- « Le sarcophage des mutilés » de Stephens Akplogan, ce roman que je m’étais empressé de lire, attiré incontestablement par son titre, nous conte l’histoire d’une bande de mutilés. Bande parce qu’ils sont nombreux. Mutilés, par ce que drainés et ballotés par le poids de l’ambition, de la politique, du désir intellectuel, du désir inassouvi d’être, de devenir et de paraître. Cette ambition démesurée enfermé tous dans un piège sans fin.
Stephens Akplogan, après avoir dressé un bref mais dense état des lieux de l’ambiance politique de mère Afrique, dépose enfin ses bagages au Bénin. Il nous emmène d’abord en petite virée chez Yamboun, un intellectuel ivre de mérites et de glorioles qui aura très vite appris que la société n’en fait qu’à sa tête et que les sectes ne sont pas seulement d’ordres religieux. « Le sarcophage des mutilés »de Stephens Akplogan nous lance à la suite de cette virée sur les grandes routes d’une année, 2016. Fameuse année d’élection présidentielle au Bénin où nous nous heurtons au personnage de Nathan. Jeune, privilégié par les dieux et protégé de la déesse Lissa depuis sa tendre enfance, Nathan, travaillant dans un cabinet de conseil en image, aura la chance de se voir confier une importante tâche décisive pour son futur et celui de la nation entière. Créer et mener un plan de stratégie de campagne pour la candidature du très charismatique doux-amer homme politique Soltice Amlon. Utilisant le privilège de vision que lui octroie sa relation plus qu’intime avec la déesse et son ange gardien Lucius, Nathan dresse un plan de communication qui sera plus que brillant et signera la victoire de son client. Mais « en politique comme en politique », dit-on, très vite le peuple va déchanter quant à ses attentes face à celui qui était censé réformer le pays. Les retombées de ce règne présidentiel s’en suivront très vite et avec elles, les remords, le doute, et ces groupes lexicaux propres à ce mot.
« Le sarcophage des mutilés » s’étend sur 149 Pages et comprend 17 chapitres. Trop peu, pourrait-on dire au terme de ce livre très bien écrit dans un style vraiment soutenu, peut-être un peu trop soutenu. En effet, le titre est fort accrocheur et donne envie de mordre dans les pages. « Le sarcophage des mutilés » de Stephens Akplogan est une histoire qui mérite d’être montée en diaporamas et diffusée sur grand écran. L’on peut être tenté de dire que ce roman n’a commencé en effet qu’au 5e chapitre. Mais il faut remarquer que ce livre est un peu osé et peut se considérer comme une aventure risquée quand on sait le contexte politique qui est le nôtre en cette Afrique qui ne laisse pas parler vraiment ceux qui veulent dire quelque chose de différent et qui pourraient ne pas arranger ceux qui sont au pouvoir. De toute façon, Stephens Akplogan nous laisse marcher avec lui dans l’arène des décideurs politiques béninois met en scène des personnages connus pour leur amour inconditionnel du pouvoir aux dépens de l’intérêt du peuple. Descente aux enfers. Désillusions. Pleurs et grincements de dents. La politique a ses secrets.
Il m’est arrivé de me laisser drainer par une œuvre parce que les premiers mots sont tentants, parce que l’histoire au fur et à mesure qu’elle évolue, m’entraîne dans son sillage de suspens. Il m’est arrivé de sauter des pages d’une œuvre parce que le joug de succomber à la tentation d’en savoir la fin me paraissait plus doux et plus léger que le remord qu’aurait subi ma conscience d’attendre de finir tous les chapitres. Et pourtant « Le sarcophage des mutilés » a osé défier toutes mes attentes. Ce livre est une pure surprise. J’ai atterri trop brusquement sur mon envie et mes folles idées de plaisirs littéraires. J’en voulais plus mais je me suis laissée abreuver à un cocktail doux-amer qui m’a laissé un arrière-goût de pures frustrations. Désir inassouvi. Apoplexie.
Belle présentation des personnages, belle tournure ironique des noms, vue presque parfaite du décor. On y remarque tout de suite la réalité sociopolitique de notre Bénin 2016 et de notre Afrique. Les noms des personnages nous lancent dans une devinette assez amusante. Mais l’histoire comme raconté est restée en travers de ma gorge tel un os refusant de se faire digérer. Stephens Akplogan refuse d’atterrir. Le langage plus que soutenu, le ton très intellectuel et politique, et les scènes décrites dénotent de la culture de l’auteur.
J’aurais bien aimé des scènes plus émouvantes et fracassante, racontées sans gants ni souci de sécurité, une trame de l’histoire moins historique, moins intellectuelle. J’aurais aimé que « Le sarcophage des mutilés » m’emmène dans les décombres et le menus détails des réalités politiques de 2016 au Bénin et me donne envie de creuser un peu plus pour saisir la face cachée de ces scènes politiques. Mais je dois me contenter de ce que j’ai et me convaincre de ce qu’un roman n’est pas un journal, ni une chronique. Félicitations à l’auteur pour ce livre.
Annette BONOU