L’hôpital grouillait de monde. S’y pressaient des hommes, des femmes, des enfants requérant les soins des seules infirmières que l’hôpital avait daigné laisser au service de la population locale. « Les médecins étaient allés en grève » avait-on dit. Il semblerait qu’ils s’époumonaient à décrier les conditions dans lesquelles les malades sont traités. Pour l’amour des malades, ils les laissent pour battre les pavés. Pour l’amour du ciel… Ils disaient que la vie mérite qu’on en prenne soin, et au même moment les malades étaient laissés à eux-mêmes dans les hôpitaux, sans soin.

 

 

A coups de mains et de pieds, Cocou essayait de se frayer un chemin dans cette marée humaine. Il était pressé. Elle l’attendait. Il voulait être le premier à la connaître. Il voulait en être l’unique propriétaire, le dépositaire. Il voulait être le premier à lui conter ce que mille bouches ne cessaient de murmurer. En son for intérieur, il ne regrettait point cette amitié. Lui aussi peut enfin se réjouir de quelque chose. Lui aussi peut enfin tirer gloriole de quelque chose. Difficilement, il parvint à rejoindre la chambre 5. C’était une petite chambre où se coinçaient une dizaine de lits grinçants. Elle abritait environ une vingtaine de malades, les uns couchés sur les matelas disponibles, les autres sur des nattes, et d’autres encore sur  des pagnes et même à même le sol. Cocou faillit en ressortir.

 

En effet, toute l’odeur peu accueillante qui s’en dégageait le dégoûtait autant qu’elle venait de faire de son estomac, un terrain de ping-pong où la balle s’envoyait et se renvoyait à toute vitesse. Il vomit presque, mais s’en retint à temps…Bientôt…La victoire était là les bras ouverts. Il prit comme on le dit, son courage à deux mains, risqua encore quelques pas dans la chambre, jetant des regards de tout côté. Il se rendit alors compte qu’il avait oublié de se renseigner sur la chambre où Vigblé était installé. Par réflexe, il s’était rendu là où son ami avait pour la dernière fois été hospitalisé.

 

 

Cela remontait seulement à trois jours. Vigblé s’était fait, à ce qu’il parait, ramassé par une moto en voulant traverser la route. On raconte qu’il a été distrait par un derrière un peu trop protubérant. Mais lui, persiste à affirmer que le conducteur de la moto en était le seul responsable. Une chose était sûre, c’est que Vigblé n’avait plus tout son esprit ces temps-ci. Cocou rebroussa chemin.

-Désolé madame. Je cherche un certain Vigblé AVAKPA, hospitalisé ici depuis ce matin.

-Chambre 2, répondit l’infirmière.

-Merci.

A l’entrée de ladite chambre, Cocou aperçut son ami tout au fond, recroquevillé sur lui-même. Il avait la tête couverte de bandage. A la vue de son compagnon, Vigblé se mit sur son séant.

-Vigblé, comment tu vas ?

-Beaucoup mieux.

-Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

-C’est une longue histoire. Un accident juste après un autre. Décidément, ce n’est pas ma semaine de chance.

-Qu’est-ce qui s’est passé ?

-…

-On raconte que c’est arrivé lorsque tu étais avec elle. Elle y est allée un peu trop fort avec toi ?

-Comment peux-tu croire tout ce qu’on te dit ?

-D’ailleurs, de qui s’agit-il ?

-Tu ne te souviens plus d’elle ? Je croyais pourtant t’en avoir déjà parlé…la fille que j’ai rencontrée avant-hier là…

-Avant-hier !!! Mais nous étions ensemble !

-Ah ! C’était donc il y a quatre jours.

-A quel moment de la journée ?

-Autour de 17h

-Mais, de 16h à 19h, nous étions au cabaret ‘’La Grâce’’ !

-D’accord, tu as gagné. Cela remonte à trois jours, le jour de mon accident. Ce qu’on raconte est vrai. J’ai été un peu trop distrait.

-Ah ! Tu as donc pu avoir la fille du barman ?! Ça, c’est un véritable exploit. Mais comment t’es-tu blessé à la nuque ?

 

-C’est une longue histoire. Trois jours auparavant, avant que je ne rentre à la maison après les soins à l’hôpital, Adjoua est venue. Elle m’a affirmé se sentir responsable de ce qui m’était arrivé et pour se faire pardonner, m’a proposé de me faire une surprise chez moi, à la maison. Un célibataire ne pouvait rêver mieux. Hier, j’étais tranquillement à la maison lorsqu’on frappa à la porte.

Entra dans la salle une forme humaine.

– Bonsoir, Vigblé ! Désolée de te déranger. Je ne savais pas que tu avais une visite. Peut-être vaudrait-il mieux que je revienne après.

Vigblé qui entre temps avait dû faire dos à la porte pour parler à son ami qui s’était trouvé une place de l’autre côté de la salle, se retourna et vit Adjoua. Elle se tenait près de son lit de malade, dans un ensemble justaucorps. Agée d’une vingtaine d’années, d’une taille d’environ 1mètre70, elle était fort corpulente. Aussi bien en amont qu’en aval, la rumeur ne s’était point trompée. Elle avait le nécessaire, non ! l’excédent du supplément pour faire languir tous les pernicieux du quartier. Etudiante en première année d’Anglais, elle était de deux ans moins âgée que Vigblé qui venait de soutenir sa thèse de licence en géomatique. Viglé était gêné. Ce qui ne l’empêcha cependant pas de l’inviter à se mettre à l’aise.

-Ce n’est pas nécessaire. Je voulais juste t’inviter à passer la soirée de demain avec moi, si ça ne te gêne pas bien sûr.

-Si je sors demain matin comme prévu, je viendrai.

-Merci. Je te laisse avec ton ami. Je passais juste et ai tenu à te rendre visite.

-C’est gentil.

Sur ce, Adjoua s’en alla, entrainant avec elle le regard trop ambitieux de Cocou qui n’arrivait pas à se détacher de…Vigblé continua son récit.

 

-Alors, elle frappa à la porte et je lui ouvris. La soirée se passa presque comme dans un monastère. Lorsque vint le moment pour elle de partir, elle s’approcha de moi, je ne dis rien. Elle se rapprocha encore plus. Je ne dis toujours rien. Elle me donna un câlin. Je ne réagis même pas. Elle m’appliqua un baiser fougueux sur la bouche. Cette fois-ci, c’en était trop. Le verre venait de déborder. Je n’en pouvais plus. Je le lui rendis. Mes mains tremblaient. Elles descendirent. Je n’y pus rien. Elles allèrent plus loin, pour l’amour du ciel. Avec une force, on ne peut plus violente, je me retrouvai à terre, la tête fracassée. On venait de me repousser…

-Et avec ça,…demain ? 14 Février ?!?!?!

 

Mario Loko

 

 

Mario LOKO est étudiant en première année à l’INJEPS de Porto-Novo. Il aime la littérature et la musique. Il lui arrive d’être parfois poète à ses heures de rêveries de promeneur solitaire