Biscottes littéraires

« Il y a encore quelques décennies, on ne parlait pas de littérature féminine africaine, mais aujourd’hui, la donne a changé ; il y a de plus en plus d’écrivaines africaines, dont le talent est reconnu mondialement » Caroline Meva.

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre Blog. Nos lecteurs désirent vous connaître. Voudriez-vous bien vous présenter, s’il vous plait ?

CM : Bonjour. Mon nom est Caroline Meva, je suis camerounaise ; j’ai fait des études secondaires de littérature ; je suis titulaire d’une maîtrise en philosophie ; diplômée de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature du Cameroun ; ancien cadre de la Fonction Publique Camerounaise ; écrivaine ; mariée et mère de famille.

BL : Vous êtes une femme de lettres. Voudriez-vous bien partager avec nous votre passion des lettres ?

CM :  Je me suis entichée des belles lettres dès mon enfance, à travers la lecture des ouvrages puisés dans la bibliothèque du Lycée, par la suite, je suis moi-même devenue écrivaine. L’écriture est pour moi un guide précieux, une occupation ludique captivante, et un puissant antidépresseur.

BL : Comment se définit la littérature sous votre plume ?

CM : La littérature est un mode de communication à travers des écrits de divers genres, à savoir : le roman, la poésie, le théâtre, la fable, le genre épistolaire, la biographie, le reportage, le témoignage et les reportages, etc. Pendant des siècles, la littérature est restée un mode de communication privilégié, mais aujourd’hui, malheureusement, elle est de plus en plus supplantée par les Nouvelles Techniques de l’Information et de la Communication (NTIC), notamment la télévision, Internet et les Réseaux Sociaux.

BL : Quel rôle assignez-vous à la femme écrivaine africaine ?

CM : Il y a encore quelques décennies, on ne parlait pas de littérature féminine africaine, mais aujourd’hui, la donne a changé ; il y a de plus en plus d’écrivaines africaines, dont le talent est reconnu mondialement. Nous pouvons dire à cet effet que la littérature féminine africaine se porte bien. De nos jours, la femme participe activement, au même titre que les hommes, à l’essor du continent dans tous les domaines de la vie publique et privée, et la littérature en tant que promotrice de la culture et des valeurs, n’est pas en reste.

BL : Vous êtes auteure de plusieurs romans, dont Les supplices de la chair, paru en 2019. Dans ce livre vous nous entraînez dans un endroit que les puristes qualifieraient peut-être de « cloaque ». Doit-on prendre ce livre comme celui, apologique, qui défend ces femmes marginalisées par notre société ?

CM : L’on parle de la prostitution comme étant le plus vieux métier du monde, c’est dire qu’elle a survécu et traversé le temps malgré l’opposition etla condamnation d’une frange de la société bien-pensante, moralisatrice, soucieuse des bonnes mœurs. Cette pratique est bien enracinée au sein de la société parce qu’elle a ses adeptes.

« Les supplices de la chair » n’est pas une apologie de la prostitution, bien au contraire. J’y dévoile la face cachée et hideuse de cette pratique ; j’attire l’attention de ceux et celles qui s’y adonnent, ou qui sont tentés de le faire, sur les maux auxquels s’expose la personne qui se prostitue, notamment la violence, l’humiliation, la dévalorisation, la perte de dignité. Je mets l’accent sur les pièges à éviter pour échapper à l’engrenage de la facilité que fait miroiter la prostitution.

BL : Sur son lit d’hôpital, Mabelle, abattue, terrifiée, passe en revue sa vie de prostituée : « Je suis fatiguée de vivre (…). Oui, je voudrai me libérer de cette enveloppe corporelle, qui était un atout hier mais qui, l’âge avançant, est devenue un puits de souffrances, un boulet à mes pieds, de plus en plus lourd à traîner », dit-elle à la page 17. Qu’essayez-vous de transmettre comme message à travers le personnage de Mabelle ?

CM : Dans ce passage, Mabelle exprime sa douleur et son désir d’être soulagée du poids de son corps supplicié par la maladie et la vieillesse. Ceci signifie que tous les êtres humains, quelle que soit leurs différences de conditions, sont égaux devant la souffrance, la vieillesse, la maladie et la mort. C’est, en quelque sorte, une leçon d’humilité qui nous est donnée ici.

