entière confiance ?

– Avec les femmes et la confiance, la compatibilité n’est pas toujours assurée.

– Et pourtant tu as pu demander que je sois ton épouse ?

– Le demander signifie que tu es, selon moi, la seule qui, sur la multitude de femmes que j’ai pu rencontrer, mérite ma confiance, seulement à dix pour cent.

– Je suis poussée à me demander si tu m’aimes réellement ?

– J’apprends à le faire. Pourquoi cette interrogation ?

– Pour moi l’amour, le véritable, est pour tremplin la confiance et sans celle-ci, prétendre aimer, serait une pure utopie.

– La confiance n’exclut en aucun cas ni le contrôle, ni la prévention.

 

 

Nos discussions devenaient de plus en plus vives. Plus de causerie qui ne vire en dispute. J’étouffais presque. Néanmoins, je faisais tout ce qui était de mon devoir d’épouse pour le satisfaire même au-delà de mes limites. Chaque fois, je n’essuyais que les rebuffades de mon mari. A plusieurs reprises, il était rentré tard, le regard plein de défi et de mépris. A peine répondait-il à mes salutations. Il ne touchait pas au repas et allait dormir tranquillement. Je passais mes nuits à pleurer. Je me mis à penser à mes parents, à ma fille morte en couche. Peut-être que j’aurais dû épouser Jacques. Mais je ne l’aimais pas trop celui-là. Il m’avait l’air trop bizarre, gonflé et gentil. Les sentiments contrastés m’ont toujours mise mal à l’aise. Jean-Marc quant à lui, gagna ma sympathie naturellement. Mes parents l’avaient élu comme le mari parfait pour leur fille unique. Mais avec le temps, je compris qu’il était d’une jalousie maladive. Combien de fois n’a-t-il fouillé dans mes affaires et même mon téléphone portable? Combien de fois ne m’a-t-il demandé dès que mon téléphone sonne : « Qui t’a appelée? Il te veut quoi? Il y a quoi entre vous? » Mais savait-il seulement que ses infidélités ne m’étaient plus un secret? Et qu’une femme n’est pas dupe quand son mari la trompe dans le lit conjugal? J’étais au courant de ses aventure avec la domestique ainsi qu’avec la femme du voisin parti en mission. Toutes ses manigances avec le gardien, j’en avais la certitude. Il était assez intelligent pour ignorer que j’étais au courant du petit garçon que lui a donné sa secrétaire qu’il a dû affecter à Londres pour s’occuper de ses affaires là-bas. Mais je suis une femme, je ne suis qu’une femme, et donc je devais rester tranquille et subir. Je faisais tout pour le ramener à moi, mais il était convaincu qu’il y avait un autre homme dans ma vie. Peut-être  qu’il pensait que je le cocufierais pour me venger de lui. Sa conscience n’était pas tranquille mais il continuait de se montrer jaloux.

 

Un après-midi, ma classe reçut à l’improviste la visite de l’inspecteur. Mon téléphone portable était déchargé. Je ne pouvais avertir Jean-Marc que je rentrerai tardivement. Nous finîmes la séance autour de 19h30. Mon époux m’attendait au salon, le visage orageux. Je savais que ça allait chauffer, mais j’ignorais qu’il pouvait porter la main sur moi. Avant que je ne me rende compte de ce qui se passait, c’est avec deux soufflets qu’il me souhaita la bienvenue. Hébétée, je lui demandai s’il était conscient de ce qu’il venait de faire.

-Regarde l’heure qu’il fait. C’est à une heure pareille que tu étais censée rentrer ?

– Mon portable…

– Etait déchargé, je connais cette rengaine.

– Jean-Marc, je te méconnais.

– Tu as peut-être raison. Mais je ne suis pas de nature à me faire contrarier. Tu es ma femme et personne d’autre ne doit rôder autour de toi.

– De quoi parles-tu?

 

 

Un autre soufflet me fit pirouetter. Je cognai ma tête contre le mur. Il se rua sur moi, vociférant : « Quand je parle, on ne rétorque pas, je ne supporte pas les chicaneries. » Il m’asséna un coup de pied dans le ventre. Et pourtant il me savait grosse. Il ôta alors la ceinture de son pantalon et s’en servit pour me battre. Je reçus la sangle au visage. Le sang gicla. Je l’entendis ricaner : « Tu n’as encore rien vu« .

 

Jusque-là, je faisais l’effort de croire qu’il ne me ferait aucun mal. Mais sa dernière phrase illumina mon esprit : « Périr ou vaincre« , me dis-je intérieurement. Je pensai à mes pauvres parents qui n’ont que moi comme enfant. Mon sang fit un tour dans ma tête. Jean-Marc bondit sur moi, mais avant de me porter un autre coup, ma main saisit un pot de fleur. Je le brisai sur sa tête. Ensuite je laissai traîner ma jambe là où il ne fallait peut-être pas. Je ne le savais pas si vulnérable à cet endroit-là. Je revois ses yeux hagards et ses mains lâcher la ceinture pour s’agripper instinctivement à ses gonades. Je réentends le cri rauque qu’il poussa. Mais je devais me sauver. Légitime défense?

Quand je repris mes esprits, j’appelai la police.

 

 

 

Elisee Dah

Godwin Elisée DAH, est  en deuxième année de philosophie au Grand Séminaire saint Paul de Djimè. Il aime la musique et la littérature.