BL : Le souffle qui traverse ce livre est profond. C’est un souffle à la quête d’une liberté, d’un affranchissement sous toutes ses formes. Vous dénoncez plusieurs vices à travers ce livre, notamment le viol. Pensez-vous que les filles aujourd’hui sont moins protégées par nos sociétés ?

CM : La société met en place des mécanismes de régulation telles que les lois, les règles morales, éthiques, déontologiques, pour éviter les dérapages, assurer l’équilibre et la paix sociaux. L’éducation familiale fait de même pour enseigner l’ordre, la discipline et le respect aux enfants. Ces mécanismes existent toujours, mais ce qui se passe actuellement, c’est que, parallèlement, les délinquants sexuels, notamment les violeurs, développent des astuces pour passer à travers les mailles du contrôle social et parental. Les filles ne sont pas moins protégées aujourd’hui, mais la permissivité des mœurs est plus grande, ce qui fait qu’elles sont plus exposées, surtout aux influences néfastes et difficilement contrôlables venues d’ailleurs, puisées dans les NTIC, notamment sur Internet et les réseaux sociaux. La lutte contre le viol et autres pratiques perverses et dégradantes est donc un combat permanent et de longue haleine.

BL : Beaucoup se retournent contre ces filles victimes de viol, prétextant l’extravagance de leur tenue vestimentaire. Que répondez-vous à cet effet ?

CM : A mon avis, la tenue vestimentaire est une cause secondaire du viol. Il s’agit essentiellement d’un fantasme pervers que le violeur cherche à assouvir. Le fantasme n’est pas réel, c’est une idée sortie de l’imagination du violeur. La preuve en est que les victimes qui ne portent pas de tenues provocantes, tels que les jeunes enfants (voir des bébés de moins d’un an), les vieilles femmes et les femmes musulmanes entièrement voilées, sont régulièrement victimes de ces prédateurs que sont les violeurs.

BL : Avez-vous des propositions pour contrer ce phénomène qui devient récurrent dans nos sociétés ?

CM : En ce qui concerne la gent féminine, bien que la tenue vestimentaire soit une cause secondaire du viol, par précaution il vaudrait éliminer celle-ci, en arborant un habillement décent, en évitant de porter des tenues suggestives, provocantes, osées.

S’agissant des enfants, la solution passe par l’éducation, l’adoption d’un certain nombre de réflexes salvateurs, leur mise en garde contre certains comportements, par exemple : ne jamais parler à un étranger ni le suivre ; ne jamais se laisser toucher ; crier et faire du bruit, parler aux adultes, en cas de gestes déplacés, qu’on prendra soin d’expliquer aux enfants. Ces mesures simples ont déjà permis à de nombreux enfants d’échapper à des violeurs.

BL : Qu’est-ce que pour vous le féminisme ?

CM : Le féminisme est un mouvement apparu à la fin du 19^e siècle en Europe, initié par un groupe de femmes, en réaction contre la condition difficile des femmes, dévalorisées, traitées comme des mineurs irresponsables, écrasées sous le joug de la domination masculine. Le féminisme se donne pour mission de dénoncer les inégalités, le manque de considération dont sont victimes les femmes ; d’œuvrer pour un traitement égal entre les hommes et les femmes, dans tous les domaines de la vie publique et privée.

BL : Certains pensent que les féministes sont extrémistes, à voir leur tapage bruyant sur les réseaux sociaux, même si plusieurs d’entre elles ne comprennent pas vraiment le fond de ce concept apparu sous la plume d’Alexandre Dumas Fils au 19^e siècle, puis sous celle d’Hubertine Auclert. Que diriez-vous à ce sujet ?

CM : Les comportements misogynes ont la vie dure dans les sociétés de type patriarcal. Le combat des féministes se justifiera tant que les femmes subiront des brimades et des inégalités. Cependant, les militantes de la cause féministe sont des êtres humains, avec leurs qualités, et leurs défauts qui transparaissent parfois à travers leurs actes. Il est indéniable que certaines d’entre elles font preuve d’exagération, de manque d’objectivité, d’agressivité et d’un zèle débordant. Toutefois, le comportement répréhensible de quelques brebis galeuses ne saurait entacher le combat des féministes, qui continuent de se battre pour préserver des droits inaliénables reconnus à tout être humain, y compris aux femmes. Un rappel régulier des principes fondamentaux pour recadrer et guider l’action féministe s’impose.

BL : A qui pensez-vous écrire chaque fois que vous dégainez votre plume ?

CM : Dans mes écrits, je dénonce les maux qui gangrènent la société ; je m’adresse donc à toutes les composantes du corps social, sans exception.

BL : Comment parvenez-vous à concilier votre projet artistique littéraire et vos autres occupations ?

CM : Depuis que je suis libérée de mes occupations professionnelles de fonctionnaire, je dispose de plus de temps pour me consacrer à l’écriture, qui est aujourd’hui ma priorité : les autres occupations viennent en second. Mais, je m’arrange toujours pour accomplir au mieux mes obligations familiales ou autres. Tout est question d’organisation.

BL : Votre regard sur la littérature féminine africaine ?

CM : Les choses ont beaucoup évolué depuis les Poèmes et chansons, recueil publié en 1935, par la Belgo-congolaise Nele Marian ; le premier roman publié par une femme africaine, Ngonda, de la camerounaise Marie-Claire Matipen 1958 ; la Sénégalaise Aminata Saw Fall, qui a publié son premier roman, Le revenant, en 1976. De nombreuses plumes illustres ont suivi, notamment Mariama Bâ, la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, les Camerounaises Calixte Beyala ; Hemley Boum, et plus récemment, Djaïli Amadou Amal, lauréate du Prix Goncourt des Lycéens en novembre 2020. Bref, la littérature féminine africaine se porte de mieux en mieux.

BL : Que proposeriez-vous pour une présence féminine plus considérable dans la sphère littéraire ?

CM : J’encouragerais les femmes à être plus entreprenantes dans ce domaine, à s’engager et à s’affirmer dans l’univers difficile de l’édition et de l’écriture.

BL : Vous avez certainement d’autres projets en cours. Voudriez-vous bien les partager avec nous ?

CM : Je viens d’achever l’écriture d’un roman de science-fiction à connotation écologique, dans lequel je livre ma vision holiste du monde, lequel est organisé comme un système cohérent dans lequel tous les éléments sont solidaires et concourent, chacun, à l’équilibre et à l’harmonie du TOUT. Je compte également me pencher sur les causes et les mécanismes socio-historiques qui poussent la jeunesse africaine aujourd’hui, à émigrer vers l’Occident, afin de contribuer à  dévoiler et à combattre le mal à la racine.

BL : Quel est votre dernier roman lu ?

CM : Mon dernier roman lu est « Si d’aimer … », de la camerounaise Hemley Boum, une intrigue dans le milieu de la bourgeoisie de Douala, capitale économique du Cameroun, qui se noue entre trois personnages : Céline la prostituée malade du Sida, Moussa son confident et Valérie son médecin traitant.

BL : Quelques livres à proposer aux jeunes passionnés ?

CM : Cela dépend des centres d’intérêt de chacun, et ceux-ci sont divers, mais l’on constate qu’en général, les lecteurs s’intéressent, presque, exclusivement aux œuvres primées lors des différents prix littéraires. Je leur conseillerais de ne pas s’arrêter à ces œuvres et à ces auteurs célèbres, et de découvrir de nombreux jeunes écrivains, dont certains sont bourrés de talent.

BL : Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui aspirent à l’écriture ?

CM : Pour commencer, je leur conseillerais de faire preuve d’humilité, d’éviter la suffisance et l’autoglorification prématurée, car les désillusions sont nombreuses dans ce domaine ;de lire les œuvres des autres écrivains, afin d’avoir une idée juste de leur niveau en littérature ; de lire également pour se familiariser avec l’orthographe et les expressions de la langue utilisée ; de travailler dur, d’être rigoureux et soignés dans leur tâche ; si possible de prendre des cours d’écriture, de se perfectionner dans l’acquisition des techniques de rédaction.

BL : Le mot de la fin ?

CM : Merci de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer sur votre présente plateforme, à laquelle je souhaite longue vie et prospérité.